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Essai de désenchevêtrement notionnel

I.1.1. Le figement syntaxique :

Admettons l’inanité de redéfinir le mot syntaxe dont l’usage et l’usité lui ont conféré un statut évidentiel pour ne pas dire usuel, et contentons nous de rappeler

7 J.DUBOIS et al, Dictionnaire de la linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999, p. 202.

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qu’il traduit la connexion inter-lexicale gérée par des normes grammaticales incluant une large marge de liberté combinatoire.

Dans le strict cadre des expressions figées et toujours dans une optique syntaxique ; la liberté lexicale s’estompe au profit d’une rigidité syntaxique.

Dans cette même visée, et en guise de définition, G. Gross avance que : « une séquence est figée du point de vue syntaxique quand elle refuse toutes les

possibilités combinatoires ou transformationnelles »8.

Ceci dit, toute tentative de changement de l’emplacement des constituants au sein de l’expression figée risque d’entrainer un défigement, car le propre de ces expressions, c’est justement ce trait définitoire donné par GROSS ; les considérant comme étant un « bloc erratique »9. Il insinue par cela que l’expression figée élimine toute liberté de permutation synonymique, de changement de place ou un éventuel recours à des procédés syntaxiques, ce qui fait d’elle une entité syntaxique.

Partant du fait que le figement est une double transposition du mental sur le linguistique et vice versa, et que, ce qui est figé en amont doit inéluctablement l’être en aval. Nous trouvons ici légitime d’avancer que toute tentative de changement semble être prohibée voire inconcevable, même si le sens reste intact, le simple changement, aussi anodin et infinitésimal soit-il, nuit à la notion de figement et entraine de ce fait un défigement.

Ceci dit, le figement syntaxique se manifeste à différents niveaux, où changements, transformations et combinaisons sont à bannir.

Ainsi, le premier procédé qui se met en porte-à-faux avec le figement est le glissement de l’ordre des composantes au sein de l’expression figée, car, à la base,

8 G. GROSS, les expressions figées en français : noms composés et autres locutions, Paris, Ophrys, 1996, p. 154.

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ces mêmes composantes sont figées de cette manière dans le but de générer une entité sémantique.

Examinons l’expression suivante : homme de vin, homme de rien.

Si l’on tente d’appliquer le procédé de glissement, nous aurons comme résultat : homme de rien, homme de vin, ce qui est sémantiquement faux et dont la logique reste dubitative, car un homme de vin est forcément un homme de rien mais le contraire n’est pas juste.

Ceci dit, le premier trait incarné dans l’impossibilité de changer l’ordre des unités lexicales intervient pour stigmatiser le sens de l’énoncé, ce qui lui permettra de conserver toute sa valeur logico-sémantique car au sein de l’expression figée, le syntaxique, le sémantique et le lexical s’enchevêtrent et semblent indissociables, ce qui nous amènera à considérer l’expression figée comme une entité syntaxique. Ajoutant à ce premier procédé un autre qui n’est pas moins déproverbialisant ; qui consiste en la permutation synonymique. Sachant que la mémorisation et la rétention des expressions figées est facilitée par les procédés stylistiques et prosodiques qui assurent le coté poétique voire mélodique, elles sont conçues selon une structure rythmique et rimique souvent binaire, ce qui fait que le simple remplacement d’un lexème par un autre brise la sonorité de l’expression.

Exemple : homme matineux, sain et laborieux (travailleur).

Dépassant le souci de la sonorité, il se trouve, néanmoins, qu’il est des expressions qui ne sont pas dotés d’une structure rythmique ou rimique, mais qui n’acceptent pas, nonobstant, cette permutation synonymique, et ce, pour la bonne et simple raison qu’un synonyme ne recouvre pas les mêmes sèmes définitoires que le premier lexème, ce qui rejoint la fameuse phrase émise par CHESNEAU, et qui

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stipule que « s’il y avait des synonymes parfaits, il y aurait deux langues dans une

même langue »10.

Le troisième procédé se résume dans l’impossibilité de changement du nombre, que ce soit du singulier au pluriel ou l’inverse, car généralement, les expressions figées sont gérées par une synecdoque du nombre qui consiste en la représentation d’un ensemble d’individus par une seule personne, autrement dit, l’idée du pluriel est émise en filigrane, ce qui fait que nous ne pouvons pas remettre au singulier ce qui l’est déjà (formellement), ou le mettre au pluriel ce qui fera que l’idée de pluralité sera exprimée deux fois. Ce trait leur assure l’aspect de généricité.

Exemple : homme aime quand il veut, et femme quand elle peut. I.1.2. Le figement sémantique :

D’aucuns pourrait nier que la sémantique des expressions figées constitue une curiosité langagière où le sémantique entre en symbiose avec le culturel. Cela justifie l’attitude des étrangers éprouvant une difficulté à comprendre certaines de ces expressions dont le sens semble enlisé culturellement. C’est la raison pour laquelle il importe de s’inscrire dans la culture d’appartenance pour pouvoir déchiffrer adroitement le message véhiculé. Ceci dit, les expressions figées nous offrent l’opportunité de spéculer sur la rupture sémantique entre le signifiant et le signifié. La signification de chaque lexème qui, quelquefois, dépassant le cap de la polysémie, opte pour une autre strate significative.

