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For ces et faiblesses de la grange

Le principal intérêt de la grange est la possibilité d’intégrer des connaissances hété-rogènes. Lorsqu’aucun indicateur validé n’est disponible, le savoir technique ou empi-rique local peut prendre le relais et combler les lacunes des connaissances scientifiques. La perception de l’esthétique paysagère, par exemple, est difficilement quantifiable. Par ailleurs, les données chiffrées ne sont pas toujours disponibles à l’échelle territoriale considérée ; c’est par exemple le cas des importations de concentrés pour l’alimentation du bétail ou des émissions de GES liées à l’élevage. Toutes les variables sont néanmoins identifiables dans le schéma, bien qu’elles ne s’expriment pas dans les mêmes unités.

Figure 7.3. Photographies du prototype du jeu sérieux « La grange » (A, © Bertrand Dumont/Inra) et d’un groupe d’éleveurs

et de chercheurs lors d’une animation sur l’avenir de la Fourme de Montbrison (B, © François Johany/Inra).

A

Par ailleurs, les évaluations multicritères et les méthodes d’examen des bouquets de ser-vices (chapitre 6) opèrent des regroupements entre indicateurs, ce qui peut suggérer que les effets négatifs sur une dimension pourraient être contrebalancés par une améliora-tion sur une autre. Or la prudence s’impose d’une part en raison de la nature complexe des interactions, et d’autre part parce que les acteurs évaluent les impacts et services de l’élevage en se référant à leur propre système de valeur (Clark et al., 2017). Une des principales innovations de la grange est justement qu’elle permet de représenter expli-citement tous les effets de l’élevage, sans les regrouper derrière quelques indicateurs simplificateurs, ni préjuger de leur importance relative. Par conséquent, aucun risque, coût ou bénéfice n’est a priori exclu de la représentation graphique.

La grange est utile pour faire comprendre qu’il n’existe pas de cas idéal, dans la mesure où toutes les régions d’élevage ont des avantages et des inconvénients, mais que les impacts et services peuvent être plus ou moins équilibrés.

Faire l’exercice de construire une grange ouvre un espace de dialogue entre les acteurs et experts du territoire concerné. Il permet l’expression de points de vue divergents. La représentation finale traduit de fait le diagnostic partagé des experts impliqués. L’outil graphique est modulable à l’envi. Il peut facilement être adapté en modifiant ou en ajoutant des composantes et des variables. Quelque 24 granges ont été construites à partir d’études de cas réalisées en France, en Irlande, en Espagne, en Suisse et en Allemagne. Telle qu’expérimentée avec un plateau de jeu, la grange s’avère un outil de la science par-ticipative. Son utilisation convient à une grande diversité de parties prenantes : agricul-teurs, industriels, conseillers, coopéraagricul-teurs, décideurs, militants associatifs, résidents, etc. En permettant d’identifier rapidement les relations entre les caractéristiques du sys-tème et leurs effets, elle s’avère particulièrement accessible et ouverte à des expertises savantes ou vernaculaires.

Tout acteur peut souligner les enjeux qu’il juge pertinents et faire part de son point de vue sur les synergies et verrous visualisés à l’aide de la grange. L’échange peut permettre d’identifier des leviers d’action pour aller vers de nouveaux compromis. Bien que peu fré-quentes, les solutions « gagnant-gagnant » émergent généralement lorsque les décisions incluent le point de vue de diverses parties prenantes (Howe et al., 2014). Les arbitrages peuvent être trouvés au niveau local par des changements de pratiques (par exemple en modifiant des pratiques d’épandage) ou bien renvoyer à un niveau plus global et plus « diffus », par exemple en modifiant le comportement des consommateurs.

Comme pour toute représentation visuelle, la portée heuristique de la grange reste tou-tefois limitée, car toutes les interactions ne peuvent pas être décrites. Certaines compo-santes ne peuvent pas être visualisées facilement dans le schéma, c’est le cas des réseaux de relations ou des savoir-faire, bien qu’ils contribuent à la dynamique du système. La grange ne rend pas bien compte de la diversité des formes d’élevage qui y coexistent. Elle fait principalement ressortir les effets générés par les systèmes dominants. Cette critique rejoint celle qui peut être formulée à l’encontre des cartographies de services.

Le schéma se concentre sur les interactions liées aux systèmes d’élevage. D’autres points de vue sont également pertinents, comme les systèmes alimentaires (suggéré par Sabate

et al., 2016), dans lesquels l’accent est mis sur les consommateurs et la santé. On

pour-rait imaginer d’autres graphiques, en conservant le même principe que la grange. La grange repose sur une représentation spatiale en référence à l’utilisation des terres. L’espace peut être une ferme, une petite région (un bassin-versant, un canton), la zone correspondant à une filière ou un territoire administratif ayant une cohérence politique ou économique. Tous les territoires imbriqués ne peuvent pas être représentés dans une même grange. Néanmoins, l’interface « Intrants » permet de considérer les impacts délo-calisés associés aux importations de ressources non renouvelables, tandis que l’inter-face « Marchés » inclut les débouchés et pressions associés au commerce international. Les impacts globaux (donc extraterritoriaux) sont également pris en compte dans l’inter-face « Environnement et climat ».

Enfin, la grange est une représentation statique. Les irréversibilités et les non-linéarités ne sont pas explicitement représentées. Néanmoins, décrire une grange amène à mettre en perspective historique les composantes du système et les rapports de force. Une succession de granges peut ainsi aider à comprendre les étapes d’une trajectoire de changement. On peut également projeter les effets de différents scénarios prospectifs à partir d’une grange initiale.

Conclusion

Le système de représentation baptisé « la grange » intègre des connaissances hété-rogènes sans contraintes de compatibilité entre elles (unités, échelles…). Elle permet de représenter simultanément les effets positifs, négatifs, et les interrelations entre les composantes du système afin de comprendre les synergies, antagonismes, et d’expli-citer les compromis établis dans chaque cas de figure étudié. Comparer des granges entre elles met en relief les choix implicites ou explicites des acteurs ainsi que leurs effets. La grange comporte donc une visée didactique et pédagogique. Comme toute représenta-tion graphique, elle est limitée par les simplificareprésenta-tions qu’on y opère et par la dimension statique de sa représentation.

8. Les territoires