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Le premier chapitre a permis de mettre en exergue les caractéristiques interterritoriales et d’identifier la reconnaissance des interdépendances territoriales comme un enjeu de développement. Le retour sur la notion de territoire a souligné le lien étroit qu’elle entretient avec celle de mondialisation de l’économie. Il souligne également les conflits d’appropriation de l’idée de territoire entre une approche politico-administrative qui tend à entretenir une logique de territoire « juridiction », lieu de mise en œuvre du pouvoir, et une approche plus sociale adoptant le territoire comme un construit social caractérisé par des relations durables de proximité géographique développée entre une pluralité

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d’acteurs. Le recours à l’idée d’un territoire comme d’un système complexe permet, pour un temps, de fondre ces notions en un tout plus large et plus complexe du fait de la multitude des composantes intégrées à sa définition. Néanmoins, le rapport à la mondialisation des territoires est ambivalent. Il exacerbe leur développement dans une logique de développement endogène et d’intégration dans les chaînes de valeurs mondialisées. Le sur-régime territorial qui est généré s’avère une réponse imparfaite. Les territoires sont en effet débordés par des pratiques interterritoriales, par « une économie de et en réseau » qui amène au dépassement même de la notion de territoire. Dès lors, plus qu’une recherche de la taille et du périmètre territorial, se pose la question de l’articulation des territoires. Les territoires apparaissent interdépendants.

Notre premier chapitre souligne l’importance de penser désormais ce qui relie les territoires et de chercher à valoriser les complémentarités. Il pose la question de l’organisation collective à même de permettre aux acteurs de se connaitre, de se comprendre et d’initier des stratégies de développement territorial pertinentes au regard des réalités économiques et sociales interterritoriales. La référence aux jeux d’acteurs pose la question de la gouvernance des territoires. Dans une deuxième partie, nous revenons sur la notion de gouvernance territoriale comme modalité organisationnelle des jeux d’acteurs sur les territoires. Nous proposons dans une troisième partie de transposer la logique de gouvernance territoriale propre au cadre territorial à une logique de coopération territoriale comme une réponse aux interdépendances entre les territoires.

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CHAPITRE 2-LA GOUVERNANCE TERRITORIALE, UN ENJEU DE

DÉVELOPPEMENT

Le second chapitre a pour objet la gouvernance territoriale. Notre objectif est de mettre l’accent sur la gouvernance territoriale comme un enjeu de développement territorial en spécifiant les modalités organisationnelles des jeux d’acteurs et les caractéristiques sous-jacentes, telles que la confiance, à l’origine de l’instauration des forces collectives durables.

L’approfondissement du fait territorial dans le cadre de la mondialisation de l’économie a fait émerger une production scientifique foisonnante sur les modes d’organisations territoriaux favorables au développement des territoires. Aux stratégies de développement local, par le haut, ont succédés des stratégies de développement territorial témoignant d’un développement différencié des territoires et d’une certaine prise en main des problématiques locales par les acteurs locaux. Bien que les deux termes pourraient être utilisés dans de nombreux contextes indistinctement l’un de l’autre (Pecqueur 2000), le développement territorial met en avant le processus de création venant du territoire tandis que le développement local repose sur une approche plus descendante de l’action publique (Veltz et Vanier 2016). Plusieurs modèles de développement local, puis territorial, se sont succédés s’appuyant sur les travaux scientifiques. Cette « obsession du modèle » (Bouba-Olga 2017) a entrainé un passage du small is beautiful au big is beautiful. Dans les années 1990, le modèle des districts industriels italiens (Bagnasco 1977; Becattini 1979; 1989) témoignant de la réussite de certains territoires infrarégionaux caractérisés par « l’association active, dans une aire territoriale circonscrite et historiquement déterminée, d’une communauté de personnes et d’une population d’entreprises

industrielles » (Becattini 1979) a donné naissance à la politique des Systèmes Productifs Locaux (SPL)

portée par la Délégation à l’Aménagement du Territoire et de l’Action Régionale (DATAR). Le modèle

de la Silicon Valley popularisée par les travaux de Porter (1998) sous l’idée de cluster conçu comme le regroupement, au sein d’un espace géographique limité, de petites entreprises privées de haute technologie, de laboratoires de recherche et d’établissements de formation, a donné naissance à la labellisation des pôles de compétitivité. Plus récemment, la référence, d’une part, au modèle des Länder allemands et, d’autre part, aux grandes métropoles de Californie (A.-J. Scott 1988; Storper et Walker 1989) caractérisées par leur taille et leur capacité à intégrer des activités économiques productives fortement créatrices de richesse, soutient l’existence d’un effet taille et d’une masse critique à l’origine de la performance des territoires. Ces travaux ont pour caractéristiques de questionner l’organisation des activités économiques et le processus de développement territorial autour de deux questions : i) celle de la création de richesse par les processus productifs ; ii) celle de l’organisation collective et des jeux d’acteurs. Nous focalisons notre attention sur la deuxième. Les jeux d’acteurs sont en effet au centre de l’avantage retiré par ces différents dispositifs territoriaux : les relations entre des petites et moyennes entreprises dans le cas des districts italiens, les relations entre

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entreprises et laboratoires de recherche dans le cas des clusters, la concentration des acteurs sur un même lieu favorisant les externalités de connaissance dans le cas des métropoles.

