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Fractionnement isotopique lors du changement solide-vapeur de l’eau

La convention usuelle pour exprimer la concentration d’un isotope, en l’occurence HDO, dans une masse d’air est d’utiliser la variable δv :

δv= (HDO/H2O)vapeur− (HDO/H2O)o

(HDO/H2O)o (2.1)

o`u (HDO/H2O)o=(D/H)o× 2=1.7×10−3, concentration standard du HDO dans l’atmosph`ere martienne telle

que l’a d´eriv´ee [Owen et al., 1988]. δv indique simplement l’´ecart relatif entre la concentration en HDO vapeur

d’une parcelle d’air et la concentration standard.

Les exp´eriences en laboratoire de Merlivat et Nief [1967] ont ´et´e consacr´ees au fractionnement isotopique du deut´erium lors des changements de phase de l’eau. Ils ont ainsi pu mesurer le rapport de concentrations α de l’isotope HDO d´efini par :

α = (HDO/H2O)phase solide (HDO/H2O)phase vapeur

=1 + δs 1 + δv

o`u δsest l’´ecart de concentration de HDO dans la glace d’eau par rapport `a la valeur standard. Dans le cas de la

condensation, le fractionnement entre deux isotopes tels que 1H2D16O et1H

216O s’explique par leur diff´erence

de poids mol´eculaire, un poids sup´erieur conf´erant une pression de vapeur saturante l´eg`erement plus faible. Cela implique qu’un isotope lourd comme le HDO soit relativement plus concentr´e dans la phase condens´ee. En faisant varier exp´erimentalement la temp´erature T entre 240 K et 270 K, Merlivat et Nief [1967] ont pu tirer

une relation pour le coefficient de fractionnement α s’´ecrivant ln α = 16288

T2 − 9.34 × 10

−2 (2.2)

Malgr´e l’absence de mesures `a des temp´eratures suffisamment basses pour ˆetre repr´esentatives des conditions martiennes, il nous a sembl´e justifi´e d’extrapoler (2.2) `a la gamme de temp´eratures envisag´ee pour notre ´etude (typiquement autour de 180 K). En effet, la relation (2.2) vient confirmer les calculs th´eoriques issus de la m´ecanique quantique qui pr´evoient une expression du type :

ln α = f (1/T2)

Par la suite, nous emploirons le terme d’´equilibre isotopique pour caract´eriser l’absence d’´echanges isotopiques entre une phase gazeuse et sa phase condens´ee. Cette notion n´ecessite d’ailleurs d’ˆetre pr´ecis´ee dans le cas de la transformation vapeur-glace car, comme le signalent Merlivat et Nief [1967] : le coefficient de diffusion des mol´ecules HDO dans la glace ´etant tr`es petit (10−14 m2.s−1), il n’est pas possible de r´ealiser un ´equilibre

isotopique entre un bloc de solide et la vapeur l’entourant. La phase gazeuse au contact de la glace est en ´equilibre isotopique uniquement avec la surface de celle-ci. Par cons´equent, un ´echantillon de glace comportera un gradient de concentrations d’eau lourde g´en´er´e par la variation ´eventuelle de temp´erature (et donc de α) au cours de sa formation mais aussi par appauvrissement croissant de la phase gazeuse en eau lourde durant la condensation (effet de distillation). De cette mani`ere, flocons de neige et grˆelons parviennent `a conserver l’enregistrement des diff´erentes ´etapes de leur croissance, au contraire des gouttes de pluie dont le contenu isotopique s’homog´enise tr`es rapidement (la diffusion mol´eculaire dans l’eau liquide ´etant 100 000 fois plus rapide que dans la glace) [Jouzel, 1984].

