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Si la gouvernance territoriale témoigne d’une prise en main par les acteurs locaux de l’orientation de la stratégie de développement et de l’élaboration d’actions de développement communes, elle est confrontée aux rapports régissant les relations entre acteurs. Au-delà de la reconnaissance des forces coopératives et conflictuelles, les relations sociales, interpersonnelles et collectives entre acteurs sont régies par des éléments fondamentaux relevant de la confiance, de l’intelligence collective et d’une certaine idée de la proximité.

4.1. Le rôle des institutions formelles et informelles

Le courant institutionnaliste souligne l’importance des institutions formelles et informelles pour la construction d’une relation pérenne de confiance entre les acteurs (North 1990; Amin 1999; Rodriguez-Pose 2013). Les « institutions » possèdent un rôle stratégique dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de développement local. Ces notions témoignent des éléments fondamentaux sous-jacents relatifs aux interactions entre acteurs.

Les institutions au sens large désignent l'ensemble des règles et des normes qui encadrent et régulent les comportements. Commons (1934) définit une institution comme « l’action collective qui maîtrise, qui libère et qui élargit l’action individuelle ». North (1990) définit les institutions comme « les règles

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du jeu dans une société, et plus formellement, les contraintes conçues qui façonnent les interactions humaines ». Selon Commons (1934), les institutions peuvent prendre des formes différentes selon le niveau d’organisation de l’action collective. Elles désignent simplement des règles de fonctionnement dans le cas où l’action collective est peu organisée mais intègrent des organisations plus développées lorsque qu’elle renvoient à des formes structurées de l’action collective : syndicats, partis politiques, etc. (Tremblay 2002).

L’approche des institutions a ensuite été complétée et précisée en distinguant les institutions formelles (hard institution) : la constitution, les organisations, les lois et règlements qui organisent la vie

collective (North 1990; Fukuyama 2000), et les institutions informelles (soft institution) qui

comprennent des éléments tacites comme les habitudes individuelles, les routines collectives, les normes et les valeurs sociales (Amin 1999). Les institutions informelles, qui relèvent plus des conditions tacites de la vie de groupe, sont difficilement mesurables. Elles recouvrent des caractéristiques faisant référence à la vie de groupe comme les normes, les traditions, les conventions sociales, les relations interpersonnelles, les réseaux informels (Rodriguez-Pose et Storper 2006) qui permettent de générer de la confiance entre les acteurs (Fukuyama 2000). La notion de « capital social », introduite par Putnam (1993), souligne l’importance de la confiance, de l’esprit de coopération, de l’atmosphère sociale comme éléments constitutifs des relations sociales (Rodriguez-Pose 2013). Le capital social désigne un ensemble de ressources (information, biens, services, comportements, etc.) pour des individus qui sont liées par des rapports sociaux (Callois 2004).

Les institutions formelles et informelles permettent de mettre en place les « forces collectives durables » (Amin 1999) nécessaires à un processus concerté de développement sur les territoires. Plus la densité des échanges relevant du capital intellectuel (ressources, connaissances), du capital social (confiance, esprit de coopération, relations sociales) et du capital politique (capacité à mettre en place des actions collectives), le tout résumé par le terme « capital territorial » (Camagni 2009), sera forte au sein d’un territoire, plus le potentiel de développement économique et de croissance sera élevé (Rodriguez-Pose 2013). Les institutions formelles et informelles apparaissent comme cruciales pour le développement économique et doivent être considérées à part entière dans toute politique de développement, étant entendu que chaque territoire est différent et qu’aucun modèle générique avec des critères d’interventions simplistes ne peut être transposé comme tel sur un territoire (Farole, Rodriguez-Pose, et Storper 2011).

