• Aucun résultat trouvé

Les granges appliquées aux territoires d’élevage européens

La typologie apparaît ainsi suffisamment structurante pour appréhender de manière synthétique les territoires types et identifier quelques leviers d’action pour améliorer les services et impacts issus des élevages. L’analyse ci-après a remobilisé la revue de littérature

en la croisant avec les cas d’études (annexe 2). Aux territoires d’élevage représentés sur la carte, nous avons ajouté les territoires d’élevage situés à proximité et dans les villes. Granges des territoires à haute densité animale. Ces territoires d’élevage se sont déve-loppés en Europe dans les années 1950-1960 pour augmenter la production agricole et nourrir la population (figure 8.6). Cet enjeu démographique est d’ailleurs remis en avant par certains, en référence à la hausse de la population mondiale. Le bouquet de services se caractérise par de hauts niveaux de production et une forte densité agro-industrielle. La logique productive a privilégié la maximisation des volumes par unité de surface et par animal, en misant sur la spécialisation des ateliers d’élevage, les gains de producti-vité du travail et les économies d’échelle. Les marchés sont européens et internationaux, concurrentiels, souvent fortement intégrés. Les éleveurs dégagent un chiffre d’affaires en moyenne plus élevé que dans les systèmes d’élevage plus extensifs. La concentration des activités d’élevage induit de fortes pressions locales sur l’environnement. L’efficacité des modes de production par kilo produit est débattue, car elle est atteinte grâce au recours à des ressources extérieures (protéines, eau, surfaces), elle induit une dépendance envers les pays tiers et délocalise les impacts. Dans la société, l’image des produits standards transformés et des grands élevages confinés s’est dégradée.

La recherche de compromis entre production et environnement est (ou devrait être) une priorité des politiques publiques. Les voies de progrès s’inscrivent généralement dans une « intensification écologique ». Elles prônent notamment les « meilleures techniques

dispo-nibles »27 (MTD) en matière de logement (plus économe, plus sain, voire plus confortable)

27. Directive européenne 2010/75/UE relative aux émissions industrielles et visant les techniques qui satisfont le plus le développement durable.

Figure 8.6. Schéma de bouquets de services correspondant aux territoires à haute densité animale, peu herbagers. Exemples de la Catalogne en Espagne (à gauche), région de forte production porcine, et des régions laitières allemandes (à droite), pratiquant de la méthanisation. La grange Bretagne (figure 7.2) appartient aussi à cette catégorie. Détails en annexe 2, p. 142 à 147.

pour les animaux, d’alimentation (gagner quelques points d’efficacité alimentaire) et de gestion des effluents (capacité de stockage, méthanisation). Les démarches d’économie circulaire complètent la panoplie des MTD. Elles peuvent prendre la forme de contrats coopératifs avec des céréaliculteurs en Catalogne, de banques de lisier aux Pays-Bas ou en Belgique, de production d’énergie renouvelable (méthaniseurs, photovoltaïque sur le toit des bâtiments) en Allemagne, ou encore d’un réemploi des sous-produits de bis-cuiterie, résidus et écarts de tri de cultures légumières, drêches de céréales, etc., dans les rations des porcs et des volailles. Dans ces régions où les prairies permanentes sont marginales, les prairies temporaires incorporant des légumineuses offrent des services environnementaux sans pour autant dégrader la marge brute des exploitations (car les charges opérationnelles baissent). La valorisation des produits par des SIQO n’est pas exclue : les grands élevages allemands et danois de porcs en agriculture biologique pré-sentent ainsi des résultats techniques proches de ceux des systèmes intensifs (écarts de 10-15 %) ; en Bretagne, plusieurs coopératives développent parallèlement des filières fermières (porcs engraissés sur paille, volailles Label rouge ou IGP).

