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Cartographier les bouquets de services

Cartographier les bouquets de services

Plusieurs études récentes portant sur des paysages ou des régions d’Europe ont carto-graphié les services écosystémiques associés aux régions agricoles. Ces travaux visent notamment à éclairer les politiques publiques, le niveau et l’équilibre entre services éco-systémiques étant généralement le signe d’un développement plus durable.

Tableau 6.1. Panorama des principaux services écosystémiques rendus par les prairies selon leur diversité fonctionnelle, leur contribution aux rotations des cultures et leur contribution au paysage, pour l’agriculture (services intrants) et pour la société. D’après Duru et al. (2019).

Diversité fonctionnelle des prairies

Prairies temporaires insérées dans des rotations culturales

Prairies permanentes insérées dans des mosaïques paysagères Production fourragère, flexibilité

dans le management + + + + 0

Services écosystémiques intrants

Régulations biologiques + + + + + +

Fertilité du sol

(structure du sol, nutriments) + + + + + Stabilité des sols

(contrôle de l’érosion) 0 + + + + + + Pollinisation + + + 0 0 Services écosystémiques pour la société Qualité de l’eau + + + + + + Séquestration du carbone + + → + + 0

Modération des événements extrêmes (inondations, incendies…)

0 + + +

Opportunités pour des activités

L’activité productive des systèmes agricoles est classiquement représentée parmi les « services d’approvisionnement », sans distinction entre la part de la production fournie par les agroécosystèmes et celle provenant de l’utilisation d’intrants d’origine anthro-pique. Bien que le terme « services écosystémiques » soit alors utilisé, il s’agit d’un abus de langage, puisque la production de denrées alimentaires ne constitue pas un service écosystémique au sens strict.

Selon les études, les productions animales sont (Turner et al., 2014) ou ne sont pas (Kirchner et al., 2015) distinguées des autres productions agricoles. L’étude danoise (Turner et al., 2014) révèle une colocalisation de l’élevage et des grandes cultures dans des territoires agricoles productifs nettement distincts de ceux où prédomine la forêt ; entre les deux, quelques territoires qualifiés de multifonctionnels présentent des bouquets de services plus « équilibrés », dans lesquels on trouve notamment les espaces périurbains. Ceci a également été mis en évidence aux Pays-Bas (van Oudenhoven et al., 2012). Dans les espaces périurbains, l’élevage, au-delà de sa fonction productive, répond aux attentes de loisirs des citoyens : centres équestres, entretien d’espaces attractifs à proximité immédiate des villes… Il rend également différents services de régulation environnementale, les prairies limitant les risques de crues par exemple. En Autriche, Kirchner et al. (2015) montrent également une ségrégation spatiale entre des zones dédiées à la production qui contribuent for-tement au produit national brut, et d’autres propices à la préservation de la bio-diversité. Ces dernières sont caractérisées par leur « naturalité » et contribuent à la régulation du climat. Le revenu agricole y est supérieur en raison des subventions agro- environnementales. À l’échelle de l’Europe, Maes et al. (2012) constatent une hausse de la fourniture de services écosystémiques le long d’un gradient de biodi-versité croissant, jusqu’à un certain seuil au-delà duquel ils restent stables. Dans cette étude, les territoires d’élevage fourniraient peu de services de régulation et de services culturels comparés à la forêt ou aux zones humides, avec toutefois une plus forte probabilité de concilier production et conservation de la biodiversité lorsque les densités animales décroissent.

Ces cartographies ont néanmoins plusieurs limites. Le choix des indicateurs et le grain auquel on divise l’espace sont largement contraints par la disponibilité des don-nées. Les cartes correspondent alors à une projection statique de l’effet des systèmes agricoles régionaux dominants et gomment la diversité des systèmes d’élevage qui coexistent au sein des territoires. Certaines études (Jopke et al., 2015) ne prennent pas en compte les animaux élevés hors-sol dont l’alimentation est déconnectée du territoire. À la différence des travaux précédemment mentionnés, cette étude ne révèle aucune corrélation négative entre les densités animales et la fourniture de ser-vices de régulation ou l’usage récréatif des espaces. Cet exemple illustre combien la sélection des critères affecte les résultats et, par ricochet, les orientations et recom-mandations que les acteurs pourraient tirer de la lecture de ces travaux. Au-delà de cet exemple, les cartographies des services écosystémiques ne considèrent que les

données in situ. Les impacts délocalisés (Chaudhary et Kastner, 2016) ne sont pas intégrés. Une autre grosse limite de ces travaux porte sur leur propension à agréger la production dans un seul indicateur, par exemple la biomasse totale produite par

Figure 6.3. Types de bouquets de services rendus par l’élevage dans les territoires en France. D’après Ryschawy et al. (2017).

l’agriculture (Palomo et al., 2014 ; Kirchner et al., 2015). Ces agrégations peuvent dis-tinguer les productions végétales et animales, comme dans l’étude de Turner et al. (2014) au Danemark, mais ne rentrent toutefois pas dans le détail, or la production laitière et celle de porcs, par exemple, ont des impacts et services très différents. Enfin, ces travaux cartographiques montrent des corrélations mais en général pas de relations de cause à effet. Dans la plupart des cas, l’analyse porte seulement sur les cooccurrences entre services et impacts.

Une étude réalisée en France métropolitaine (Ryschawy et al., 2017) a élargi l’approche des services écosystémiques à la contribution des activités issues de l’élevage d’une part à la vitalité rurale (nombre d’emplois et leur qualité dans l’élevage, dans les indus-tries amont et aval des filières et la recherche-développement), et d’autre part à la vie culturelle (gastronomie, paysages culturels, races emblématiques…). Ces services « sociaux » sont jusqu’à présent négligés (Beudou et al., 2017). L’investigation a éga-lement distingué les filières lait, viandes de ruminants, viandes de monogastriques et œufs. Les données et indicateurs ont été collectés dans les statistiques administratives et professionnelles. Les auteurs ont identifié quatre types de régions selon les services fournis (figure 6.3) : le premier (en rose) fournit un haut niveau de production et d’emploi dans des régions denses en animaux, mais est corrélé à des impacts environnementaux négatifs ; le deuxième (en vert) offre une plus grande diversité de services environne-mentaux, mais un moindre approvisionnement, et correspond aux territoires d’élevages de ruminants nourris à l’herbe ; le troisième (en bleu) est principalement associé aux services environnementaux et culturels liés aux zones pastorales de haute valeur envi-ronnementale ; dans le quatrième (en gris), les cultures dominent le paysage, l’élevage fournit des services mais de manière minoritaire. Dans ce travail, le choix a été fait de représenter uniquement les services rendus par l’élevage (soit ses effets positifs). La représentation des effets négatifs de l’élevage n’a pas été retenue, au motif d’un risque de double comptage. Parmi les indicateurs retenus, certains révèlent toutefois des nui-sances : c’est le cas de la qualité de l’eau, qui traduit les problèmes de pollution des eaux liés à l’élevage.