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L’APPORT DE LA RECHERCHE SUR LA CONNAISSANCES DES COMPÉTENCES À L’ÉCRIT DES ADULTES FAIBLEMENT LITTÉRACIÉS

CHAPITRE 1. LA LITTÉRACIE, UN CADRE POUR REPENSER L’ILLETTRISME POUR REPENSER L’ILLETTRISME

1. LA LITTÉRACIE, UN CADRE POUR REPENSER L’ILLETTRISME

1.3. LA LITTÉRACIE : UNE APPROCHE RÉCENTE DES COMPÉTENCES À L’ÉCRIT

1.3.1.2 L’APPORT DE LA RECHERCHE SUR LA CONNAISSANCES DES COMPÉTENCES À L’ÉCRIT DES ADULTES FAIBLEMENT LITTÉRACIÉS

En dépit d’une alphabétisation systématique, prolongée et établie depuis longtemps en France, il subsiste au XXIème siècle, une population en difficulté avec l’écrit dont les caractéristiques et les compétences à l’écrit sont mal connues. L’apport des dernières enquêtes sur la littéracie (comme IVQ) a permis de rendre compte de la diversité de profils des personnes en difficulté face à l’écrit et de l’inégalité des conséquences que leurs difficultés ont sur leur quotidien (Guérin-Pace, 2009). Et c’est justement le fait que leur profil soit si varié (toutes les tranches de la population sont touchées) et que leur insertion sociale soit si différente (certains sont en activité professionnelle alors que d’autres vivent en marge de la société), qu’il est si difficile de savoir avec précision en quoi consistent leurs difficultés. Quelques recherches se sont intéressées à ce public, notamment dans le domaine de la psychologie cognitive, mais elles ont été réalisées auprès d’un nombre restreint de sujets et souvent dans un contexte en particulier (jeunes en échec scolaire, dyslexiques, etc.) qui empêche la généralisation des résultats. Eme (2010 : 759) recense les études menées en psychologie cognitive sur des personnes considérées comme illettrées et conclut par :

« Functional illiteracy could, in many cases, be the consequence of dyslexia that has slipped through the diagnostic net in childhood ». Les résultats recensés par Eme (2010) rapportent

néanmoins que plusieurs caractéristiques sont communes aux différentes études, quelle que soit la population interrogée : des connaissances insuffisantes dans le domaine de la phonologie et de la morphologie, de bonnes connaissances en compréhension (meilleures que celles des enfants qui correspondent au même niveau de compétence en lecture) et le fait que pour écrire, ces publics semblent davantage faire appel à leurs connaissances lexicales. D’autres rares données décrivent des profils de performance inattendus. Nous citons par exemple les travaux de Holmes (1996), dont les résultats ne peuvent pas non plus être étendus (au vu de la taille de l’échantillon) mais qui illustrent la diversité des profils de scripteurs en difficulté.

Holmes (1996) présente dans une étude de cas, le profil d’une étudiante qui présente un Quotient Intellectuel verbal moyen et de faibles capacités phonologiques mais qui a obtenu d’excellentes performances orthographiques dans les tests. Cette étudiante apparait parmi les 20% d’étudiants les meilleurs en compréhension de texte et montre une très bonne maitrise de l’orthographe. Cette étude interroge sur les relations entre lecture et production écrite, même si ici, le cas semble plutôt pathologique. Fayol (2013) rapporte que d’autres études montrent que certains adultes qui n’ont aucune difficulté en lecture et en compréhension présentent en revanche un niveau de production écrite faible (souvent corrélé avec un passé de dyslexique). Il est également admis qu’il existe une « asymétrie » entre les performances en lecture et celles en orthographe ; cette asymétrie étant aujourd’hui attestée dans tous les systèmes orthographiques : « […] certains individus se situent de manière

extrême sur cette asymétrie : ils lisent parfaitement mais rédigent en produisant de très fréquentes erreurs. » (Jaffré et Fayol, 2014). Les études actuelles en psycholinguistique (Lété

et al., 2008 ; Lété, 2018) montrent que la corrélation entre la lecture et les performances orthographiques s’inscrivent plutôt en terme de fréquence d’exposition aux mots (et cette corrélation s’établit donc probablement en lien avec le temps consacré à l’activité de lecture). Les exigences en matière d’orthographe sont en effet bien plus fortes en production écrite qu’en lecture, à cause du nombre de configurations possibles pour transcrire un même phonème. On peut donc être un lecteur efficace mais un scripteur dont l’orthographe pose problème. En revanche, être un lecteur régulier (et cela depuis l’enfance) semble prédisposer à de bonnes connaissances en matière d’orthographe.

