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Section II. Essor de la bioéthique : les facteurs

FRANCIS CRICK

Événement majeur de la science du XX siècle : Découverte et description de la structure en double hélice de la molécule d’ADN (Acide Désoxyribonucléique) par Watson et Crick. Cette macromolécule est composée de deux longues chaînes enroulées sur elles mêmes et appariées par des nucléotides complémentaires. Grâce au déchiffrage du Code génétique en 1966 les scientifiques peuvent comprendre le lien entre gène et sa protéine correspondante, c’est-à-dire déterminer le processus qui permet aux quatre nucléotides (A-T, G, C) d’aboutir à la synthèse des protéines.

1972 PAUL VERG Un des outils permettant de manipuler les gènes sont

découverts par ce biochimiste américain. Il devient possible d’introduire des gènes sélectionnés dans des bactéries, ce qui conduit à faire produire par la bactérie modifiée la protéine caractéristique des cellules d’où provenaient les gènes introduits.

1973 S. COHEN et H.

BOYE

Le premier organisme transgénique est obtenu à partir de l’introduction des gènes d’un amphibien dans une bactérie.

1985 Un important projet de recherche, visant à établir la séquence

complète du génome humaine est initié -Programme Génome Humain-. Pour cela, la production rapide d’une carte génétique complète du génome humain s’impose comme une étape initiale nécessaire. Et en 1984, le Centre d’étude du polymorphisme humain (CEPH) est créé par les professeurs Jean Dausset et Daniel Cohen, avec comme objectif principal, l’accélération de cette réalisation.

1989 Le programme Génome Humain est officiellement lancé avec

pour mission d’établir le séquençage complet de l’ADN. Ce programme est international et il met à contribution les scientifiques du monde entier, qui se sont répartis le séquençage de tous les chromosomes humains.

1992 1993 Grâce aux progrès technologiques amenés par l’informatique,

les laboratoires CEHP et Généthon, publient les premières cartes du génome humain.

1995 CRAIG VENTER Publication d’une charte intégrée physique et génétique,

réalisée par les chercheurs du CEPH en collaboration avec l’équipe du Généthon. Le chercheur américain Craig Venter séquence un génome de bactérie, en l'occurrence Haemophilus influenza. Plus tard, Venter annonce avoir séquencé partiellement plus de 60 000 gènes humains et propose que ces résultats soient accessibles à tous moyennant finances.

14 avril 2003 Le séquençage complet de l’ADN du génome humain est

complété ; Cette séquence de l’ADN humain est stockée dans des bases de données consultables sur internet (U.S National Center for Biotechnology information et Genbak). cette séquence sera désormais répertoriée patrimoine de l’humanité par l’UNESCO.

§3. La portée du terme bioéthique

A. Les précurseurs du mot bioéthique

« Les précurseurs de la bioéthique Fritz Jahr (1927) et Van R. Potter (1970) ont pensé l’un comme l’autre dans une fusion des discours. Fritz Jahr l’a fait à partir de la lecture de Kant et a proposé de parler d’un impératif bioéthique afin de protéger la vie sous toutes ses formes. Potter a réfléchi à une science de la survie, une éthique globale qui puisse rendre solidaires les habitants de la biosphère »112.

1° Fritz Jahr (1927)

La première utilisation du terme « bioéthique » date de 1970 année de publication de l’œuvre Bioethics to the Future par Van Rensselaer Potter et de la fondation de l’Institut Kennedy d’Éthique de l’université de Georgetown par André Hellegeres. Pourtant, des recherches entreprises par Hans-Martin Sass113 révèlent l’antériorité du terme et du concept. En effet, dès 1927, Fritz Jahr-pasteur protestant, philosophe et enseignant allemand-, publie un article intitulé Bio-Ethik: Eine Umschau über die ethischen Beziehungen des Menschen zu Tier und Pflanze (Bioéthique : Une perspective de la relation éthique des êtres humains avec les animaux et plantes).

Trois axes importants seront identifiés dans cet article: a) proposition des postulats éthiques pour l’expérimentation impliquant des animaux, b) inclusion d’un agenda écologique selon les inquiétudes bioéthiques, c) naissance de la bioéthique liée aux grandes transformations scientifiques, philosophiques, esthétiques et politiques de la fin du XIXème siècle et du début de XXème siècle.

112

LOLAS STEPKE (F.), (dir.), Bioética en América Latina: una década de evolución, Monografías de ACTA BIOETHICA, n° 4-2010, Ed. Programa de Bioética de la Organización Panamericana de la Salud, Organización Mundial de la Salud, OPS/OMS, Santiago de Chile. p; 115-116.Traduction

Libre.

