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Du segmental au suprasegmental : Approche synoptique du style parémique

CORPUS MASCULIN

II.3. Archaïsme parémique :

L’un des blocus freinant l’accessibilité sémantique de notre corpus semble être la désuétude lexicale qui l’émaille.

En effet, le dépouillement parémique effectué en vue de la collecte du corpus a révélé l’existence de quelques paradigmes qui ne sont plus en usage, pis encore, qui ne figurent même pas sur le dictionnaire, et dont la présence se limite, ostentatoirement, au corpus masculin. Cette disproportion en présente une part conséquente et assez récurrente.

Ce constat a engendré maintes interrogations quant à l’origine de cette récurrence inégale entre les deux corpus ; autrement dit, l’on se demande si ce fait langagier s’agit d’un effet stylistique délibéré ou serait-il un résultat dû à une éventuelle cessation d’usage. proverbes exclus parfait agencement prosodique proverbes ecrits en vers 0 10 20 30 40 50

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Figurant dans le paysage discursif, Le proverbe est censé être massivement sollicité et utilisé par toute frange sociale confondue. Il fait partie intégrante du discours et sert de moyen d’éloquence. C’est ce qui le différencie, d’ailleurs, de la littérature savante : son accessibilité en l’occurrence, autant langagière que doxique. Si l’on considère la présence de cet archaïsme comme délibérée dans une visée stylistique nous serons enclins à avancer, paradoxalement, que cette stylistique ,au lieu d’accentuer l’usage et contribuer à la vulgarisation parémique, elle entrave la compréhension et fausse de ce fait l’utilisation, ce qui l’acculera vers la désuétude et, corollairement, l’étiolement de la scène langagière, du fait que le registre archaïque n’est pas compris par toute la communauté linguistique . Sa maitrise reste l’apanage d’une certaine classe élitaire. Chose qui nous pousse à nous demander si ce legs d’expressions et de tournures surannées ne font pas perdre à la littérature parémique son statut "populaire" pour s’ériger au même rang que celle savante.

Il est à noter que, concernant cette dernière, le choix conscient des tournures archaïques ne fait qu’enrichir le style,car elles traduisent des performances techniques scripturales de l’écrivain, ce que Zumthor affirme en avançant: « c’est pourquoi l’on constate que l’usage de l’archaïsme est le fait des styles les plus élaborés. L’usage d’archaïsmes en littérature apparait comme un fait de haute

culture »60.

Cela dit, au lieu d’orner le discours et le munir de quelques retouches stylistiques, l’archaïsme entrave la compréhension, il constitue un blocage aussi sémantique qu’itératif, car l’ultime finalité du déploiement de tout cet arsenal stylistique dans le proverbe serait la mémorisation susceptible d’assurer une éventuelle passation, mais, retenir une expression dont les composantes manquent d’intelligibilité sémantique serait inconcevable :

60 P. ZUMTHOR. « Introduction aux problèmes de l’archaïsme ». In. Cahiers de l’association internationale des études françaises, 1967, N°19. p 25.

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« Lorsqu’un mot a disparu depuis longtemps et que sa mort ne saurait être mise en doute, on peut déduire de ce fait qu’il y eut, dans le passé, une époque où il vieillissait. Mais encore, ce mot, une fois mort, ne peut-il être universellement identifié comme tel : la plupart des sujets ne le comprendront simplement pas et le considéreront comme un terme de

langue étrangère »61.

Cela ouvre une brèche sur la relation du linguistique et l’évolution des idées, car il est évident que le figement linguistique maintient le figement conceptuel, et donc par extrapolation, nous dirons que l’extinction linguistique induit l’estompement social voire représentationnel et vice versa.

Ainsi, à défaut de synchronisme social, ces archaïsmes se font recalés, du coup, ils se conservent au sein des expressions parémiques. De ce fait, chaque utilisation constitue une « renaissance provisoire d’un vestige de la langue morte »62.

Cela dit, avant même d’indiquer une désuétude langagière, il traduit un changement de mentalité ou de représentation, car dans ce cas de figure, le linguistique s’avère intimement lié au social comme l’affirme P.Guiraud : « beaucoup d’expressions se sont figées à partir du moment où les

choses qu’elles désignent ont disparu et ont cessé d’être connues »63.

S’inscrivant dans une optique résolument phraséologique ; nous considérons que cet archaïsme parait logique à plus d’un titre ; étant émis dans une antériorité non délimitée avec exactitude, et faisant partie intégrante du figement, cela semble plutôt logique qu’il maintienne cette forme puisque "figement" oblige. Il permet, de surcroit, de déceler l’âge du proverbe a partir des données linguistiques, dans ce sens qu’il délimite l’époque d’appartenance.

61 Idem, p.15.

62 Ibid., p. 16.

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Par conséquent, il est compréhensible que toute parémiologie recèle plusieurs tournures dépassées, fait qu’il ne lui est pas allogène. Or, ce trait s’avère une tare définitionnelle, à en croire les propos de T.Z. Kurbanovich qui certifie que :

« le renouvellement suit l’évolution de la langue. Le contenu sémantique d’un même proverbe possède une série de mises en forme linguistique qui se succèdent diachroniquement. Comme genre, le proverbe est une partie constitutive de la langue vivante parlée : il revêt constamment des formes contemporaines. Par son comportement linguistique en tant que genre, le proverbe ressemble à un surdoué qui suit la mode vestimentaire. Cela évite aux proverbes les formes linguistiques archaïques et obsolètes. Le proverbe rejette

l’archaïsme »64.

