• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Recension des écrits

1.4. Gouvernance de la sécurité et participation citoyenne

1.4.2. Gouvernance nodale de la sécurité : Une perspective pluraliste

Un intérêt particulier est porté dans cette section à la notion de gouvernance que Parker et Braithwaite (2003) définissent comme un procédé ou une technique de régulation, « activities designed to shape the flow of events » (Parker & Braithwaite, 2003). Depuis Weber (1946), l’État est considéré comme étant l’autorité légitime pour assurer la gouvernance de la sécurité. Récemment, plusieurs auteurs critiquent cette vision centrée sur l’État (state centred) qui démontrent des transformations importantes sur le plan social, politique et économique. À la recherche de nouveaux modèles, la criminologie propose de redéfinir la conception de la

gouvernance de la sécurité en s’appuyant sur les observations récentes de transformations au sein des structures de pouvoir et de gouvernance dans les pays occidentaux et anglo-saxons (ex. Garland, 2001). Ainsi, certains auteurs expliquent que les mécanismes de contrôles sociaux seraient mieux représentés par une gouvernance nodale, « nodal governance » (Johnston & Shearing, 2003; Wood & Shearing, 2007). Ce modèle stipule que l’État ne perd ni son pouvoir ni son autorité, mais gouverne à travers le savoir, les capacités et les ressources d’autres acteurs. Ces derniers sont représentés par des nœuds ou sites (nodes) qui fonctionnent comme auspices et fournisseurs de sécurité (Wood & Shearing, 2007). Par conséquent, la politique ne se négocierait plus uniquement par les élites et dans les salles de réunions, mais conjointement avec un ensemble d’autres pouvoirs sociaux (Bergeron, et al., 1998; Roberto, 2009). Autrement dit, l’exercice de gouvernance, qui a été considéré la responsabilité des gouvernements, est dorénavant influencée par une multitude d’acteurs, dont par exemple la société civile. D’ailleurs, une façon plus adéquate serait de mettre en place des mécanismes qui faciliteraient l’exploitation des capacités et des savoirs de la population. Donc, la participation et l’autonomisation de la population sont des composantes importantes pour assurer un nouveau modèle de gouvernance de sécurité et une gouvernance localisée (Wood & Shearing, 2007).

Il a été constaté que les gouvernements qui échouent dans leur responsabilité d’assurer la sécurité de leurs citoyens sont parfois les auteurs mêmes des violences les plus graves. Leurs objectifs seraient davantage axés sur la sécurité de l’État, au détriment de la population (Wood & Shearing, 2007). En partie pour éviter les violations faites par certains États, le paradigme de sécurité centré sur l’humain (human centred) a été proposé comme une alternative à celui centré sur l’État (state-centred). Cela dit, ils doivent se compléter plutôt que d’entrer en compétition. Il importe donc d’élargir les domaines d’interventions afin d’améliorer la sûreté du public, tout en gardant l’intégrité territoriale des États.

La mondialisation est un des facteurs qui remet en cause les politiques centrées sur la souveraineté des États puisqu’elle a comme propriété d’ouvrir les frontières (Badie, 2008; Boniface, 2003). D’ailleurs, elle conduirait à une société ouverte et interdépendante, qui, au plan sécuritaire, amène à considérer tous les acteurs qui profitent de la capacité d’agir de

strictement nationale, permet à certains acteurs d’agir avec efficacité et visibilité sur la scène internationale grâce à de nouveaux moyens, notamment techniques (ex. internet). L’internalisation des questions sociales permet une plus grande visibilité des actions et des problèmes sociaux, même les plus localisés gagnent une dimension internationale et met en jeux la responsabilité de tous. Bref, les questions les plus quotidiennes ainsi que les besoins de la société gagnent en ampleurs étant donné qu’ils mobilisent davantage l’intérêt de la société, désormais dotée d’un plus grand pouvoir de communication. C’est-à-dire que les méthodes de gouvernance de la sécurité doivent satisfaire les besoins et les revendications sociales afin d’éviter les conflits potentiels, ce qui renvoie à la notion même de la sécurité humaine (voir Badie, 2008, p. 79f). Pour revenir au contexte de consolidation de la paix, l’accessibilité à la nourriture, à l’emploi et aux médicaments est dorénavant prise en considération dans la conceptualisation de la paix et de la prévention des conflits (Commission on Human Security, 2003; Kaldor, 1999). Par exemple, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) se préoccupe davantage de faire respecter les droits humains les plus vitaux que de se consacrer aux menaces traditionnelles pesant sur l’État (Commission on Human Security, 2003). Ainsi, fondé sur l’idée que la sécurité ne se limite pas aux enjeux traditionnels de défense nationale, le PNUD (1994) a introduit le terme de « sécurité humaine ». Dans le but de prévenir l’insécurité, l’organisme a intégré les dimensions de sécurité économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, individuelle, communautaire et politique. Or, la définition de la gouvernance de sécurité donnée par Johnston et Shearing (2003) renvoie aux programmes de promotion de la paix pour prévenir et réagir face aux menaces escomptées et imprévisibles, résultant des interactions et activités humaines. Pour ce qui est de l’intervention internationale, les dangers et menaces politico-militaires ne sont plus l’unique préoccupation de gestion de sécurité.