Les économistes institutionnalistes considèrent que les institutions ont un rôle déterminant dans la performance à long-terme des économies (Veblen 1898; North 1990; Rodrik, Subramanian, et Trebbi 2004). Ils voient l’activité économique comme le résultat de l’action volontaire de stratégies d’acteurs. La capacité des acteurs à s’organiser collectivement sur un territoire est dès lors conditionnée par l’environnement institutionnel. La définition et la mise en œuvre de stratégies de développement territorial reposent sur le renforcement des capacités et des responsabilités des acteurs locaux dans le

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processus de planification et de développement (Rodriguez-Pose 2013). L’approche se veut inclusive en aidant les acteurs locaux à promouvoir leur propre chemin de développement en sortant d’une logique de descendante de l’action publique et en rendant le territoire apte à mettre en œuvre de nouveaux projets, à prendre des risques et à initier des stratégies innovantes.

4.2. L’importance des relations sociales interpersonnelles dans la construction d’une

relation de confiance

La sociologie économique (Granovetter 2008; Laville 2008) pose la question des comportements humains et met en avant la notion de confiance. Les auteurs relevant de ce courant soulignent l’importance des relations de confiance entre les individus en opposition à une vision rationnelle et opportuniste des comportements individuels.

L’analyse classique de l’économie conçoit l’individu comme rationnel. Les individus cherchent à maximiser leur profit et leur bien-être en adoptant des comportements opportunistes. Cette perception de l’individu opportuniste est notamment à la base des travaux sur la théorie de l’agence (Jensen et Meckling 1976). Dans cette optique, les relations et les interactions entre les acteurs locaux dans le cadre d’une démarche collective de développement territorial peut être expliquée par la théorie de l’agence. La capacité des acteurs à s’organiser collectivement et les freins auxquels ils sont confrontés peuvent être analysés sous le prisme de comportements opportunistes des acteurs qui cherchent à maximiser leur seul intérêt en orientant à leur seul profit la stratégie locale.

La sociologie économique porte un regard différent sur la structuration des réseaux et des organisations qui permet d’éclairer les relations d’acteurs dans le cadre de la gouvernance territoriale. Granovetter (1985, 1995) avec la notion d’encastrement souligne le primat des relations interpersonnelles sur les relations entre organisations (Grossetti 2015). Il a mis en avant le fait que l’action économique est « encastrée » au sein de réseaux de relations personnelles et a souligné l’importance des relations sociales. La notion d’encastrement témoigne de la dépendance que l’économie entretient à divers aspects du monde social. Les organisations sont construites socialement par des individus dont l’action est facilitée mais aussi limitée dans les réseaux sociaux dans lesquels ils s’inscrivent. Les décisions des individus sont encastrées dans une structure relationnelle spécifique. Les choix économiques sont les résultats de la configuration des réseaux sociaux dans lesquels ils se situent. Cette première notion est complétée par l’idée de « la force des liens faibles » (Granovetter 1973) qui désigne l’efficacité des relations sociales de faible intensité en termes d’engagement affectif, d’intimité, de fréquence des échanges et de services réciproques, dans l’accès à des informations ou plus généralement à des ressources sociales.

L’existence de la confiance entre les individus explique comment les organisations fonctionnent. Les relations de confiance structurent un grand nombre de relations interindividuelles et interorganisationnelles. Elles témoignent de la création d’axes de solidarité. La confiance et le partage

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de croyance sur la manière de conduire les affaires économiques, et plus largement territoriales, apparaissent comme des ingrédients essentiels de la coordination. Ce qui se passe dans les organisations ou entre les organisations ne résulte pas de la maximisation de l’utilité de l’individu. La présence de la confiance engendre un niveau de coopération bien supérieur à ce que prévoit une stricte application des principes de rationalité. En s’appuyant sur la théorie des jeux, il est possible de comprendre l’importance et le primat de la notion de confiance sur celle de l’opportunisme. Le cas de l’incendie dans une maison d’habitation familiale est caractérisé par une relation forte entre les membres d’une famille. Il n’y a ainsi ici pas de problème d’opportunisme. Les individus se font confiance. La confiance est ainsi un construit social. La confiance est un produit de l’histoire des individus, une construction sociale qui ne peut être interprétée en termes économiques.

