• Aucun résultat trouvé

Discussion et synthèse des analyses

2. L’enseignement de la grammaire

2.2. Qu’est-ce que la grammaire ?

2.2.1. La grammaire traditionnelle

La grammaire traditionnelle définit la langue comme un modèle idéal, en essayant de décrire son fonctionnement avec « des notions qui soient les plus universelles possibles » (Bonckart, 1990, p.16). Pour décrire le français, les grammaires traditionnelles utilisaient un modèle idéal inspiré du latin. Les grammairiens du XVIIe siècle suggèrent une langue noble « la langue de la cour, des salons, de la bonne société en général » (Chervel, 1981, p.33).La grammaire traditionnelle est encore très vivante aujourd’hui.

La grammaire scolaire traditionnelle (appelée grammaire traditionnelle) est « une grammaire regroupant un ensemble de savoirs qui correspond à la vulgate grammaticale élaborée pour l'enseignement des règles prescriptives du français normé » (Chartrand, 1996b, p.32). Élaborée au XIXe siècle, parallèlement à la mise en place de l’école publique,elle s’est stabilisée dès la seconde moitié du XXe siècle. Elle s’est constituée en poursuivant un objectif bien précis :celui de la maîtrise de l'orthographe d’accord, selon la thèse d'André Chervel (1981). L’objectif primordial de cet enseignement est d’apprendre à orthographier les mots correctement, le champ consacré à l’enseignement grammatical ne débouche donc pas sur la morphosyntaxe.

Selon Nadeau et Fisher (2006), cette grammaire scolaire s'est réalisée « en marge des sciences du langage, et ce, jusqu'aux années 1960 » (2006 : 25).C'est à partir des années 1960que l'on a tenu compte des avancées en sciences du langage dans l'enseignement du français en Europe francophone.

La grammaire scolaire ignore la distinction qui existe entre la description du fonctionnement de la langue en synchronie, c'est-à-dire comment le système fonctionne ici et maintenant, et celle de son fonctionnement en diachronie : du point de vue de son évolution sur une période plus au moins longue. Les règles et les normes de la grammaire traditionnelle sont héritées des siècles passés, par conséquent, elle base ses explications sur une analyse diachronique. La grammaire traditionnelle ignore généralement certaines constructions courantes du français contemporain : les phrases à présentatif et les structures emphatiques. La grammaire traditionnelle ne s'intéresse qu'à une seule variété,

Chapitre II Cadre théorique et conceptuel

c'est-à-dire un seul système de langue : celui des grands écrivains(le français littéraire), elle ne rend compte que du « bon usage ». Nous pensons au Précis de grammaire

française de Grevisse, qui fut édité plusieurs fois, dans lequel la plupart des exemples

font référence à des citations de grands auteurs, dont la moitié sont des écrivains du XVIIesiècle (Roulet, 1972). La Fontaine, Racine, Molière et Corneille sont les auteurs fétiches de cette grammaire pour décrire le français du XXesiècle. Ainsi, cette grammaire, dans son apprentissage, met l’accent sur les exceptions et sur les « fautes » à éviter : c’est une grammaire normative avec une visée de correction langagière. Cela est cohérent avec sa visée de maîtriser l’orthographe grammaticale. Cependant, cette doctrine grammaticale ne permet pas de faire comprendre le fonctionnement de la langue française. En somme, un enseignement qui met l'accent sur l'apprentissage des irrégularités serait adapté uniquement à ceux qui maîtrisent déjà l'essentiel des régularités de la langue, les linguistes, par exemple. Or, ce n'est pas le cas des élèves du primaire et du secondaire. La grammaire scolaire privilégie la morphologie et néglige la syntaxe, à laquelle elle ne laisse que peu de place. C’est une grammaire du mot et non de la phrase, encore moins du texte, ceci s’explique avec la visée orthographique de cette doctrine grammaticale. L'étude de la syntaxe est essentielle au développement des compétences orthographiques. Le fait que l'on s'intéresse peu à elle constitue peut-être l'une des causes des faibles performances des élèves en orthographe grammaticale. La grammaire traditionnelle a été imprégnée de la logique de la grammaire gréco-latine, ce sont des langues pour lesquelles on dispose « d’un modèle précis et stable » (Bonckart, 1985, p.10) parce qu’il s’agit de langues mortes. Elle définit les classes grammaticales surtout sur une base sémantique (l’adjectif est un mot qui qualifie le nom, le verbe, un mot qui exprime l’action etc.). Mais ces définitions ne recouvrent qu’une partie de la réalité ce qui ne permet pas de faire un travail de classification minutieux. Les différentes « parties du discours »dans la grammaire traditionnelle sont présentées de façon morcelée sans être reliées les unes aux autres. On n’y traite pas des phénomènes de la grammaire textuelle. D’abord, elle est une