Selon le postulat de l’existence d’un lexique orthographique disponible en mémoire, subsiste la question d’un lexique orthographique unique, qui serve autant pour les activités de lecture que pour celles d’écriture.

Holmes (1994) a comparé les productions orthographiques de deux groupes d’étudiants dont le niveau d’orthographe est très contrasté : des bons en orthographe vs des faibles en orthographe mais qui ont les mêmes pratiques de lecture. Les résultats montrent que si les erreurs d’ordre phonographiques ne varient pas entre les deux groupes, les étudiants faibles en orthographe font en revanche davantage d’erreurs sur les formes orthographiques qui présentent une forme orale différente de la forme écrite. Dans une autre étude, Holmes a demandé à des adultes de reproduire sous la dictée des mots complexes puis d’évaluer leurs réponses et enfin de les corriger. Cette étude montre dans un premier temps, que les enquêtés utilisent des formes graphiques qui semblent être stabilisées en mémoire et qu’ils ont reproduits à plusieurs reprises au cours de l’exercice, même lorsque celles-ci sont erronées. La plupart se déclare satisfaits de leurs productions, même lorsque celles-ci sont

erronées. Ils n’ont par ailleurs fait que peu de modifications lorsqu’on leur en a donné la possibilité et ces modifications ont apporté presque autant d’améliorations que d’erreurs (39% d’améliorations vs 36% d’erreurs).

Ces différents travaux vont plutôt dans le sens de l’existence d’un seul lexique stabilisé en mémoire, qui serait constitué de formes stables conformes ou non à l’orthographe normée. D’autres études comportementales (brièvement présentées par Jaffré et Fayol, 2014) ont utilisé l’amorçage pour déterminer sous quelle forme orthographique les mots sont mémorisés. L’amorçage se produit lorsqu’un individu perçoit, reconnait, prononce ou écrit un mot plus rapidement parce qu’il a au préalable lu cet item (il s’agit d’un amorçage de répétition) ou parce qu’il a lu un autre item qu’il relie à celui qu’il doit écrire parce que sa forme orthographique ou phonologique est proche (ou même parce que cet item est proche d’un point de vue sémantique). Les résultats de ces études montrent que les items rencontrés au préalable sont mieux restitués, ce qui suggère que les participants utilisent bien un lexique orthographique unique, en lecture comme en écriture.

1.3.2. LES ENSEIGNANTS ET LA NORME ORTHOGRAPHIQUE

Il existe toute une tranche de la population qui occupe un emploi au sein duquel il n’est socialement pas autorisé d’être en difficulté avec l’orthographe, en particulier parce que leur niveau d’étude doit signifier de bonnes compétences dans ce domaine. Par exemple, la société n’accepte pas qu’un enseignant puisse faire des erreurs d’orthographe. Pour autant, ceux qui sont censés être à l’aise dans ce domaine le sont-ils vraiment ? Si l’on reprend les conclusions des spécialistes de l’orthographe, aucun scripteur, même expert, ne maitrise l’intégralité de l’orthographe du français.

Le scripteur, nous l’avons vu notamment pour la morphologie flexionnelle, a de bonnes raisons d’être perdu. Entre l’application de règles dans des configurations de phrases qui sont complexes et les cas particuliers qui divisent même les puristes (« DE BONS LIVRES, J’EN AI BEAUCOUP6 – LU ou LUS ? »), le scripteur ne peut que douter des choix qu’il fait, tout en craignant la « faute » qui le dévalorisera aux yeux de son lecteur (Lucci et Nazé, 1979). En 2008, Péret, Sautot et Brissaud ont mené une enquête sur 4 ans auprès de futurs professeurs des écoles (d’abord en formation) puis lauréats du concours, en poste. Cette étude avait pour objectif de mettre en lien leurs performances orthographiques avec leurs

6 Les graphies qui relèvent d’exemples sont reproduits en majuscules dans le manuscrit, pour les différencier des graphies qui ont été produites par les enquêtés et que nous reproduisons en minuscules.

discours sur l’orthographe lorsqu’ils sont en formation. Dans un deuxième temps, l’objectif était de relier ces observations avec leurs pratiques professionnelles effectives dans le domaine orthographique, lorsqu’ils entrent dans le métier.