4.3. L’approche de la gouvernance territoriale par la proximité

Le courant de la Proximité s’intéresse à l’analyse des relations économiques territoriales. Elle constitue un croisement entre l’économie industrielle et l’économie régionale avec pour volonté d’endogénéiser l’espace (Bouba-Olga, Coris, et Carrincazeaux 2008). Les travaux portant sur la Proximité (Bellet et al. 1992; Rallet et Torre 1995; Gilly et Torre 2000; Pecqueur et Zimmermann 2004) sont nés d’une insatisfaction, « celle de l’analyse jugée insuffisante des mécanismes et des déterminants de la « boite noire territoire » et au-delà des mécanismes de coordination entre acteurs » (Filippi, Wallet, et Polge 2018). La proximité pose la question du local et des relations entre les acteurs.

En questionnant le lien entre espace et proximité, les auteurs distinguent plusieurs types de proximité (Rallet et Torre 1995; Pecqueur et Zimmermann 2004; Bouba-Olga, Coris, et Carrincazeaux 2008; Talbot 2008; Bouba-Olga et Grossetti 2008; Zimmermann 2008). La proximité géographique, également nommée proximité spatiale ou physique, désigne la distance physique qui sépare deux unités : individus, organisations, etc. (Bouba-Olga, Coris, et Carrincazeaux 2008). Elle est relative aux moyens de transport, la distance doit être pondérée par le temps et les coûts de transport, et est subjective, dépendant du jugement porté par les individus sur la distance qui les sépare (Rallet et Torre 2005). La proximité relationnelle, ou non-géographique, renvoie à différentes conceptions selon le positionnement respectif des agents en termes de potentiel de coordination (Bouba-Olga, Coris, et Carrincazeaux 2008). L’approche interactionniste met l’accent sur la proximité relationnelle, dite proximité organisée, qui désigne « la capacité qu’offre une organisation de faire interagir ses membres » (Rallet et Torre 2005). L’approche institutionnaliste introduit une dimension politique de la coordination qui se veut complémentaire de la dimension cognitive (Talbot 2008). Elle distingue deux dimensions dans la proximité relationnelle : la proximité institutionnelle et la proximité organisationnelle (Talbot 2005, 2008). La proximité institutionnelle est définie comme « l’adhésion d’agents à un même espace commun de représentations, de règles d’actions et de modèles de pensée »

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(Kirat et Lung 1995). Elle désigne « le fait pour un groupe d’individus de partager et de se conformer à un ensemble d’institutions » (Talbot 2005). Elle comprend une dimension cognitive renvoyant à une vision partagée du monde et une dimension politique régulatrice qui attribue des rôles à des acteurs hétérogènes afin d’apaiser transitoirement les conflits (Talbot 2008). La proximité organisationnelle fait référence au mode de coordination au sein d’une organisation entendue comme un « espace de définition des pratiques et des stratégies des agents à l’intérieur d’un ensemble de règles porté par les institutions » (Kirat et Lung 1995).

Les travaux portant sur la gouvernance territoriale n’adressent que très peu la question des proximités. Ces dernières traitent le plus souvent des dimensions productives et du lien entre proximité physique et innovation. Pourtant, plusieurs composantes essentielles de la notion de proximité se rapprochent des processus de développement territorial : les dimensions foncières, les relations de coopération entre acteurs, et surtout la multiplicité des parties prenantes, souvent hétérogènes et porteuses d’enjeux et de visions différentes, voire profondément divergentes (Torre et Beuret 2012; Torre 2018a). La gouvernance territoriale peut être abordée sous l’angle de l’identification des critères qui fondent les différentes formes de la proximité. Le territoire apparait dans cette perspective comme une modalité de prise en compte de l’espace par le jeu des combinaisons des proximités géographiques et non-géographiques (proximité organisée dans l’approche interactionniste, proximité organisationnelle et institutionnelle dans l’approche institutionnaliste) (Leroux, Gilly, et Wallet 2004).