Granges des territoires herbagers. Ces territoires concernent surtout l’élevage de rumi-nants (figure 8.7). Ils ont bénéficié, depuis trente ans, de la reconnaissance d’une éco-nomie de la qualité et de la typicité alimentaires. La logique est ici d’adapter les pratiques d’élevage aux potentialités d’un milieu agricole « défavorisé » (altitude, zone humide, ari-dité…), maximisant l’autonomie du système plutôt que le volume de production. Selon le

Figure 8.7. Schéma de bouquets de services correspondant

aux territoires herbagers. Exemples de l’Irlande (à gauche), où l’élevage laitier dense bénéficie de conditions favorables de pousse d’herbe, et des Alpes suisses (à droite), avec transhumance des animaux et fabrication de fromages de qualité. Cette grange est proche de celle des AOP des monts d’Auvergne (figure 7.2). L’annexe 2 présente également les granges des systèmes transhumants méditerranéens (pays de la Crau) et des prairies humides des littoraux, qui illustrent des systèmes herbagers peu denses, entretenant des milieux à forte valeur environnementale. Détails en annexe 2, p. 148 à 157.

rendement des prairies, les systèmes d’élevage seront plus ou moins extensifs. L’Irlande se démarque ainsi par sa densité animale et ses débouchés. La filière laitière y tire parti du climat favorable à la pousse de l’herbe et affiche les coûts de production les plus bas d’Europe, tout en valorisant l’image « verte » des paysages bocagers. Près de 90 % du lait irlandais est exporté. Au contraire, les élevages qui entretiennent des zones humides, des pelouses sèches, des causses arides ou des alpages ont une productivité et une ren-tabilité en général faibles. Les aides publiques compensent en rémunérant leur rôle dans le maintien d’écosystèmes et de paysages remarquables.

Le bouquet de services privilégie l’image de qualité des produits (souvent au travers d’AOP), la préservation de l’environnement et une identité locale à haute valeur patri-moniale (figure 8.6). Les perturbations climatiques et la prédation peuvent être parfois des contraintes fortes. L’emploi direct et indirect varie fortement selon la présence ou non d’entreprises de transformation alimentaire et d’agrotourisme. La relative faible pro-ductivité agricole par hectare ne pénalise pas, en général, le revenu des éleveurs, qui peut être comparable à celui des systèmes ayant des effectifs animaux bien supérieurs. Mais, dans une conjoncture économique difficile, les territoires herbagers sont soumis à la double menace de l’intensification et de l’abandon.

Les marges de manœuvre se situent entre ces deux menaces. Les compromis les plus intéressants consistent généralement à diversifier l’agencement fonctionnel des usages du sol (parcelles, haies, murets, forêts, etc.). Les paysages de bocage sont exemplaires à cet égard : leur cohésion spatiale permet des corridors pour la faune sauvage et la valorisation des haies en bois énergie. À l’échelle de l’exploitation, la diversification des conduites de pâturage ou de fauche est aussi favorable. Les projets de territoire, les gou-vernances territoriales de filières et des outils juridiques comme le bail rural environne-mental peuvent faciliter l’élaboration de nouveaux compromis. En 1993, la Suisse a ainsi adopté le principe des surfaces de compensation écologique, ouvrant droit à rémunéra-tion sur 7 % des terres.

Granges des territoires de cohabitation entre cultures et élevages. La grange Tarn-Aveyron qui a servi à décrire la grange dans le chapitre 7 (figure 7.1) représente un système éco-efficace d’agriculture lorsque les complémentarités entre cultures, élevage et prairies sont effectives : bouclage des cycles biogéochimiques, réciprocité des échanges « aliments contre fertilisants », hétérogénéité des paysages. Mais ces complémentarités ne sont souvent que très partielles, et l’on a souvent affaire à un bouquet de services appauvri du fait d’une dissociation et du recul de l’élevage. La concurrence foncière profite en effet aux cultures, dont le développement a été favorisé de longue date par

un marché porteur et des subventions (aides du 1er pilier de la PAC, irrigation, drainage),

comme c’est le cas dans le Montmorillon. Quant aux exploitations de polyculture-élevage, leur repli résulte en général d’un déficit de main-d’œuvre et/ou d’organisation du travail au sein de l’exploitation.

Dans ces territoires, un large portefeuille d’innovations peut être combiné au niveau des exploitations ou des territoires. Les leviers d’action peuvent s’appuyer sur la diversification

des rotations pour accroître l’autonomie des cultures et des élevages d’une part, et sur la valorisation de la qualité des produits d’autre part. Les coopératives peuvent jouer un rôle dans l’organisation de cette polyculture-élevage locale, car celle-ci se heurte avant tout à des contraintes logistiques (transport, stockage, marchés de niche). Réactualiser des pratiques telles que le pâturage des résidus de cultures, y compris en hiver, ou bien la libre circulation dans les bandes enherbées des vergers (canards/oies sous noyers) ou des vignes (moutons) sont des pratiques gagnantes à plusieurs points de vue, dont une maîtrise sans pesticides des ravageurs et des adventices.