Les discours des étudiants concernant leurs souvenirs d’apprentissage évoquent le Bled avec l’acquisition de règles qu’il fallait apprendre par cœur et les dictées pour s’entrainer. Cet exercice représente un souvenir commun aux enquêtés et apparait souvent comme un exercice ludique. Seuls quelques stagiaires en gardent de très mauvais souvenirs. Il apparait dans les discours que l’apprentissage de l’orthographe n’est pas un domaine réservé à l’école. En effet, l’implication de la mère de famille (plutôt que le père) qui relaye l’école, le soir ou pendant les vacances est évoquée de manière très fréquente :

« À les entendre raconter qu’ils ont fait la même chose à l’école et dans la famille, il est donc légitime de se demander quelle est, pour eux, la spécificité de l’enseignement de l’orthographe. Est-ce vraiment une affaire de professionnel ? » (Péret et al., 2008 : 3).

Lorsqu’ils ont été questionnés sur leurs difficultés orthographiques, il ressort des entretiens que c’est surtout l’orthographe lexicale qui leur poserait problème alors que l’analyse de leurs copies de concours blanc montre que leurs difficultés portent plutôt sur la syntaxe et la morphographie. Dans ce domaine, les erreurs relevées concernent particulièrement l’omission ou l’adjonction de marques de genre et de nombre. Comme le soulignent Péret et al. (2008 : 4), il existe un décalage entre ce que les étudiants croient être difficile pour eux et ce qui leur pose réellement problème dans leurs copies, ce qui a pour conséquence que les stagiaires « […] ignorent dans une même dynamique un domaine de variation important qui

les concerne eux et leurs élèves. » (Péret et al., 2008 : 4).

Enfin, sans surprise, les stagiaires se sentent investis d’une mission dans le domaine orthographique et adoptent une attitude très normative (« gardien de la norme ») car ils ont conscience de l’importance sociale accordée à l’orthographe, tout en ayant une connaissance partielle du système linguistique : « Cela ne doit pas être sans rapport avec une forme de

culpabilité fréquente dans ce domaine chez les enseignants, ou a contrario avec des attitudes très normatives qui les protègent d'aléas théoriques qu'ils maitrisent mal. » (Péret et al., 2008 :

4). Pourtant, dans leurs discours, ils ne font pas référence à la manière dont le système orthographique s’apprend, ni aux processus cognitifs qui sont à l’œuvre lorsque les élèves apprennent, domaine de la psycholinguistique qui semble leur être relativement étranger. La dernière partie de l’enquête consistait à observer les pratiques de classe des stagiaires lauréats du concours lorsqu’ils travaillent l’orthographe avec leurs élèves. Les chercheurs

rapportent que cette partie de l’enquête a été difficile à conduire, avec de nombreux désistements qui semblent liés à l’insécurité linguistique dans laquelle se trouvent certains jeunes enseignants lorsqu’ils commencent à enseigner. Cette insécurité les amène à redouter de montrer leur pratique professionnelle, d’autant plus que les chercheurs étaient également leurs anciens enseignants. S’ajoute ici la question de l’image de soi qui s’inscrit en décalage avec l’image qu’ils voudraient peut-être montrer en tant que professionnels et qui est liée avec leurs représentations de l’orthographe, très normative.