Le recours à la distinction portée par Torre (Rallet et Torre 2005; Torre 2018a; Torre et Beuret 2012) entre proximité géographique et proximité organisée est riche d’enseignement pour comprendre les relations et les interactions entre les acteurs parties prenantes de la gouvernance territoriale. Les acteurs de la gouvernance territoriale se trouvent par définition localisés sur un même territoire. Ils sont ainsi tenus par des relations de proximité géographique : « Ils sont localisés à faible distance les uns des autres et peuvent aisément se concerter grâce aux faibles temps d’accès entre leurs lieux de travail ou de vie » (Torre 2011). De même qu’elle ne suffit pas à expliquer les relations et les interactions entre les acteurs dans le cadre des processus productifs localisés, la proximité géographique ne suffit pas à comprendre les liens tissés entre les acteurs locaux, parties prenantes de la gouvernance territoriale. Le recours à la notion de proximité organisée apporte un éclairage sur les relations entre acteurs. La capacité des acteurs à travailler ensemble pour la résolution d’une problématique ou la définition de projets communs peut se comprendre par leur appartenance à des réseaux ainsi qu’au partage de valeurs et d’objectifs communs (Torre 2011). Ainsi, la proximité organisée repose sur deux logiques essentielles : une logique d’appartenance et une logique de similitude, qui permettent d’analyser et de comprendre les relations entre les différentes parties prenantes des territoires (Torre et Beuret 2012). La logique d’appartenance désigne « le fait que deux ou plusieurs acteurs appartiennent à un même graphe de relations, ou encore à un même réseau, que leur relation soit directe ou intermédiée » (Torre et Beuret 2012). Elle regroupe des acteurs entre

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lesquels se nouent des interactions. Elle inclue des degrés de connectivité variables qui se traduisent par une plus ou moins grande proximité organisée et, par conséquent, par un plus ou moins grand potentiel d’interaction ou d’action commune (Bouba-Olga et Zimmermann 2004). La logique de similitude fait référence à « l’adhésion mentale à des catégories communes : des individus se trouvent à de faibles distances cognitives les uns des autres » (Torre et Beuret 2012). Les individus partagent des valeurs communes qui intègrent des références similaires, des normes sociales, un langage commun. Les individus vont d’autant mieux pouvoir collaborer qu’ils appartiennent à une même culture. La logique de similitude regroupe des acteurs qui se ressemblent, qui possèdent le même espace de référence, partagent les mêmes savoirs.

Plus qu’une distinction entre les deux formes de la proximité, la combinaison et l’articulation des proximités géographiques et organisées conduit à faire émerger la notion de « proximité territoriale » (Zimmermann 2008; Torre et Beuret 2012; Torre 2016a). La construction et l’évolution des territoires résultent ainsi de la création de proximités organisées d’appartenance et de similitude et des liens qu’elles entretiennent avec les proximités géographiques au sein d’un espace borné par des frontières administratives ou institutionnelles. Le lieu de la proximité territoriale provient de la dynamique des territoires analysée sous le prisme de l’interaction entre la proximité géographique et la proximité organisée (Torre et Beuret 2012). La proximité territoriale « apporte une réponse adaptée aux questions d’aménagement, de développement et de gouvernance des territoires. En particulier, elle permet d’expliquer comment les territoires sont créés, modifiés et développés (par le jeu des proximités), à travers la construction de dispositifs, de structures et d’instruments de gouvernance » (Torre 2016a). La proximité géographique est un fait pour les acteurs situés sur un même territoire. La proximité organisée constitue un potentiel pour les territoires à activer ou à mobiliser dans le cadre de la gouvernance territoriale. Au-delà de la relation géographique, la proximité organisée concerne les différentes manières qu’ont les acteurs d’être proches. Les logiques d’appartenance et de similitude expliquent les liens entre les individus partageant des valeurs ainsi qu’une culture commune.