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Du syncrétisme social à la catalyse identitaire

V.3. Transposition parémique

V.3.2. Corpus masculin

Il est clair que le domaine parémiologique a bien exploré les dimensions de la personnalité féminine tout en mettant l’accent sur ses défauts. C’est la meilleure manière de maintenir le rapport dominant/dominé, car, nous avons déjà souligné que la femme est l’entité négative de l’homme, ce qui insinue logiquement que l’homme est l’opposé de la femme. Donc, plus les défauts de la femme abondent dans les parémies, plus l’homme se hisse et se met en valeur par rapport à elle. Ceci dit, à travers son dénigrement, il se valorise, car il évoque les défauts de la femme pour mettre en lumière ses qualités.

Toujours concernant l’image masculine, nous remarquons que les parémies incarnent plutôt des mises en garde contre des comportements répréhensibles ; louant par ce fait les qualités et méprisant les vices, et ce afin de dresser un

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contour précis du statut de ‘l’homme idéal’, voire sexotype masculin, dont les principaux thèmes sont : la vertu, le courage, la fainéantise, l’ivresse…etc.

Quant à celles relatives à la femme, elles traduisent plutôt des assertions supposées leur être inhérentes. Au lieu de mettre en garde contre les vices, elles mettent en garde contre la femme.

Concernant le sexotype masculin, il est clair que l’ensemble des caractéristiques ne lui sont pas intrinsèques, ils ne traduisent, en effet, qu’un ensemble de mise en garde. D’ailleurs, même la logique déployée, mise en exergue dans un chapitre antérieur en atteste. Répondant à la structure argumentative de cause/ conséquence. Tout cela est fait dans l’ultime finalité de préserver cette virilité qui ne serait autre que cette « aura sacrée, une valeur donnée, figée »206.

Cela dit, le balisage spatial, comportemental et, éventuellement, physique semble plus que crucial, et ce afin de confiner, une fois de plus, les deux gents, dans leurs terrains respectifs. En effet, toutes ces mises en garde ne sont qu’une maintenance de ce principe virile, définitoire de la masculinité, antinomique même de féminité, le passage suivant l’explique clairement : « pour devenir un homme, le garçon devra répudier toute féminité… l’identité masculine porterait selon lui la marque de cette

négation. […] ici, le féminin serait resté une menace »207.

Dans cette même logique d’altérité, l’homme a d’abord essayé de poser les balises d’une identité féminine, regorgeant de stéréotypes sachant que ces derniers « globalise(nt) par le négatif »208 pour se procurer par la suite tout ce qui a trait à la positivité. Dans le dessein d’élucider, un tant soit peu, le fonctionnement de cette vision, C.Saggara avance ce qui suit :

« L’énoncé veut que celui qui pose le geste attributif légifère qu’il est celui qui se nomme également l’autre. En fait, c’est

206 S. DE BEAUVOIR, op, cit., p. 501.

207 A. RAUCH, Histoire du premier sexe, Paris, Hachette Littératures, 2006, p. 553.

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en nommant l’autre que le verbe "masculin" s’énoncé en tant que tel, l’énonciation lui revenant alors de facto. Quant à la femme, elle est reléguée à n’être que l’objet de

l’énonciation »209.

Considérant de près le corpus, il semble clair que la définition du masculin émane de sa propre vision, de sa propre estimation et donc repose sur un regard intérieur. Sa définition ne s’inscrit pas dans le sillage d’une altérité stigmatisante contrairement à celle féminine pour qui le regard extérieur dépendant forcement d’un Autre, est crucial.

Il est aussi à noter que la carrure, la barbe et autres attributs qui constituent l’apparence font office de critère d’appréciation de virilité et façonnent l’identité d’un sexotype masculin.

