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Chapitre 3 : Analyse et discussion

3.1.2. Environnement, sécurité et conflit armé : Une discussion

violents influencée par l’environnement au sens large, qui à l’inverse subit des préjudices causés par des comportements humains. Nous pouvons donc déduire une interrelation complexe que l’on peut décrire comme un cercle vicieux. Une problématique déjà soulevée par le programme des Nations unies pour l’environnement (2009), soit le besoin d’inclure ou du moins de considérer les questions environnementales dans les opérations de paix. En effet, nous avons pu dégager plusieurs facteurs de risques liés aux problèmes écologiques, à savoir le changement climatique, la dépendance aux ressources naturelles et son exploitation excessive, les écoréfugiés, la gouvernance environnementale défaillante et la manifestation à long terme de problèmes de santé. Ces problèmes écologiques ne sont pas traités indépendamment, mais s’enchevêtrent et se renforcent mutuellement. D’ailleurs, le

33 Nichols, S. S., and L. Goldman. 2011. U.S. bilateral assistance to Liberia: Forestry as the cornerstone to peacebuilding. In Harnessing natural resources for peacebuilding: Lessons from U.S. and Japanese assistance, ed. C. Bruch, M. Nakayama, and I. Coyle. Washington,

changement climatique a été, parmi les facteurs de risques recensés, le plus important puisqu’il agit comme un amplificateur de problèmes et de menaces pour les populations et les opérations de consolidation de la paix. De plus, si l’on considère qu’un grand nombre de gens, notamment les plus pauvres, dépendent des ressources premières comme moyen de subsistance, l’environnement peut être pensé en terme de vulnérabilité. Cela est d’autant plus pertinent pour les populations des régions ravagées par la guerre vu l’instabilité sécuritaire et sociale. Le problème de vulnérabilité aux changements environnementaux rappelle la notion du « differential victimisation » qui se rapporte aux inégalités de certaines populations quant aux dommages environnementaux (ex. Stretesky & Lynch, 1999), et dans ce sens un élément important pour comprendre la justice environnementale, un concept crucial de la criminologie verte (Halsey & White, 1998; White, 2008). Le Billon (2001) a déjà soulevé le besoin d’axer l’évaluation sur la vulnérabilité des populations aux pillages des ressources naturelles, soit les ressources qui attisent et alimentent le conflit et la violence. À contrario, nos résultats mettent en avant l’intérêt de l’analyse de la vulnérabilité aux changements environnementaux et sociaux.

L’insécurité découle des changements environnementaux qui sont imprévisibles et pour lesquels les États et leurs populations ne sont pas préparés. Ainsi, le changement climatique et la mondialisation ont été nommés comme les deux principales causes des changements sans précédent de la nature, qui, dans les régions postconflits, contribuent de manière significative à l’insécurité des personnes et des États. À cet effet, l’insécurité environnementale contribuerait au phénomène des « écoréfugiés », c’est-à-dire du déplacement massif de population. Selon les Nations unies le nombre s’élève à plus de 25 millions de gens (Boiral & Verna, 2005). Autrement dit, la dégradation environnementale et le climat, conjugué avec une dépendance aux ressources, forcent des millions de personnes dans le monde à migrer. Cela dit, la gouvernance environnementale est généralement absente ou défaillante comme d’ailleurs toute autre institution d’un État durant les phases de conflit et d’après-conflit, ce qui porte à croire que le manque d’une gouvernance environnementale rend les facteurs environnementaux cités ci-dessus particulièrement menaçants pour la sécurité humaine et étatique des pays ravagés par la violence. Il a également été rapporté que son absence porte atteinte au processus de développement, étant donné que certains effets négatifs de la destruction environnementale ne se manifestent qu’à long terme. Par conséquent, ces constats mettent en évidence la relation

intrinsèque entre la sécurité environnementale et la sécurité humaine, ce qui rejoint l’argument de Beirne et South (2007) qui demandent de dépasser les bornes de la conception classique de sécurité des personnes.