Chapitre II Cadre théorique et conceptuel

cohérence verbale ou système des temps verbaux. Et c'est aussi le cas des anaphores (reprises de l'information) par un terme ou un groupe de mots. Par exemple, « Samir lui en donne un en cadeau » comment expliquer la présence des pronoms lui, en et un dans la phrase sans avoir accès au texte dans lequel prend place cette phrase ?

Il faut accepter que la grammaire comme objet de savoir scientifique ne puisse présenter un aspect d’achèvement, le système de la langue ne sera jamais décrit sous ses diverses facettes. « L’enseignement du fonctionnement de la langue et du langage sera toujours parcellaire » (Chartrand, 1996b, p.43).

Pour résumer notre propos, les critiques adressées à la grammaire traditionnelle sur le caractère obsolète de plusieurs contenus et sur ses lacunes ont mené à des changements de cadre de référence pour l’enseignement grammatical dans la francophonie, dans le but d’une meilleure description et compréhension du fonctionnement de la langue française. Pourtant, ces changements ne sauraient être efficaces sans une transformation de certaines pratiques de l’enseignement de la grammaire traditionnelle.

2.1.1.1. Les dispositifs d'enseignement de la grammaire traditionnelle

L’enseignement de la grammaire traditionnelle est dispensé au moyen de la démarche d’enseignement suivante : transmettre des savoirs par des exposés magistraux plus assertifs qu'explicatifs et à les faire mettre en application dans des séries d'exercices et de dictées, principaux outils d’enseignement et d’évaluation de la maîtrise de l’orthographe. Mais le contenu enseigné par le maître dans la leçon magistrale n’est, incontestablement, pas compris de la même façon par tous les élèves. Effectivement, il faut tenir compte des conceptions des élèves, de leurs compétences et de leurs connaissances pour qu’ils arrivent à en construire de nouvelles. Or, l’école voit l’élève comme une page blanche sur laquelle on peut « imprimer, à sa guise, les modèles culturels ou linguistiques» (Chervel, 1977, p.162). Les exercices traditionnels sont critiqués eux aussi puisqu’ils n’assurent pas le développement des compétences. La phase d’exercisation permettait à l’élève de mémoriser les savoirs, plusieurs méthodes pédagogiques décontextualisées étaient préconisées : récitation de listes de mots ou de

Chapitre II Cadre théorique et conceptuel

donner à l’élève une série de mots mal orthographiés pour qu’il les corrige). Pour Chervel, ce dernier procédé « a le funeste inconvénient de gâter la mémoire des yeux qui, habitués une fois à voir les mots écrits d’une manière défectueuse, ne peuvent plus voir d’une manière différente » (Chervel, 1977, p.145). Durant cette phase il n’y avait ni réflexion personnelle de la part de l’élève, ni initiative.

L’apprentissage de la grammaire partait des lois, des règles, des définitions pour arriver aux faits. Cette grammaire puise ses sources (Fisher et Nadeau 2006, p.31) dans la grammaire logique des philosophes de l’Antiquité grecque. C’est une grammaire fondée sur le sens. C’est avec cette grammaire qu’on enseignait à l’élève à découvrir la nature de chaque mot analysé pour l’identification du nom, du verbe, de l’adjectif qualificatif, de la préposition, du pronom, etc. D’ailleurs c’est à l’aide de questions fondées sur le sens telles que : Pourquoi ? Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Qui est-ce qui ? que l’élève allait trouver la fonction respective de chaque mot analysé (le sujet, l’attribut, le complément d’objet direct, le complément du nom…) après cette phase de repérage de la nature et de la fonction des mots, l’élève devait faire les accords. En conséquence, la phrase n’a jamais été considérée dans son ensemble.