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LES GRANDS PRINCIPES DU SYSTÈME ORTHOGRAPHIQUE DU FRANÇAIS : ANALYSE DES GRAPHÈMES

D’ADULTES ET DE JEUNES ADULTES

CHAPITRE 2. L’ORTHOGRAPHE DU FRANÇAIS ET SES DIFFICULTÉS DU FRANÇAIS ET SES DIFFICULTÉS

3. LES GRANDS PRINCIPES DU SYSTÈME ORTHOGRAPHIQUE DU FRANÇAIS : ANALYSE DES GRAPHÈMES

Pour éclairer notre étude sur la capacité d’écriture chez les adultes, nous proposons à présent, après avoir mis en évidence le fonctionnement général de l’orthographe du français, une description du système orthographique basée sur les graphèmes. En 1988, Pellat a proposé

un inventaire des différentes définitions du graphème, terme dont l’apparition est, selon lui, tardive. Il serait apparu pour la première fois dans la littérature en 1907, dans un article publié par le linguiste Polonais Baudoin de Courtenay.

Pendant longtemps, le terme graphème a été considéré comme synonyme du mot lettre et le graphème comme l’équivalent graphique du phonème. Dans cette optique, le point de vue adopté est celui de l’oral et la façon d’envisager l’écrit est subordonnée à l’oral. Pour Pellat (1988), il a fallu attendre les années 1970 pour qu’un déplacement s’opère vers l’étude des spécificités de l’écrit et pour qu’une véritable réflexion sur le fonctionnement des systèmes d’écriture voie le jour et que le graphème soit considéré comme l’unité de base de l’écrit (Blanche-Benveniste et Chervel, 1969 ; Gak, 1976, Catach et al., 1980). L’inventaire des définitions qu’il propose met au jour quatre types de définition du graphème, dont la dernière nous intéresse plus particulièrement. Le graphème y est considéré comme « [… une unité

graphique polyvalente, dont le rôle varie selon les systèmes d’écriture. » (Pellat, 1988 : 133).

Cette approche fonctionnelle de l’orthographe est décrite par le groupe HESO (1980, 1995) à partir de la notion de plurisystème orthographique, qui selon lui est une bonne façon de représenter l’imbrication des différents niveaux linguistiques en jeu dans le fonctionnement de l’écriture du français, en y incluant les unités significatives (par exemple les morphogrammes), qui donnent à voir du sens. Ce système est donc mixte et cette notion de mixité des systèmes d’écriture a été développée par un linguiste comme Jaffré, avec deux principes à l’œuvre : la phonographie et la sémiographie (Fayol et Jaffré, 2014, 2016).

Nous nous appuierons sur les travaux de Catach et collaborateurs, mais aussi sur ceux de Blanche-Benveniste et Chervel (1969) et notamment sur les valeurs des graphèmes qu’ils proposent, en lien avec la chaine sonore. Selon la définition de Pellat (1988 : 133), Blanche-Benveniste et Chervel (1969) considèrent que « le graphème, simple ou composé, représente

le phonème ». Leur organisation des graphèmes prend en considération la place qu’ils

occupent dans le mot et leur valeur est donc liée à leur environnement à l’intérieur du mot. Ces deux approches du graphème serviront de support pour expliquer les difficultés rencontrées par les scripteurs dans la dictée d’IVQ.

Au préalable, il nous semble intéressant de commencer par quelques considérations rapides sur le code abordé du point de vue du scripteur et du lecteur, au niveau de l’encodage et du décodage.

AU PRÉALABLE : ENCODAGE ET DÉCODAGE

Nous l’avons vu, le code phonographique représente l’ensemble des correspondances entre phonèmes et graphèmes. Pour Catach (1995), le français comporte environ 130 graphèmes

pour 36 phonèmes ; pour Jaffré (2008) ce nombre peut même aller jusqu’à 175 unités. Cette divergence sur le nombre de graphèmes dépend de la méthode de comptage utilisée. Pour Jaffré (2008), cette divergence qui fait apparaitre une large fourchette (comprise entre 130 et 175 unités) pour une trentaine de phonèmes, est révélatrice de la complexité de l’encodage du français.

Par exemple, doit-on considérer que dans ALCOOL, on a un dédoublement du graphème « o », avec une valeur simple, ou un graphème spécifique « oo », que l’on peut considérer comme relevant de graphèmes marginaux, mais qui se distingue de « o » comme « ç » se distingue de « c » ? À cela il faut ajouter que la suite « oo » peut se lire de deux manières, si l’on compare les mots ALCOOL et COOL : dans le second cas il s’agit bien sûr d’un anglicisme, mais le problème qui se pose au lecteur montre bien la difficulté pour analyser les graphèmes et notamment compter le nombre de graphèmes différents à l’intérieur du système orthographique.

Le fait que l’orthographe du français dispose de beaucoup plus de graphèmes que de phonèmes pose en fait davantage de difficultés en production qu’en réception « Les analyses

statistiques montrent que l’orthographe française est régulière à 96% dans les correspondances graphèmes-phonèmes. Elle ne l’est en revanche qu’à 71% pour les correspondances phonèmes-graphèmes. » (Jaffré, 2008 : 115). Le scripteur doit donc souvent

choisir entre des possibilités graphiques concurrentes et ce choix est d’autant plus important que de nombreux graphèmes ont des fonctions distinctives ou morphologiques. Pour sélectionner le bon graphème, le scripteur doit faire appel à différents processus qui varient en fonction de son âge et de son niveau de compétences.