113 HANS-MARTIN (S.) “Fritz Jahr’s 1927 Concept of Bioethics”, in Kennedy Institute of Ethics

Journal , Ed. The Johns Hopkins University Press.vol.17, n° 4, December 2007, p. 279-295. [En ligne] : http://www.scribd.com/doc/55410349/Fritz-Jahr%E2%80%99s-1927-Concept-of-Bioethics

En développant sa vision bioéthique en tant que discipline, principe et vertu, et en partant des formulations de Kant, Jahr établit quatre lignes d’argumentation comme soutien de l’identité professionnelle de la bioéthique : (1) la bioéthique constitue une discipline académique nouvelle et nécessaire, (2) la bioéthique doit être réfléchie en rapport avec l’aptitude morale, les convictions et les conduites souhaitables , (3) la bioéthique reconnaît et respecte toute forme de vie et d’interaction avec la nature et la culture, (4) la bioéthique légitime les obligations de l’entourage professionnel, en rapport avec la sphère publique, l’éducation, la morale publique et la culture générale.

Pour Fritz Jahr le « caractère sacré de la vie » est finalement le fondement de l’impératif bioéthique proposé en 1927.114

2° Van Rensselaer Potter et son « pont vers le futur »

En 1962 Van R. Potter, professeur américain d’oncologie, lors d’une conférence à l’université de Dakota, exprimait son intérêt « pour les questionnements sur le progrès et sur la direction que prenait la culture occidentale avec tous ces nouveaux déploiements matérialistes propres de la science et de la technologie». Potter analyse le progrès depuis trois axes : le religieux, le progrès en tant que bénéfice matériel et le progrès scientifique-philosophique, et conclut que seul un concept scientifique-philosophique du progrès qui mette l’accent sur la sagesse de longue portée peut mener à la survie115.

Pourtant il faudra huit ans à Van R. Potter pour mûrir sa définition de la bioéthique en tant que discipline où convergent le savoir scientifique et le savoir philosophique. En 1970 le terme bioéthique apparait pour la première fois dans l’article Bioethics : The Science of Survival (Bioéthique : la science de la survie) du magazine Perspectives in Biology and Medicine. Le terme bioéthique ne deviendra un

114

LIMA (N.S.), « Fritz Jahr y el Zeitgeist de la bioética », in International Journal on Subjectivity, Politics and the Arts, Vol. 5, Sep 2009, Ed. Aesthethika. p.4-11.

115 ACOSTA SARIEGO (J.R.), “La Bioética de Potter a Potter”. Revista trimestral Latinoamericana y

Caribeña de Desarrollo Sustentable FUTUROS, n° 4, Ano 2003 Vol. 1. Disponible sur :

vocable scientifique qu’à partir de la publication du livre Bioethics: Bridge to the Future116.

Dans cet ouvrage Van R. Potter souligne que la survie de l’espèce humaine, dans une civilisation convenable et acceptable, exige le développement et le maintien d’un système éthique. Selon Potter, un tel système est représenté par la bioéthique globale fondée sur des institutions et raisonnements nourris par la connaissance empirique en provenance de toutes les sciences, mais spécialement de la connaissance biologique. À cette fin, il est nécessaire selon lui, de se dépouiller du désir compétitif de winners et losers qui prévaut dans la société capitaliste. « La réticence de l’éthique médicale au dialogue interdisciplinaire et la prédisposition dans l’enceinte médicale, à interpréter la bioéthique comme une bioéthique médicale, a convaincu Potter que les ponts bioéthiques devaient s’étendre aussi vers ce qu’il appelait l’éthique agricole, éthique sociale, éthique religieuse et éthique capitaliste »117.

En 1998, V. Potter écrit un article où il résume ses positions au cours des quarante dernières années. Il déclare avoir utilisé pendant les années soixante la métaphore de pont vers le futur pour montrer le besoin d’établir une relation, d’un côté, entre les sciences biologiques et éthiques, et d’un autre côté, entre la situation de l’époque et une possible survie dans le futur.

Par rapport à l’expression bioéthique globale, utilisée à la fin des années quatre vingt, Potter indique qu’il existe derrière cette expression un sens polémique ; selon lui, la bioéthique ne devrait pas être réduite à l’éthique clinique ou médicale, mais devrait aborder également les problèmes liés à l’écologie, à la biologie, et à la survie des générations futures118.

B. Les approches récentes du concept de bioéthique

Née il ya plus de 25 ans, la réflexion bioéthique constitue par vocation, une autre manière de traiter les questions concernant les pratiques technoscientifiques appliquées à l’être humain.

116 POTTER (V.R.). Bioethics: Bridge to the Future. New Jersey: Prentice Hall Inc. 1971, 205 p. 117 ACOSTA SARIEGO (J.R.), op. cit.