1.4. CONCLUSION SUR L’ÉCRITURE DES ADULTES DANS LE CONTEXTE DE LA

LITTÉRACIE

Selon Fayol et Jaffré (2008), lire et écrire en respectant l’orthographe ne posent pas les mêmes difficultés. Généralement, en lecture, les lettres renvoient à un nombre restreint de sons alors qu’en écriture, les phonèmes et les graphèmes ne se trouvent pas dans une relation de bi-univocité7. Lorsqu’il orthographie, le scripteur est soumis à de nombreuses contraintes qui relèvent du système (par exemple la gestion de la morphologie flexionnelle) ou qui lui sont propres (par exemple ses capacités d’attention et de mémoire au moment où il orthographie) et c’est ainsi que même les plus experts en écriture commettent des erreurs, même si celles-ci diminuent avec l’augmentation du niveau d’expertise (Fayol, 2013).

De nombreuses études montrent qu’il existe des déterminants sociaux favorables aux difficultés à l’écrit rencontrées par les scripteurs (faible niveau culturel des familles, conditions familiales difficiles durant l’enfance, etc.), il est aujourd’hui admis que cela ne peut pas expliquer l’importance du phénomène (Lahire, 1999 ; Guérin-Pace, 2009 ; Fayol, 2013). En effet, si l’apprentissage du langage oral est une prédisposition biologique qui permet son acquisition facilement lorsqu’il n’y a pas de pathologie associée, l’apprentissage de l’écrit en revanche nécessite un enseignement explicite dont la difficulté d’acquisition est aussi en lien avec le degré de complexité du système orthographique dont il dépend. Catach (1995) souligne que dans la plupart des pays qui nous entourent (par exemple en Italie, en Espagne), un enfant de 8 ans peut écrire un texte sans difficultés alors que les petits Français se heurtent à de nombreuses difficultés qui ne sont parfois toujours pas acquises à l’âge adulte. Il y a 25 ans, Catach s’interrogeait sur l’origine des difficultés en orthographe des Français et avait avancé plusieurs hypothèses : une orthographe trop difficile, une orthographe mal enseignée ou enseignée dans de mauvaises conditions, mais ce serait surtout parce qu’elle est

« mal conçue, de la base au sommet, de façon élitiste, maximaliste et dogmatique » (Catach,

1995 : 6). Concernant les conditions de son enseignement, Catach soulignait également que la pédagogie doit être envisagée dans une perspective de réussite :

« Toute mesure d’expérience acquise devrait être une mesure de progrès. Il viendra bien, le temps où disparaitront la notion de « fautes » et le zéro en orthographe ».

Fayol et Jaffré (2008) se sont également interrogés sur les facteurs qui affectent la nature et la fréquence des erreurs d’orthographe chez les adultes et il a notamment cherché à savoir si les erreurs étaient différentes d’un individu à l’autre ou s’il y avait des similitudes. Leurs conclusions rejoignent celles de Catach, à savoir que le système orthographique contient des zones complexes qui passent nécessairement par un apprentissage et un entrainement régulier. En ce sens, certaines difficultés orthographiques affectent tout le monde. Mais il y a également des personnes pour qui certaines difficultés apparaissent de manière plus forte que chez d’autres personnes : « Certaines catégories de personnes sont faibles en lecture ou

en orthographe. Par ailleurs, un nombre restreint de mots ou d’accords pose problème à tous les individus. » (Fayol, 2008 : 125).

Pourtant, la faute d’orthographe est encore extrêmement stigmatisante et certaines idées reçues concernant la norme orthographique comme témoignage de l’héritage culturel français perdure aujourd’hui :

« La tyrannie de la norme orthographique, qui s’exprime surtout depuis le 19ème siècle, résulte de l’influence conjuguée de l’enseignement obligatoire et de la démocratisation sans cesse grandissante de l’écrit. Les siècles précédents ont en revanche connu des usages plus variés qui contrastent avec les idées reçues sur la permanence de la norme. […] Auparavant la variation était la règle, même dans les noms propres. » (Jaffré, 2008 : 51).

Les manquements en matière d’orthographe sont toujours socialement dévalorisés et encore souvent rattachés à l’image des mauvais élèves, qui n’ont pas fait d’effort à l’école. Les adultes deviennent alors responsables de leurs difficultés en orthographe. En France, on peut avoir une culture générale défaillante mais la société ne tolère pas les carences en matière d’orthographe :

2. L’ÉVALUATION DES ADULTES À L’ÉCRIT ET PLUS PARTICULIÈREMENT

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