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Autre gage de la véridiction : le poids de la tradition

Le parcours véridictoire de l’énoncé parémique

VI.2. Approche extrinsèque :

VI.2.2. Autre gage de la véridiction : le poids de la tradition

Beaucoup d’arguments se hissent au rang d’énoncés évidentiels, ou acquièrent une autorité argumentative et, corollairement, une notoriété discursive de par leur inscription dans la tradition. C’est justement, et aussi paradoxalement, grâce à la

223 C. PERRIN, cité dans : A.R.SOMOLINOS, op.cit., p.185.

224 A. GRESILLON et D. MAINGUENEAU, op.cit., p114.

225 F. PROVENZANO, Littérature et rhétorique : enquête sur des retours (récent et présent) du refoulé, in [http://www.fabula.org/lht/8/index.php?id=240].

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relation intersubjective qu’entretient le sujet social vis-à-vis de la tradition avec toute sa dimension hypertrophiée ; touchant pratiquement à tous les domaines sociaux, et apportant des réponses à toutes les interrogations d’ordre socioculturel. Ce qui fait que tout argument se référant à la tradition devient aussi crédible qu’indubitable.

Diachroniquement parlant, la tradition constitue le legs invariable, inchangeable, faisant office de point commun à toutes les générations appartenant à une société donnée. Jalousement conservée en regard de la pléthore d’expériences qu’elle recoupe. Autrement dit, c’est une vision du monde propre à une communauté donnée. Cette vision surannée, à l’image des personnes qui la conservent, se trouve plus abondante chez les personnes âgées. D’ailleurs, nul ne nierait que les personnes qui émaillent leur discours par des proverbes sont considérées comme cultivées, par vénération à ce qu’ils énoncent. P. Boyer étaye ce constat par ce qui suit : « il n’est pas étonnant qu’avant même de proférer un énoncé quelconque, certaines personnes puissent être considérées comme porteuses de verité plus que

d’autres »226.

Cette tradition cautionne et garanti une vérité que personne ne pourrait confirmer ou infirmer, mais à laquelle toute la communauté adhère. Épatés par la vénération et s’écroulant sous son poids, même les intellectuels s’y adonnent : « l’univers intellectuel traditionnel est autoritaire au sens vulgaire, c’est-à-dire qu’il suffit d’y occuper une certaine position pour que tout énoncé proféré soit tenu pour vrai ; et

dans ce cas, la véracité est décidée à priori »227.

De par la figuration de la tradition comme mesure véridictoire servant à moduler les propos, elle exige que la doxa - qui lui est intimement inhérente, voire même constituante - soit encore une fois revalorisée. Dans ce même ordre d’idée nous stipulons que même si le proverbe est prisé pour sa véridiction, cette dernière se

226 P.BOYER, « Tradition et vérité », dans : L’homme, tome26 n°97-98, 1986, p.326.

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définit par rapport au critère doxique engendrant l’idée que ce qui est socialement admis s’érige à une vérité sociale – qui se solde par un dogmatisme à long terme - ce qui nous enferme, hermétiquement, dans un cercle vicieux.

Aussi, la transmission de la tradition ne fait que consolider le paramètre de verité, qui, à travers les différentes utilisations du proverbe, lui associe d’autres paramètres pragmatiques et ce, en accumulant les expériences valides des générations antérieures et accroit sa vénération auprès de celles ultérieures.

Cela expliquerait, en partie, l’engouement que suscitent les parémies auprès des scientifiques. Car il se trouve que même la classe élitaire y adhère, l’adopte et contribue à sa transmission. Leur maintien incombe justement au savoir pratique qu’elles véhiculent, car, et comme on l’avait démontré plus haut, elles apportent des réponses d’ordre situationnels permettant ainsi d’être plus efficientes dans des situations concrètes. Cela est dû à leur automatisme généré par leur dissolution dans l’univers doxique. Là où l’on se place dans une perspective sociale, l’on ne peut s’éloigner du sens commun, nous avons l’impression qu’il immerge voire submerge tout ce qui a trait au raisonnement et conséquemment au comportement. Même la verité se voit neutralisée face au système doxique, ce qui appelle à l’inhibition de tout comportement –aussi mental que physique- qui déroge à la norme commune définie par le sens commun. De même, la vérité s’avère foncièrement tributaire du sens commun donc elle répond aux mêmes aspirations de ce dernier qui : « n’aspire pas à l’idéal de la verité indubitable, inébranlable et absolue qui est recherchée par les sciences et la philosophie. Son objectif est beaucoup plus humble, soit l’efficacité de la pratique ou la réussite dans

la vie de tous les jours »228.

Cela dit, le paramètre socio-culturel semble loin de participer à l’actualisation de la vérité, pire encore il assure et maintient sa ritualisation.

228 V.GUEORGUIEVA, La connaissance de l’indéterminé. Le sens commun dans la théorie de l’action, Québec, Université Laval, 2004, p.281. In [http://www.theses.ulaval.ca/2004/21927.pdf].

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Afin de mesurer l’étendue du domaine traditionnel ; l’éventail qu’il recouvre et expliquer, chemin faisant, la vénération dont il jouit, nous évoquons l’incontournable étude d’Aguessi229 dans laquelle il a inventorié les disciplines contenues dans la tradition. En effet il la présente à travers catégorisation suivante :

- La première classe regroupe les genres oraliturels ainsi que les généalogies familiales,

- La deuxième aborde l’histoire des lieux, des personnes ainsi que l’histoire anthropologique,

- La troisième regroupe l’art populaire, culinaire, la danse, l’artisanat et la musique, ce qu’il avait appelé « langage social »,

- La quatrième recoupe la médecine populaire, - La cinquième concerne les rites religieux.