Granges des élevages urbains et périurbains. Les espaces urbains et périurbains euro-péens ont, jusqu’ici, été peu étudiés comme lieux d’élevage (mais c’est le cas dans les pays du Sud). Différentes formes d’élevage y coexistent pourtant : élevages profession-nels ou amateurs, pratiqués de manière intensive ou extensive, destinés à des marchés de commodités ou à la vente directe, tournés vers les loisirs ou l’autoconsommation, laquelle est loin d’être marginale dans les pays d’Europe orientale.

Les attentes sont diversifiées. La production des exploitations périurbaines n’est pas for-cément destinée à l’alimentation de la ville proche, mais la proximité de métropoles joue. L’élevage reste par exemple particulièrement dynamique autour d’Athènes et des sites touristiques grecs, pour répondre à la demande en vente directe. Les AOP Bleu de Gex et Brie de Meaux et de Melun tirent bénéfice des villes alentour. Mais surtout, l’élevage équin de loisir tend à devenir un indicateur de périurbanité dans plusieurs pays euro-péens (France, Suède, Écosse). Les fermes pédagogiques, qui abritent systématique-ment des animaux, sont égalesystématique-ment de préférence situées dans les espaces périurbains

Figure 8.8. Schéma de bouquets de services correspondant

aux territoires de cohabitation entre cultures et élevages. Exemples des granges du Montmorillonnais (à gauche), où l’élevage recule au profit des grandes cultures, et du Tarn-Aveyron (à droite),

où l’association entre les cultures et des formes d’élevage diversifiées est plus équilibrée.

des grandes villes. Les fermes du care (Hassink et al., 2013), qui se développent, le sont aussi, et les projets de valorisation énergétique des déchets urbains s’intéressent de plus en plus aux effluents des élevages.

La proximité entre élevages et zones résidentielles cause des nuisances aux riverains. C’est pourquoi la tendance lourde est que la ville repousse l’élevage vers l’arrière-pays rural. La pression foncière restreint aussi l’espace agricole et pousse, paradoxalement, à l’intensification de l’élevage alors même qu’elle génère plus de nuisances. L’éparpillement des parcelles, le recul des infrastructures industrielles et de services (vétérinaires, usines de transformation, abattoirs) découragent aussi l’élevage, de même que les politiques d’urbanisme, qui protègent souvent le maraîchage mais pas l’élevage.

Pourtant, des travaux aux Pays-Bas et au Danemark pointent que les zones d’élevage situées à proximité immédiate des principales agglomérations offrent des bouquets de services larges et équilibrés (van Oudenhoven et al., 2012 ; Turner et al., 2014). Outre la relocalisation de l’alimentation prônée par de nombreuses agglomérations urbaines, d’autres arguments environnementaux peuvent justifier le maintien de l’élevage her-bager à proximité des zones urbaines : l’entretien des espaces verts et des friches, la lutte contre les risques d’incendie ou d’inondation, la protection des aires de captage d’eau et l’attrait paysager. En Suède, les éleveurs installés à proximité de Stockholm perçoivent par exemple des indemnités en contrepartie de leur entretien des paysages (Hochedez, 2014). Les politiques en faveur des trames vertes et bleues en France amènent égale-ment à de nouveaux modes de gestion des espaces qui peuvent inciter à réintroduire l’élevage, en particulier ovin et équin.

Figure 8.9. Schéma de bouquets de services correspondant aux territoires urbains (à gauche) et périurbains (à droite), où la présence des animaux, marginale, associe des activités professionnelles et amateurs. L’élevage y rend des services de loisir, d’entretien et à visée sociale ou thérapeutique.

Conclusion

La typologie proposée dans ce chapitre a permis d’illustrer et d’organiser la diversité des territoires européens d’élevage. Elle peut être mobilisée pour penser les marges de manœuvre et les trajectoires d’évolution des systèmes d’élevage européens. Remplacer les intrants exogènes par des services fournis par l’écosystème local modifie non seu-lement les interfaces « intrants » et « environnement-climat », mais aussi celles sur l’emploi, les marchés et les enjeux culturels et patrimoniaux, en modifiant à la fois les paysages, l’origine des matières premières, les possibilités de labellisation et de valo-risation des produits.

Conclusion

Un é tat des connaissances sur les impacts