Dans la plupart du corpus, les caractéristiques spécifiées dans le corpus féminin sont des habitudes ; des traits dont on ne pourra se délester du moment qu’elles sont indissociables, voire constituantes même de la féminitude alors que pour le corpus masculin, elles incarnent plutôt des comportements répréhensibles. C’est ici que le dire parémique use de sa valeur d’égaliseur de mœurs, fustigeant le mal partout où il se trouve, et ce, à travers la mise en exergue d’un arsenal qualifiant ou disqualifiant du comportement en question. En règle générale, à travers la structure proverbiale dite bipartite, nous avons remarqué que les énoncés proverbiaux présentant une suite négative connotent un trait purement féminin ; alors que ceux ayant une conséquence positive doivent impérativement incomber au masculin

Partant du principe de l’entité négative, nous trouvons que tout se construit sur une base de démarcation. Ce qui semble intriguant, toutefois, c’est que même dans les proverbes contenant des caractérisations communes, les mêmes défauts

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n’étiquettent pas la gente masculine directement et semblent moins stigmatisant que pour la femme. Prenons à titre d’exemple le bavardage, certes il figure parmi les thèmes abordés dans le corpus masculin, mais ce trait nous parait étrangement différencié selon que la cible soit féminine ou masculine. En effet, il n’est pas imputé à l’homme comme une donne définitoire mais il fait office d’initiation aux effets répréhensibles du bavardage, contrairement à la gent féminine à laquelle cela incombe comme étant un schème identitaire parmi d’autres.

Dans la partie du corpus réservée à l’inhérence générique, cette même logique de démarcation se manifeste dans toute son ampleur, ainsi, la paresse figure parmi les traits supposés être inhérents à la gente masculine. Toutefois, le passage au crible précédemment effectué a révélé, une fois de plus, que la structure logique déployée rejoint celle citée ci-dessus (en l’occurrence la cause/ conséquence). Cela insinue que tout un dispositif est mis en place afin de soustraire la gente en question à cette habitude. En effet, la paresse implique un mode de vie féminin. Cela dit, la femme est de nature passive ; certes du fait qu’elle est au cœur même d’un engrenage sociétal où elle subit constamment la domination ce qui l’a rendue assujettie. De par sa définition, elle est un : « être passif qui ne peut s’approprier ni

le verbe ni la maitrise du monde qui en découle »210, insinuant, de ce fait, que les

rênes de ce dernier sont dans la possession du masculin.

Cette paresse la rend spectatrices de ses incompétences, générant ainsi un sentiment d’insécurité dont la peur est le noyau, ce qui appelle à une démarcation impérative du coté masculin d’où la catégorisation 'hardiesse' qui se donne pour synonyme de virilité. En effet, soustraire l’homme à cet univers, c’est faire ancrer en lui les préceptes de la masculinité qui riment avec virilité, représentés par différentes acceptions tel que courage, vertu et hardiesse. L’homme préférerait plutôt mourir que de porter les éventuelles stigmates appartenant au sexe opposé. Ainsi : « la misogynie peut ici servir de paradigme à la virilité, elle devient une façon

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de dire que le courage, la souffrance et la mort, uniques pensées du héros,

appartiennent sans partage aux hommes »211.

Et c’est dans cette même logique que s’inscrit le pécuniaire, explicitement détaillé dans le corpus traitant de la condition masculine. En effet, nous avons déjà souligné l’attitude paresseuse de la femme vis-à-vis de l’argent comme quoi elle se limite à la cupidité d’où sa qualification de dépensière voire même de parasite. Contrairement à cela, l’activité et la productivité assignées au sexe opposé fait de lui un générateur d’argent, l’avarice lui est un vice duquel il est dans l’obligation se détacher radicalement.

Proverbialement, l’ivresse parait comme une pratique exclusivement imputée à la gent masculine, arguant que l’homme, de par son appartenance à une culture qui cultive en lui, ou plutôt qui a tendance à faire émerger en lui un penchant d’exclusion de tout ce qui a trait à la féminité, voire tout ce qui rappelle la féminitude, il se jette dans un monde où la hâblerie masculine foisonne et se manifeste ouvertement. Elle se déjoue de toute son étendue dans les lieux où le féminin est exclu, dépeints dans le passage suivant « le café et le cabaret […] offrent une sociabilité de refuge ; les débordements de buveurs illustrent les réactions d’une virilité revancharde. L’ivresse, frontière qu’aucune honnête femme ne force […]. Leur appartenance à un groupe solidaire les distingue de la masse

indifférenciée des femmes.»212.