Cela dit, l’autorité inébranlable dont jouit la tradition est, a plus d’un titre, garante d’une lucidité, sapientialité et d’une sagesse imbriquées. La tradition serait synonyme de verité, grâce justement à l’usage qui défie les âges comme l’affirme Nietzche dans ce qui suit : « qu’est-ce donc la verité ? Une armée mobile de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de corrélations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement amplifiées, transposées, enjolivées, et qui, après un long usage, semblant à un peuple

canoniques et obligatoires »230.

Ce « long usage » cité ci-dessus implique la présence d’autres traits valant au dire parémique sa vénération tant prisée qu’est la résistance temporelle. En effet, elle sous-tend la tradition et lui confère la pérennité et la survie intergénérationnelle, assurée par ce qu’on a tendance à appeler mémoire collective ou ‘interindividuelle’. En effet c’est une mémoire résolument expérimentale qui ne

229 H.AGUESSI, « la tradition orale, modèle de culture », dans la tradition orale, source de la

littérature contemporaine en Afrique, Dakar, Nouvelles Editions Africaines, 1984, pp.44-45.

230 F.NIETZSCHE, vérité et mensonge au sens extra-moral, trad.fr de N. GASCUEL, Arles, Actes Sud, 1997, pp.14-15, cité dans : D. BERTRAND, op.cit., p137.

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retient que ce qui est bénéfique et avantageux à travers les générations : « la mémoire interindividuelle (ou collective) à long terme qui correspond à des expériences communes à un groupe et qui constitue un élément de définition de

l’identité de ce dernier »231.

Cela dit, de par l’inscription de la tradition dans la conscience collective, elle lui assure une prépondérance ethnosocioculturelle. Donc, l’approbation du message véhiculé par le biais d’un dire tel que celui parémique, n’est pas dû exclusivement à la vérité ou la véracité disséminée, mais plutôt par peur de l’égarement du jugement commun, sociétal en l’occurrence, ce qui pousse le sujet social à se conformer au cadre prédéfini de son inscription ; l’obligeant de ce fait à façonner son comportement à l’image de la masse.

La mémoire collective, fait office de réceptacle de traditions et pré-acquis sociaux tirant leur véracité des expériences basées sur la relation de causalité où la conséquence est prédite en fonction de la cause, autrement dit, elle revêt un caractère préventif et visionnaire car elle nous présente les comportements et les activités en relation avec leur conséquences directes, donc elle détient une part de vérité dispensée à travers enseignements et messages valides. Ainsi, l’emploie des parémies se dicte par les donnes contextuelles ; sa richesse se traduit par le fait que toutes les situations, ou presque, sont représentées par une ou deux parémies, ce qui permet de les utiliser par analogie dans des situations similaires.

Dans une optique diachronique, la tradition peut se résumer en ce paramètre invariable, prolixe en matière cognitive, et dont l’engouement, le respect et la vénération sociaux consolident sa préservation en regard de la verité qu’elle recoupe. Il est clair que, plus un énoncé se présente comme séculaire, plus il est porteur d’une dimension véridictoire des choses de par sa mise à l’épreuve et sa vérification au fil des années, car chaque réinsertion en constitue la confirmation.

231 J. BERNABE, fènwé et wè klè : le syndrome homérique à l’œuvre dans la parole antillaise, In [http:// www.palli.ch/~kapeskreyol/travaux/auvisiteur/fenwe.html].

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Autrement dit, quel serait l’objectif de l’utilisation parémique si ce n’est la requête d’une vérité qu’il recèle pour une éventuelle efficacité dans la postériorité.

Ainsi, partant du fait que le proverbe résulte d’une situation pratique ; la morale et le conseil véhiculés relèvent d’une expérience dont le proverbe s’avère être le fruit car l’expérience aussi peut incarner une mesure référentielle en matière de vérité. Parce qu’à la base, ce sont des énoncés assez avantageux desquels l’on peut tirer profit. Cela dit, nous nous permettons de redéfinir la véracité à la lumière de la validité, étudier leur interdépendance dans la construction de la véridiction. Serait-il plus judicieux de dire que le proverbe est vrai ou plutôt valide ? Du moment que l’enseignement tiré a déjà fait ses preuves donc susceptible de se transposer sur des situations ultérieures identiques. Cette validité prouvée et attestée à la lumière de l’expérimentation, acquerra-t-elle, par extrapolation, un statut de verité ? Car si l’on se fie à ce qui suit, nous serons en mesure d’arguer que toute validité débouche inéluctablement sur une verité : « un discours est vrai tant qu’il possède

une cohérence interne et qu’il renvoie aussi à une expérience possible »232. Dans le

cas proverbial, les expériences en question ont déjà aboutis à maintes reprises. Dans une visée plus exhaustive, et dans le souci de préciser ce qui est vaguement spéculé ci-dessus, nous procédons à l’articulation de cette vision avec notre corpus féminin/ masculin, et ce, en nous inscrivant toujours dans cette double polarisation, voire même continuité, du vrai / valide. Nous nous demandons si l’amas de négativité caractérisant le sexotype féminin, en l’occurrence les sèmes qui le définissent et les schèmes qui façonnent son identité, relèvent de la véracité ou de la validité ? En d’autres termes le dire parémique fournit-il l’authentique reflet de la réalité générique ? Ou serait-il un discours biaisé répondant au prisme socioculturel afin qu’il se mette au diapason de la doxa prégnante ?

232 S.CARFANTAN, « le critère de la vérité », dans : Philosophie et spiritualité, 2002, In :[http://sergecar.perso.neuf.fr/cours/verite1.html].

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