118 POTTER Van (R.), «Bioética puente, bioética global y bioética profunda», Cuadernos del

Dans la première édition de l’Encyclopédie de bioéthique éditée par Warren Reich119 en 1978, la bioéthique est définie comme « l’étude systématique de la conduite humaine dans les domaines des sciences de la vie et de l’assistance en santé, en tant que la dite conduite est examinée à la lumière des principes et des valeurs moraux »120. La bioéthique est, en conséquence, pour ainsi dire, l’étude des sciences biologiques et de la médecine à partir de la morale ou plutôt des morales, car il n’existe pas qu’une seule théorie morale et en même temps, la vie politique et sociale permet l’existence d’une pluralité de morales.

Plus tard, dans sa deuxième édition (1995) l’encyclopédie de bioéthique ajoute à cette définition un composant étymologique : « Bioéthique est un terme composé et dérivé des mots grecs bios (vie) et ethike (éthique) et peut être définie comme l’étude systématique des dimensions morales -comprises, des visions, décisions, conduites et politiques morales- des sciences de la vie et de l’assistance sanitaire, en employant une variété méthodologique en éthique dans un contexte interdisciplinaire. Pour Reich, il y a de bonnes raisons pour aller au-delà de l’éthique médicale et aborder les questions morales en rapport avec la science et à la santé dans les domaines de la santé publique, la santé environnementale, l’éthique de type populationnelle et l’éthique animale. Cet auteur attire également l’attention sur l’énorme décalage qui existe entre la bioéthique développée des pays riches et les préoccupations bioéthiques des pays pauvres. De ce fait se détache le besoin de repenser la bioéthique selon chaque région du monde. Cependant il est clair que la possibilité de développer la construction critique d’une bioéthique régionale doit commencer par la révision de la théorie traditionnelle disponible.

119 Warren T. Reich, est le fondateur et directeur du projet pour l’histoire des soins. Honorable

chercheur, Reich est professeur de religion et éthique dans la faculté de théologie de l’Université de Georgetown, et professeur émérite de bioéthique à l’École de médecine de Georgetown. Voir:

WARREN T. REICH‘S BIOGRAPHY. [En ligne] :

http://care.georgetown.edu/Who%20is%20Warren%20T_%20Reich.html

120

REICH (W.T.), Encyclopedia of Bioethics, 4 vol. New York, Ed. Free Press-Macmillan, 1982, p. 116.

Le bioéthicien Giovanni Berlinguer121 se joint à cette rupture (bioéthique de pays pauvres contre bioéthique des pays riches) formulée par Reich et fait la distinction entre la « bioéthique de frontières qui traite les nouvelles technologies biomédicales, principalement appliquées à la phase naissante et à la phase terminale de la vie, de la bioéthique au quotidien, tournée vers l’exigence d’humaniser la médecine, et d’articuler les phénomènes complexes, comme l’évolution scientifique de la médecine, la socialisation de l’assistance sanitaire, la médicalisation croissante de la vie, l’attribution de ressources pour la santé et les politiques de santé. La position de Christian de Paul de Barchifontaine est tout à fait opportune. Pour lui : « l’actuelle orientation bioéthique internationale ne se rapporte pas seulement aux situations émergentes liées aux avancées dans le champ de l’ingénierie génétique (génome humain clonage, etc.) mais aussi aux situations persistantes en relation principalement avec le manque d’universalité dans l’accès équitable aux biens de consommation sanitaire » 122 ; situation qui correspond aux pays de l’Amérique Latine (v. deuxième partie).

Pour Dominique Folscheio il existe trois directions de compréhension de la bioéthique. « La première consiste à prendre le mot de « bioéthique » au pied de la lettre en le définissant par son objet, désigné par le terme « bio », exactement comme on le fait pour la biochimie (…) la bio-éthique reste alors éthique et demeure une tâche de nature philosophique (…) ; La deuxième manière de comprendre la bioéthique consiste, à l’inverse, à extraire le terme « bio » de sa condition subalterne d’indicateur d’objet pour lui accorder une fonction déterminante (..) et la troisième manière de comprendre la bioéthique, aujourd’hui dominante, se présente comme une sorte de compromis qui évite de réduire la vie à sa seule dimension naturelle et la rationalité à la seule science biologique (..) la bioéthique sera donc avant tout vouée à remplir une fonction de régulation éthique, avec l’aide d’un faisceau de savoirs : sociologie, psychologie, anthropologie, religion, droit, etc. » 123.

121

Giovanni Berlinguer est membre du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO depuis 1999. Avec Leonardo de Castro, il est le rapporteur de document du CIB sur la possibilité d’élaborer un instrument universel sur la bioéthique. 2003

122 Ibid. 123