D’un point de vue psycholinguistique, Lété (2008) rejoint les constats des spécialistes du français écrit : il souligne que les connaissances en phonologie ne suffisent pas pour être performant en lecture et en écriture. Les compétences en morphologie ont un impact important sur l’apprentissage du français, en production comme en réception et ce sont les marques flexionnelles qui posent particulièrement problème à l’écrit (marques de nombre silencieuses, formes morphologiques homophoniques comme MANGE vs MANGENT, AMI vs AMIE, etc.). Différentes observations sur l’impact de la fréquence d’occurrences de certaines formes ont été faites. On peut citer une surgénéralisation de la flexion « -s » pour marquer le nombre (ILS MANGE-S, ILS ONT MANGÉ-S), en lien avec la fréquence de certaines marques ou le fait que les connaissances finales muettes semblent mieux réalisées lorsque le mot possède un dérivé (le d de BAVARD serait mieux réalisé que celui de BUVARD). Nous présentons dans la section 2 du chapitre 3 (consacré aux apports de la psycholinguistique) différents travaux

consacrés à l’acquisition de la morphologie flexionnelle (Thévenin et al., 1999 ; Pacton et al., 2002 ; Fayol et Miret, 2005) et de la morphologie dérivationnelle (Pacton et Casalis, 2006 ; Béguin et al., 2010. Ainsi les connaissances flexionnelles et dérivationnelles peuvent permettre de lever certaines incertitudes quant à la graphie de finales muettes (BAVARDAGE > BAVARD ; GRISE > GRIS), même si nous le verrons, l’apport de ces connaissances sur la réussite orthographique est à nuancer.

Ces notions de flexion et de dérivation, ou encore de morphologie et d’homophonie sont au cœur de l’analyse des difficultés d’encodage et de l’analyse du code lui-même, comme nous allons le voir à présent en traitant de l’approche linguistique de l’orthographe du français et en particulier de sa polyvalence : quelle(s) information(s) apportent les graphèmes, si ce n’est pas seulement la relation entre graphème et phonème ?

3.1. LE « PLURISYSTÈME » DU FRANÇAIS : GRAPHÈMES, SOUS-GRAPHÈMES

ET ARCHIGRAPHÈMES (CATACH, 1980)

Le groupe HESO (Catach, 1980), conçoit l’orthographe du français comme faisant partie d’un « plurisystème » dans lequel trois éléments indissociables - le phonème, le graphème et le lexème - fonctionnent en synchronie. Ces trois éléments, dont l’unité graphique de base et de description est le graphème, entrent eux-mêmes en combinaison syntaxique pour former la phrase.

Dans la lignée des travaux du groupe HESO, nous partageons également la définition du graphème (que nous détaillons ci-dessous), comme l’unité de base permettant la description du code orthographique, mais aussi la description des difficultés des scripteurs et des erreurs d’encodage.

En tant qu’unité fonctionnelle de l’écrit, Catach décrit le graphème de la façon suivante :

« Le graphème représente la plus petite unité distinctive et /ou significative de la chaine écrite, composée d’une lettre, d’un groupe de lettres (digramme, trigramme), d’une lettre accentuée ou pourvue d’un signe auxiliaire, ayant une référence phonique et/ou sémique dans la chaine parlée. » (Catach, 1980 : 16).

Le plus souvent, le graphème transcrit donc un phonème (« s » qui représente /s/), mais il peut également être muet et avoir une fonction grammaticale (le « -s » de TABLES) ou avoir une fonction lexicale (le « -s » de gris).

3.1.1. CATÉGORIES DE GRAPHÈMES

Au sein de la structure complexe que constituent les graphèmes, Catach et al. (1980) classent ces derniers en trois catégories : les phonogrammes, les morphogrammes et les logogrammes. 1/ Les phonogrammes représentent le stock des graphèmes qui correspondent directement aux phonèmes et sont donc chargés de transcrire les sons. Dans cette zone centrale du système (dans laquelle on retrouve un noyau essentiel d’archigraphèmes32), les signes s’assemblent selon leurs variantes positionnelles (formes et valeurs diverses qu’ils peuvent prendre selon leur position). Toujours selon Catach et al., l’orthographe du français est phonogrammique à 85%, ce qui lui offre une étonnante stabilité « […] les fondations de notre

écriture sont bel et bien phonétiques ou plutôt phonogrammiques : 80 à 85% des signes d’un texte quelconque sont chargés en français de transcrire les sons. » (Catach et al., 1980, 28). En

revanche, les phonogrammes ne rendent pas compte des unités de l’écrit qui n’ont pas de lien avec l’oral. C’est pour cela que le principe phonogrammique se double d’un principe morphogrammique.

2/ Les morphogrammes sont les représentations graphiques des morphèmes, qui sont les plus petites unités graphiques dotées d’un sens lexical et d’un sens grammatical. Les morphogrammes fournissent donc des informations grammaticales et lexicales : désinences, flexions verbales, préfixes, suffixes, etc. Les informations qu’ils apportent sont parfois absentes de l’oral (par exemple le « -s » du pluriel nominal dans LES FROMAGES ou le « -t » de FORT). Selon Jaffré (2005), leur forte présence dans l’orthographe du français en fait une de ses principales spécificités mais aussi sa difficulté.

3/ Les logogrammes ou figures de mot, selon la définition du groupe HESO, correspondent à

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