Mis à part le lien intrinsèque entre la sécurité et l’environnement, ce dernier a également été mis en rapport avec le conflit violent. Plus précisément, la dynamique des violences et le processus de consolidation de la paix sont influencés par des effets environnementaux. En effet, notre analyse révèle des relations directes et indirectes entre l’émergence de conflit violent, la gestion des ressources naturelles et la dégradation environnementale. Plus précisément, la relation directe fait référence aux problèmes d’exploitation forcée des ressources naturelles dans le but de financer la rébellion34, tandis que le lien indirect renvoie

aux problèmes environnementaux qui agissent en tant que facteur exacerbant de la violence. Il a été rapporté que les ressources de conflits (ex. diamant, bois, graines de pavot) sont directement associées à l’emploi de la violence, et susceptible de nuire aux efforts de consolidation de la paix. Dans ce sens, nos résultats renvoient à la première catégorie de l’ « environmental peacebuilding », soit les efforts pour prévenir des conflits directement liés à l’environnement (Conca, et al., 2005)35 afin de transformer un problème en solution. Cela dit,

un travail d’identification des ressources de conflit doit faire office des procédures d’évaluation dans le cadre des opérations de paix.

L’analyse a rapporté que l’eau est un enjeu important, mais rarement la cause de conflit violent. Cependant, les lacunes dans la gestion de l’eau entraineraient des conséquences à long terme sur la santé des gens. S’alignant aux études de Wolf et coll. (2003) et Gleick (2011), nos résultats précisent que ces questions ont tendance à être résolues par des mesures diplomatiques et de coopération. La peur de ne pas avoir accès à l’eau potable, ou du moins inéquitable constituerait néanmoins une problématique réelle qui provoque de temps à autre des violences locales et de courtes durées. Toutefois, nos données révèlent que l’environnement aurait davantage une influence indirecte sur la dynamique du conflit armé que de manière directe, c’est-à-dire une tendance à produire des effets catalyseurs de violences. Nos facteurs de risques environnementaux recensés permettent d’interpréter ce constat. Ainsi, les effets exacerbant la violence s’expliqueraient par le risque de perdre sa

source de revenus. De plus, l’incapacité à subvenir à ses besoins inciterait à s’orienter vers des moyens alternatifs, soit de se joindre aux groupes armés/rebelles, soit de faire de la culture commerciale illégale pour réussir à boucler son budget. Toujours dans le même contexte, le suicide serait une autre réaction récurrente dans certaines régions. Quel que soit la raison des violences, l’interprétation des problèmes n’empêche pas l’existence réelle des problèmes écologiques (Hannigan, 2006)

Nous pouvons conclure que les résultats de notre analyse se rapprochent du concept de gouvernance de la sécurité suggérée par Wood et Shearing (2007), qui met en avant le besoin d’intégrer de nouvelles sources de danger pour l’humain et les moyens pour y faire face. Leur modèle semble toutefois avoir négligé de tenir compte des facteurs environnementaux susceptibles de porter atteinte à la sécurité humaine. Il est donc permis de croire que l’argument d’intégrer la sécurité environnementale à la gouvernance de la sécurité est justifié, considérant les interrelations entre environnement, sécurité et conflit démonté par notre analyse. De plus, le fait que l’environnement ne se limite pas au territoire d’un État exige le développement d’un cadre conceptuel alternatif pour penser la sécurité environnementale, incluant les mesures de sécurité pour l’humain et pour la souveraineté des États. Penser uniquement en termes de menace à la souveraineté des gouvernements serait une entreprise vouée à l'échec compte tenu des nouvelles formes de conflits (David, 2006; Human security centre, 2005). Bref, les divers dangers environnementaux recensés dans notre analyse mettent en évidence le besoin d’élargir le concept de la sécurité humaine et de prendre en compte la