Le fractionnement `a la condensation est compliqu´e par la cin´etique du processus de condensation. En effet, le poids sup´erieur de l’isotope lourd (le HDO) restreint sa mobilit´e mol´eculaire et donc sa capacit´e `a diffuser dans un environnement gazeux par rapport `a celles de l’isotope l´eger (H2O). Or, le coefficient de diffusion est un

param`etre cl´e du flux de condensation. Si la condensation n’est pas assez prompte pour maintenir un ´equilibre entre les phases, i.e. pour rester en permanence `a sursaturation n´egligeable, la composante cin´etique affecte significativement le fractionnement. Dans le cadre exp´erimental d´ecrit par Merlivat et Nief [1967], la conversion vapeur-glace est suffisamment lente pour que le syst`eme reste en permanence proche de l’´equilibre entre phases et donc de l’´equilibre isotopique. Cependant, la formation de la glace dans la nature s’effectue rarement en ´equilibre isotopique avec l’environnement. Par exemple, les nuages de glace polaires terrestres rencontrent des conditions dans lesquelles la vapeur qui se condense doit diffuser dans un air fortement sursatur´e (120% d’humidit´e relative, [Jouzel et Merlivat, 1984]). Les titrages in situ en deut´erium de la glace ont clairement montr´e que l’effet de fractionnement r´eel n’´etait pas celui de la relation (2.2) [Jouzel et Merlivat, 1984]. Il s’est donc av´er´e n´ecessaire `a ces auteurs de reconsid´erer cette formulation afin de lui inclure l’effet de la cin´etique. Une fois prise en compte, leur correction a permis d’obtenir une relation valable en conditions r´eelles . Pour comprendre leur d´emarche, nous rappelons ici l’expression de la croissance par condensation vue dans le paragraphe 3.1 du chapitre 2 :

dm

dt = 4πrD ˙mw(nv− ns) (2.3) o`u dm/dt est la masse d’eau se condensant par unit´e de temps, ˙mwla masse d’une mol´ecule d’eau, r le rayon du

cristal, (nv− ns) le gradient de mol´ecules d’eau `a l’´etat vapeur entre l’environnement (indice v) et la surface du

cristal (indice s) et D le coefficient de diffusion de la vapeur d’eau dans l’air. Cette expression peut s’appliquer `a l’eau lourde :

dm0

dt = 4πrD

0m˙0w(n0

v− n0s) (2.4)

o`u les quantit´es associ´ees au HDO sont cette fois reper´ees par un prime. Les relations (2.4) et (2.3) sont li´ees entre elles de la mani`ere suivante :

µ 1 ˙ mw ¶ ×dmdt = µ 1 αcRvm˙0w ¶ ×dmdt0

2. MOD ´ELISATION DU CEFE

o`u Rv la concentration de HDO dans l’eau `a l’´etat vapeur et αcest le rapport de concentrations du HDO dans

le flux de condensation. αc est donc le coefficient de fractionnement r´eel , il diff`ere de α tant que le processus

est de condensation se trouve hors ´equilibre (dm/dt6= 0). Par contre, la surface du cristal est bien en ´equilibre isotopique avec la vapeur imm´ediatement en contact, on a donc :

n0 s=

Rs

αns

o`u α est le coefficient de fractionnement `a l’´equilibre isotopique donn´e en (2.2) et Rs la concentration de HDO

dans l’eau solide en surface du cristal. (2.4) peut donc s’´ecrire (αcRv ˙ m0w ˙ mw )×dm dt = 4πrD0m˙0w(Rvnv− Rs αns) αc´etant ´egal `a Rs/Rv, on obtient :

αcRv=D

0(Rvnv− Rsα−1ns)

D(nv− ns)

Le rapport de saturation ambiant S de la vapeur d’eau ´etant donn´e par nv/ns, nous obtenons une expression

de αc identique `a celle de Jouzel et Merlivat [1984], `a savoir :

αc=

αS

α(D/D0)(S− 1) + 1 (2.5)

A l’´equilibre, S = 1 et (2.5) se ram`ene `a (2.2), pour S > 1 αc d´ecroˆıt. La Figure 5.2 permet de visualiser

la gamme de valeurs que couvre αc. Pr´ecisons qu’aucun fractionnement n’intervient durant la sublimation en

raison de la diffusivit´e n´egligeable du HDO dans la glace. HDO et H2O sont donc relˆach´es dans les proportions

qui ´etaient les leurs dans la phase condens´ee.