Ainsi, le figement sémantique repose sur trois pivots principaux, répertoriés par G.Gross11, que nous essayerons de passer en revue, à savoir : la non-compositionnalité, le degré de motivation et l’opacité sémantique.

10 C.CHESNEAU, cite dans Dicocitations :le dico des citations, in

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• La non compositionnalité : semble incarner le nœud gordien de la dimension sémantique des expressions figées, du fait que le sens de l’expression ne résulte pas de la simple addition sémantique de chaque lexème, comme c’est le cas dans les autres expressions courantes (dites aussi libres) où chaque mot génère un sens , et dont la somme constitue le sens de l’expression ou de la phrase.

Pour les expressions figées, chaque mot change de sens une fois inséré dans l’expression, autrement dit, les mots utilisés disposent d’un sens propre en dehors de l’expression et en prennent un autre dès qu’ils se figent. Cette notion de non compositionnalité induit le trait d’unité (formelle et sémantique).

Selon la linguistique saussurienne, le mot est une dénomination pour une réalité extra linguistique (signifiant/ signifié), cela nous amène à spéculer sur la notion de dénomination dans les expressions figées.

La notion de dénomination a été très peu traitée dans le domaine linguistique, mais avec le temps, elle est devenue le centre d’intérêt des linguistes qui l’on intégré à leur champ d’investigation. Malgré cela, sa définition est restée non définitive et sujette à des fluctuations.

Parmi les essais de définition de cette notion, nous retenons celle donnée par G.Kleiber , selon laquelle, la dénomination serait : « l’établissement d’une règle de fixation référentielle qui permet l’utilisation ultérieure du nom pour l’objet

dénommé »12.

Ceci dit, la dénomination exprime la relation durable et indissociable d’un signifiant (dans ce cas, il s’agit de l’expression linguistique), et d’un signifié (réalité extra-linguistique). Ce qui conduit à considérer les expressions figées comme des signes linguistiques.

11 G. GROSSE, op, cit.,

12G. KLEIBER, (1984:80), cité dans, S. MEJRI, « figement et dénomination », META, vol.45, n°4, Canada, Presse Universitaire de Montréal, 2000, p. 613.

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Mais contrairement aux signes linguistiques simples, ils ne dénomment pas des choses, mais plutôt des situations, et sont appelés, de ce fait, des dénominations phrastiques. G. KLEIBER écrit à ce sujet :

« En tant que phrase, il ne devait pas être signe (ou unité codée), puisque l’interprétation d’une phrase est une construction et non une donnée préalable. En tant que dénomination, il est néanmoins une unité codée, c’est-à-dire un signe. Un signe phrase qui possède les vertus du signe

sans perdre pour autant son caractère de phrase »13 .

Au niveau référentiel – sachant que le référent est un élément constitutif de toute dénomination- les expressions figées offrent l’opportunité de spéculer sur la rupture sémantique entre l’unité linguistique et son référent, qui s’opère au sein des expressions figées, car, le sens global se trouve décalé par rapport au sens des unités lexicales. Ce qui donne l’impression de dire une chose et insinuer une autre. Ces unités acquièrent un nouveau référent au profit du premier, car, la dénomination leur assure une nouvelle référence globale.

C’est la raison pour laquelle une explication de ces expressions s’avère indispensable dans la plupart des cas.

Salah MEJRI14 avait distingué deux sortes de dénominations :

- Il postule que tout acte de dénomination se base sur des traits conceptuels qui se dégagent de l’ensemble des composantes que nous voulons dénommer. Cette opération est appelée dénomination directe.

13G. KLEIBER, “ les proverbes: des dénominations d’un type ‘très très spécial’ ”, actualité

scientifique : la mémoire des mots, Montréal, AUPLEF, 1998, p. 35.

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- Ainsi, il se trouve que dans de nombreuses expressions nous notons le décalage entre les traits conceptuels du référent et l’expression linguistique. Dans ce cas, il s’agit d’une dénomination oblique.

De notre part, nous croyons que cette division repose essentiellement sur le degré de la motivation des expressions figées. Ainsi, dans la première catégorie nous classerons les expressions qui ont un très haut degré de motivation ; autrement dit, dont le sens des composantes est claire et ne nécessite aucune explication.

Exemple : fol est qui perd bon ami pour femme.

Quant à la deuxième catégorie, elle regroupe les expressions qui ont un degré de motivation faible, c’est à dire le sens des composantes n’a absolument rien à voir avec le sens général de l’expression. Pour un étranger, ce genre d’expressions doit être impérativement expliqué, ainsi qu’une contextualisation doit être envisagée pour une parfaite compréhension

Exemple : il n’y a pire eau que l’eau qui dort.

• L’opacité sémantique : nous pouvons la définir le plus simplement possible comme étant l’absence de transparence sémantique. Elle nécessite, comme nous l’avons antérieurement mentionné, un ressourcement culturel. Ainsi, pour un étranger ; l’expression ‘poser un lapin’ veut littéralement dire : mettre un lapin par terre, alors que pour un locuteur natif, ladite expression veut dire : faire attendre quelqu’un en vain.

Elle rejoint en grande partie la non-compositionnalité, elle peut toucher la totalité de l’expression ou une partie. S. Mosbah affirme à juste titre : « elle constitue un phénomène scalaire allant des séquences totalement opaques à celles partiellement

opaques, jusqu'à l’absence d’opacité »15.

15 S. MOSBAH, “la stéréotypie dans les séquences figées: entre transparence et opacité”, dans

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