Tout compte fait, la quintessence du proverbe serait le reflet sociétal, c’est la raison pour laquelle il ne sert à rien de faire miroiter une image complètement oblitérée ; ce qui insinue que la vie du proverbe est tributaire de la survie de l’image véhiculée, et qu’une image obsolète ne se traduit que par un registre aussi dépassé.

Dans le but de d’éclairer les zones d’ombre entourant l’interrogation principale, qui se niche dans le déséquilibre concernant la présence et la récurrence de mots archaïques accompagnés d’une intermittence actualisatrice ; nous aurons à fournir, autant que faire se peut, des éléments de réponse quant à l’abondance dissymétrique en matière d’archaïsme dans les deux corpus.

L’ultime finalité étant de dresser un état des lieux en mettant en exergue l’aspect bancal touchant au lexique parémique ; nous nous inscrivons ici dans une perspective exclusivement stylistique : on définit le style par ses composantes. Ici,

64 T.Z. KURBANOVICH. « Les proverbes russes : statut et étude ». In : revue des études slaves, Tome 76, Fascicule 2-3. Les proverbes en Russie. Trois siècles de parémiographie. P.253.

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encore, c’est une manifestation stylistique dont le résultat est susceptible d’éclaircir quelques facettes de ce dimorphisme sexolectal, et son concomitance linguistique et sociale.

Conformément à la classification prônée par Zumthor qui constate que l’archaïsme pourrait affecter différentes facettes du fait linguistique à savoir : le lexical, le graphique, le phonétique, le syntaxique et le grammatical ; nous nous limitons, au cour de cette analyse, aux trois catégories perceptiblement omniprésentes ; notamment le lexical, le morphologique et le syntaxique, dont le recensement s’affiche comme suit :

Corpus féminin

Archaïsme lexical Archaïsme morphologique Archaïsme syntaxique Femme est mère de tout dommage, Tout mal en vient et toute rage ; Plus aigrement que serpent, Nul ne point qui ne s’en repent.

Corpus masculin

Archaïsme lexical Archaïsme morphologique Archaïsme syntaxique Occit. Pou. Affiert. Seit.

Seneit. Honz. Sest. Baraz. Liève. Ja. Oncques. Péu. Chet. Chault. Honz.

Despent. Cil. Monteplorer. Vuy. Creibles.

Vault. Connoist. Robbe. Monsreront. Cognoit. Ome. Parolles. Vieult. Aultres. Foy. Doibt. S’ennyvre. Tost. Yvre. Nud. Amy. Povreté. Endebté. Demy. Plutost. Cognu. Ayder. Blesme.

- L’homme est brutal et moins de jugement quand le gosier l’occit journellement.

- A riche homme ne chault qui amy lui est. - Homme à deux visages

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Monstre. N’agrée en villes ne

villages.

Corpus féminin

Corpus masculin

A considérer ces histogrammes, nous constatons que le corpus féminin traduit une pauvreté en matière de mots archaïques ; avoisinant même l’inexistence totale. En effet, nous avons relevé une seule manifestation de désuétude langagière, qui figure sous une forme syntaxique, touchant de ce fait une seule parémie ; le reste du corpus en est exempt.

Archaisme syntaxique 0 0.5 1 1.5 2 Archaisme lexical Archaisme morphologique Archaisme syntaxique 0 2 4 6 8

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Quant au corpus masculin, la densité est assez imposante. Emaillant le corpus, elle s’incarne dans différentes formes ; alternant le lexical, le morphologique et le syntaxique. Remplissant ainsi des taux, certes pas faramineux, mais qui représentent une certaine pesanteur par rapport au corpus opposé.

Cela dit ; nous déduisons que l’écart est loin d’être anodin, scellant manifestement le corpus masculin, contrairement à celui féminin qui présente une proportion infinitésimalement représentative.

Croyant étayer notre deuxième hypothèse relative à la dimension stylistique différenciée dans le parémique, nous estimons que l’archaïsme proverbial –loin d’incarner un paramètre exclusivement stylistique- constitue une sérieuse entrave sémantique pour beaucoup d’utilisateurs potentiels ; même si pour les points abordés plus haut, la lexicométrie et la prosodie en l’occurrence, la différence n’est pas consistante. Pour l’archaïsme ; elle peut être cruciale et significative , car comment peut on prétendre à un éventuel accès supra-segmental si le segmental nous est inaccessible ?

Conclusion :

Au terme de ce chapitre traitant du niveau constitutionnel, l’analyse lexicométrique a révélé une nuance touchant l’adjectif, avec une légère hausse dans le corpus masculin, et le nom qui se voit convoité dans le corpus féminin. Prenant cette nuance pour cruciale serait tomber dans la précepitation susceptible de fausser le cours de l’interprétation.

La prosodie aussi a montré que le corpus féminin est moins loti en matière supra-segmentale que celui masculin. Présentant plus de proverbes dépourvus de structure métrique et/ou vérsificative, cet aspect se trouve consolidé par une légère baisse de parémies présentant un parfait agencement prosodique, c’est-à-dire celles qui compilent identicité rimique, distribution assonantique et structure

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rimique. En revanche, nous enregistrons une infime hausse dans la barre présentant les proverbes écrits en vers.

Quant a l’archaïsme, toute forme confondue, il se manifeste avec acuité dans le corpus masculin, cette opulence ne trouve pas d’équivalent dans le corpus opposé, en effet, les deux formes d’archaïsmes inventoriés à savoir : archaïsme morphologique et lexical ; sont totalement inexistantes hormis une troisième relative à l’archaïsme syntaxique. De ce fait, l’archaïsme s’avère plus ou moins crucial pour la justification de l’usage parémique, autrement dit, peut on aspirer à accéder à une autre strate significative si la contrainte sémantique n’est pas franchie ?

Chapitre III