C’est la raison pour laquelle la sensibilisation aux effets néfastes ne s’adresse qu’aux hommes.

Il est assez intriguant que dans le corpus féminin, avec ses bifurcations sur la beauté n’avait pas enchainé sur une suite traitant du physique de la femme. En effet, elle prête à cette ouverture de par son narcissisme et l’importance qu’elle

211 A. RAUCH, op, cit., pp.259-260.

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accorde à sa beauté, précédemment soulignée, la femme taxée d’« être physique ». Néanmoins, le port de la barbe serait son défaut majeur, car, cela connote un piétinement dans un territoire auquel elle n’appartient pas.

Ayant sculpté le sexotype masculin à l’aide de connotations résolument viriles, et ayant oscillé entre le comportemental et le mental ; la continuité sera réservée au physique. Concernant ce dernier, il est clair que l’image du roux est à prégnance incontestable. Cela dit, il importe de s’arrêter sur cette engeance particulièrement mise en exergue afin de comprendre pourquoi le roux est spécifiquement stigmatisé.

En fait, conspuer le roux est loin d’être une exclusivité parémique. Cela dit, depuis la nuit des temps le roux est de mauvais augures. Hippocrate, entre autres, avait dans sa théorie à quatre humeurs, identifié le roux au renard, ce parallélisme ne s’appuyait pas uniquement sur l’aspect physique qui se résume au poil rouge, aussi sur le caractère submergé par le trait de perfidie.

Aussi, la mythologie grecque n’a pas lésiné sur cet aspect. A ce propos, nous évoquons le dieu Typhon, pure incarnation du mal, dont, parmi les traits principalement rebutants de son physique, la rousseur figurait en tête.

En règle générale, la représentation du roux est : « une connotation d’animalité, car en plus d’avoir les mêmes poils que le goupil, l’homme roux est couvert de taches

comme les animaux les plus cruels »213.

Une fois de plus, le raisonnement tant prôné sous-tendant la constitution de la logique parémique, y est. N’avons- nous pas souligné précédemment que l’animalité se suffixait à la féminité ? Encore, avons-nous souligné, a maintes reprises, le rapprochement patent entre la femme et le renard. Par syllogisme nous sommes en mesure d’arguer que le roux et la femme, ont en partage, cette

213 R. SCHEIBLI, Regards d’ailleurs: La malheureuse histoire des roux, In: [http://journal-regards.com/2011/02/11/la-malheureuse-histoire-des-roux/]

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animalité rébarbative, ce qui insinue, à notre sens, que la mise en garde contre le roux intervient par rapport à la part de féminité qu’il recèle.

Conclusion

Listant les différents enjeux, théories et autres corrélations doxiques contribuant à la définition des deux statuts, ce chapitre capitalise sur la notoriété doxique qui alimente les deux sexotypes.

Par pur souci d’objectivité ; porter un regard aussi distant que cursif afin de démêler le fait linguistique du socioculturel était de mise, d’autant plus que chaque itération linguistique galvanise la conceptualisation et la fossilisation des attributs doxiques qui nourrissent la cristallisation des sexotypes.

A priori, vouloir apporter des éléments de réponse quant à la reconstruction représentationnelle des deux gents nous paraissait une entreprise hasardeuse, étant donné que la source n’était pas des plus identifiables. Cela dit, briser la meute doxique dans le but d’en fédérer les composantes s’imposait. Nonobstant, les lectures effectuées ont corroboré, une fois de plus, l’aspect représentationnel bancal qui stigmatise les deux images.

Chapitre VI