La capacité des acteurs locaux à s’emparer des stratégies de développement territorial a propulsé les modalités organisationnelles des acteurs locaux comme une caractéristique du développement des territoires. La gouvernance territoriale témoigne de la capacité de coordination des parties prenantes sur un territoire. Elle initie une réflexion sur les jeux d’acteurs dans l’émergence des projets collectifs territoriaux avec une approche autonome du pouvoir étatique. Elle questionne les rôles et responsabilités des acteurs locaux et en premier lieu desquels ceux des pouvoirs publics. Elle interroge les relations et les interactions entre les acteurs à une échelle territoriale. Elle adopte une approche horizontale et partenariale opposée à une vision verticale et hiérarchique de l’action publique.

Dans ce second chapitre, nous revenons dans un premier temps sur la notion de gouvernance qui s’est développée en réponse à l’échec des gouvernements en décrivant son utilisation dans le cadre de la gouvernance mondiale et de la gouvernance d’entreprise. Dans un second temps, nous présentons plus spécifiquement la notion de gouvernance territoriale en insistant sur ses caractéristiques fondamentales : une approche multi-acteur, une organisation collective partenariale et horizontale, une redéfinition des rôles des pouvoirs publics. Dans une troisième section, nous précisons dans quelle mesure la gouvernance territoriale constitue un enjeu de développement économique et social aux côtés des processus productifs. Dans un quatrième temps, nous approfondissons les relations entre les acteurs en soulignant le rôle de la confiance, de l’intelligence collective et d’une certaine idée de la proximité.

Section 1 - Retour sur la notion de gouvernance

Le terme « gouvernance » possède une longue histoire (De Oliveira Barata 2002; Norel 2004; Paye 2005; Joumard 2009; Hufty 2011a). Délaissé par la langue française, il y revient dans la deuxième partie du 20ème siècle par l’intermédiaire des travaux sur la gouvernance d’entreprise, corporate governance, puis sur la gouvernance mondiale, global governance. La notion de gouvernance trouve ainsi une applicabilité dans plusieurs champs thématiques qu’il convient de préciser. D’abord abordée sous l’angle de la gouvernance d’entreprise puis de la gouvernance globale, la gouvernance a ensuite pénétré les sciences régionales, politiques et de gestion avec des définitions propres au contexte d’étude de ces champs disciplinaires. En science régionale, le concept est mobilisé pour parler des formes de régulation, d’interdépendance et de coordination des acteurs au sein d’un système territorial donné, donnant naissance à la notion de gouvernance territoriale.

1. Aux origines de la gouvernance

La « gouvernance » trouve son origine dans le terme grec kubernân qui désigne le fait de piloter un

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gouverner les hommes (De Oliveira Barata 2002). Ce terme a donné naissance avec la même

signification au verbe latin gubernare. Ses dérivés, dont gubernantia, ont engendré de nombreux

termes dans plusieurs langues. En français, les termes « gouverner », « gouvernement » et donc « gouvernance » en sont issus.

Au Moyen-Âge, le terme « gouvernance » est employé comme un synonyme de « gouvernement » désignant l’art et la manière de gouverner. À partir du 14ème siècle, la gouvernance désigne des territoires du nord de la France dotés d’un statut particulier : les baillages de l’Artois et de la Flandre. La gouvernance est le nom que portent les juridictions royales de Lille, de Douai, d’Arras et de Béthune. C’est de l’établissement d’un gouverneur dans les provinces du nord de la France par Philippe-le-Bel en 1313 (la France a récupéré la propriété de ces provinces en 1305) et du pouvoir qui lui fut attribué qu’est venu le nom de gouvernance. On parlait également de baillage souverain car la « gouvernance » était vu comme la juridiction à proprement dite du souverain de la Flandre (Guyot 1783). Les termes « baillage » et « gouvernance » pouvaient être employés indifféremment. Le terme « gouvernance » s’applique également plus tard dans un contexte purement domestique, faisant référence à la charge de la gouvernante. Associé à l’Ancien Régime, le terme deviendra par la suite obsolète dans la langue française, bien qu’on le retrouve dans certains pays francophones. Au Sénégal, la gouvernance désigne ainsi les services administratifs d’une région.

Le terme fut introduit dans la langue anglaise au 14ème siècle avec une signification similaire à celle employée dans la langue française. Governance désigne l’art ou la manière de gouverner, the art of governing. Le terme a continué d’être utilisé en langue anglaise dans de nombreux domaines : histoire, droit constitutionnel, science politique, etc. Il a ainsi évolué d’un sens unique à un terme plus confus renvoyant à de nombreux champs thématiques. La notion de gouvernance fut par exemple particulièrement mobilisée dans le cadre des réformes du système éducatif et des universités dans les années 1970 (Hufty 2011a).

Dans la seconde moitié du 20ème siècle, la notion de gouvernance trouve un écho mondial dans deux

champs disciplinaires. Tout d’abord, en économie de l’entreprise, la gouvernance d’entreprise s’intéresse aux interactions et aux processus de décision au sein des entreprises dans la continuité des travaux sur la nature de la firme (Coase 1937) et de l’économie institutionnelle (Commons 1934). Ensuite, dans les années 1990, le terme « gouvernance » est repris pour traiter de l’art de gouverner la mondialisation. Le terme est notamment mobilisé dans les travaux discutant des institutions

internationales (ONU, Banque Mondiale, FMI notamment). La gouvernance imprègne enfin la science

régionale à travers les notions de gouvernance urbaine, puis de gouvernance locale et enfin de gouvernance territoriale.

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2. La gouvernance d’entreprise : la prise en compte des parties prenantes et des