Dans le cadre de la protection environnementale, Gunningham (2009) parle de « new governance », une nouvelle forme de gouvernance qui s’éloigne du modèle hiérarchique pour prioriser l’hétérarchie8. Il prétend qu’elle répond mieux aux besoins des populations et qu’elle

amène une meilleure reconnaissance et conformité des parties prenantes. Or, il est essentiel d’écouter les revendications des populations locales, d’intégrer les expertises qu’ils possèdent

et de leur donner le pouvoir et les moyens pour qu’ils puissent prendre en main leur avenir et celui de leur région et pays (Gunningham, 2009). Dans ce sens, nous nous inspirons des auteurs Dupont, Grabosky, & Shearing (2003) pour discuter la responsabilisation de la population en matière de sécurité (environnementale) des pays faibles et défaillants. Ces auteurs démontrent que la société civile peut assumer sa propre sécurité à l’aide d’un modèle hybride, ce qui renvoie dans le cadre de ce mémoire à la coopération entre des groupes civils concernés et des institutions internationales (ONG, ONU, secteur privé) pour favoriser une protection plus adaptée aux contraintes des États en situation postconflit (Dupont, Grabosky, & Shearing, 2003). De surcroît, en empruntant le modèle de la gouvernance nodale, qui selon les auteurs offre la possibilité de transformer des relations de manière à développer une démocratie, permettrait de travailler les arrangements organisationnels de production de sécurité. Concrètement, cela signifie étudier et améliorer le réseau d’acteurs publics, privés, religieux et hybrides qui produisent ou autorisent la sécurité (Bayley & Shearing, 2001; Johnston & Shearing, 2003). Pour Bessa, de Oliveira, Abers, & Salomão (2005), le fait d’octroyer aux populations le droit d’intervenir et de prendre en mains leur propre destin, améliore leur compréhension par rapport aux démarches et aux objectifs et favorise la réussite d’un projet (Bessa, et al., 2005).

S’interroger sur les nouvelles formes de gouvernance exige également de s’intéresser aux stratégies et aux applications du contrôle social ou du « policing ». Ce dernier connaitrait essentiellement deux grands objectifs face à la délinquance et au crime, la réaction et la punition. Les autorités réagissent après la perpétration d’un acte indésirable suivi d’une condamnation du coupable à une peine. C’est en tenant compte des critiques et limites de l’esprit du policing punitif et réactif qu’a été développé le « problem-oriented policing » (Goldstein, 1990). Ce nouveau concept cherche à intégrer les idées et capacités provenant de la communauté dans le processus du policing public et de gouvernance (Wood & Shearing, 2007). Cherchant à adopter une approche de résolution de problème, il s’attaque à la source du problème social (De Lint, 1997). Contrairement au policing coercitif qui va interpréter un problème comme une menace à la sécurité et réagir par la force et par l’application des lois, l’approche axée sur la résolution des problèmes met en avant les informations par rapport aux

incidents afin de comprendre la relation avec le problème social sous-jacent. La citation de Bradley 1994 illustre bien le principe de ce style de policing :

« If there is one primary distinguishing characteristic of problem-oriented policing it is its focus on broadly defined social outcomes of policing activity, in contrast to a narrow concern with legally-defined process and criminal law enforcement as an end in itself (although this is not to say that it in any way abandons the notion of due process) » (Wood & Shearing, 2007).

Le policing orienté vers la résolution de problème considère comme essentielle l’implication de la sphère communautaire, qui doit se faire en collaboration avec les autorités et les autres parties prenantes pour identifier les problèmes et trouver des solutions (Goldstein, 1990; Wood & Shearing, 2007). En résumé, nous pouvons constater que le domaine du policing (Ayres & Braithwaite, 1992; Goldstein, 1990) et la gouvernance de la sécurité (Wood & Shearing, 2007) sont confrontés à une pluralisation des intervenants. Par conséquent, ces derniers ne doivent pas être négligés ou exclus des processus de décisions. D’ailleurs, intégrer le savoir et les compétences locales permettrait d’améliorer la compréhension des enjeux et des besoins de sécurité (Gunningham, 2009).

Enfin, nous avons choisi de nous baser sur une des approches les plus récentes de l’étude de la sécurité, soit l’idée de la multilatéralisation de la sécurité (Bayley & Shearing, 2001) et de la gouvernance nodale (Johnston et Shearing, 2003). Dans ce sens, nous avons voulu mettre en avant une image pluraliste en matière de gouvernance et de policing pour pouvoir la transposer aux opérations de consolidation de la paix dans le cadre postconflit. Notre prochaine section porte sur la coopération environnementale, une approche qui se sert de projets environnementaux pour établir la confiance entre belligérants et restaurer/protéger la nature et les ressources naturelles. Il s’agit d’un outil pour la gouvernance de la sécurité qui promeut le dialogue et l’intégration sociale dans le but de trouver un compromis plutôt que de contraindre par la loi.