• Aucun résultat trouvé

II. Formation et fonction des exosomes

4. Fonctions des exosomes

Il a été démontré, in vivo et in vitro, que la libération d’exosomes par les globules rouges était un procédé d’élimination, durant la différenciation des réticulocytes en érythrocytes, de protéines de la membrane plasmique, diminuant ainsi en taille et perdant certaines activités spécifiques membranaires (Johnstone, 2006; Vidal et al., 1997). Les exosomes représenteraient pour ces cellules dépourvues de lysosomes un moyen aisé de se débarrasser de protéines devenues indésirables. Depuis leur découverte dans les années 80, il a été montré que de nombreux types cellulaires étaient capables de sécréter des exosomes. Les différentes études produites ont permis de montrer que les exosomes n’étaient pas seulement un moyen d’élimination de protéines obsolètes mais qu’ils pouvaient également jouer un rôle clé dans la communication intercellulaire et la propagation de divers messages à travers l’organisme, par le transfert de protéines et d’ARN.

i. Dans le système immunitaire

Le système immunitaire est constitué de deux barrières : l’immunité innée, représentée par des cellules capables de phagocyter la plupart des pathogènes qui entrent dans l’organisme (macrophages, cellules dendritiques), et l’immunité spécifique, due aux lymphocytes B et T. L’activation des lymphocytes T est restreinte par la présentation des antigènes (Ag) en association avec des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de type I et II. Le déclenchement de la réponse immune spécifique se fait au niveau des cellules présentatrices d’antigène (CPA), comme les lymphocytes B et les cellules dendritiques, qui sont capables d’apprêter les antigènes et de les présenter à leur surface en association avec du CMH I ou II pour activer les lymphocytes T. Les LT sont de deux types : les CD4+, ou LT helper, sont activés par des complexes Ag-CMH II, et vont sécréter des cytokines pour orchestrer la réponse immunitaire spécifiquement contre l’antigène. Les LT CD8+, ou LT cytotoxiques, sont activés par les Ag présentés sur des CMH I, et vont ensuite induire la destruction des cellules infectées par exemple par un virus.

La première étude sur les exosomes sécrétés par des cellules immunitaires a été réalisée en 1996 par Graça Raposo et al. L’équipe observe qu’une lignée de lymphocytes B en culture sécrète des exosomes, qui contiennent des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe II (CMHII). Les exosomes sécrétés par cette lignée de lymphocytes B incubée avec des antigènes provenant de mycobactéries sont capables à eux seuls d’activer la prolifération de lymphocytes T CD4+ en culture, tandis que des exosomes sécrétés par des cellules B naïves n’induisent pas cette prolifération. Ces résultats précurseurs ont montré que les exosomes étaient porteurs de messages qu’ils pouvaient transmettre entre les cellules (Raposo et al., 1996).

Les années suivantes, le groupe de Salaheddine Mécheri s’est intéressé aux exosomes de mastocytes, cellules à granules du système immunitaire inné, en particulier impliquées dans les phénomènes allergiques. Ces cellules sécrètent des exosomes qui contiennent des molécules de classe II (CMHII), les protéines chaperonnes Hsp60 et 70, des facteurs de co-stimulation (CD86), et les protéines d’adhésion cellulaire LFA-1 (leucocyte function-associated molecule 1) et I-CAM (intercellular adhesion molecule) (Skokos et al., 2001). Lorsque les mastocytes sont incubés in vitro avec un antigène, cet antigène est ensuite sécrété par les exosomes, en association avec les chaperonnes Hsp60 et Hsp70. In vivo, l’administration à des souris naïves d’exosomes de mastocytes préincubés avec un antigène provoque une maturation des cellules dendritiques, qui augmentent leur production de CMH II et de facteurs de co-stimulation. Les cellules dendritiques sont ensuite capables d’activer des lymphocytes en leur présentant les peptides qui ont été apportés par les exosomes (Skokos et al., 2003). Cette implication des mastocytes dans la mise en route de l’immunité spécifique n’avait encore jamais été décrite. De plus, cette étude montre que les exosomes peuvent transférer des protéines à des cellules qui sont capables de les utiliser pour déclencher une réponse immunitaire.

En 2012 a été publiée une étude sur les exosomes de cellules NK (Natural Killers) menée par Luana Lugini et ses collaborateurs. Ils y démontrent notamment que les exosomes sécrétés par ces cellules contiennent des protéines cytotoxiques qui leur sont propres telles que la perforine. Ces exosomes sont biologiquement actifs puisqu’ils présentent une activité cytolytique lorsqu’ils sont incubés avec des cellules tumorales de différentes lignées (Lugini et al., 2012).

Une grande partie des études sur les exosomes sécrétés par les cellules du système immunitaire porte sur les cellules dendritiques (DC), qui ont un rôle central dans le déclenchement de la réponse immunitaire. A l’état immature, elles interviennent dans l’immunité innée, en phagocytant les pathogènes et en les éliminant. Lorsqu’elles sont activées, elles présentent les complexes antigènes-CMH aux lymphocytes T pour permettre le déclenchement de la réponse spécifique. En 1998, une étude a montré pour la première fois que ces cellules sécrétaient des exosomes. Des cellules dendritiques immatures en culture, incubées avec un antigène, l’endocytent, et sécrètent des exosomes qui portent des molécules du CMH I et II fonctionnelles associées à l’antigène, ainsi que des facteurs de co-stimulation (CD80 et CD86) nécessaires à l’activation de la réponse immunitaire (Zitvogel et al., 1998).

En 2002, Théry et al ont montré que des cellules dendritiques n’exprimant pas de CMH II étaient néanmoins capables d’activer des lymphocytes T CD4+ si elles avaient été pré-incubées avec des exosomes sécrétés par des cellules dendritiques normales. Les exosomes leur ont donc apporté les

complexes CMH II – peptides qui leur manquaient pour activer les lymphocytes. Ces résultats montrent que les exosomes permettent le transfert de protéines fonctionnellement actives, à distance, entre diverses cellules du système immunitaire, et qu’ils sont ainsi capables de participer au déclenchement d’une réponse immune (Thery et al., 2002).

Ce transfert de protéines entre cellules dendritiques via les exosomes est d’une importance capitale en particulier dans l’immunité anti-tumorale. En effet, les tumeurs sont capables de développer des systèmes de défense et de camouflage dans l’organisme, qui rendent souvent impossible le déclenchement d’une réponse anti-tumorale efficace. Or l’équipe de Laurence Zitvogel, à Paris, a eu l’idée d’utiliser le potentiel immuno-déclencheur des exosomes de cellules dendritiques pour lutter contre les tumeurs. In vitro, des DC prélevées chez une souris porteuse d’une tumeur sont incubées avec des peptides issus de cette tumeur. Les exosomes sécrétés par ces cellules dendritiques sont ensuite ré-injectés en sous-cutané à la souris. Les chercheurs observent après 60 jours une activation des lymphocytes T CD8+ spécifiquement dirigée contre la tumeur, et une suppression de la progression tumorale, voire le rejet de la tumeur. De plus, les animaux gardent une mémoire de cette immunité spécifique, qui leur permet d’être protégés à long terme contre la tumeur (Zitvogel et al., 1998).

De nombreuses études ont porté sur la fonction physiologique des exosomes sécrétés par des cellules dendritiques (Dex) dans des dispositifs in vitro et in vivo. Les Dex ayant été impliqués dans la stimulation de l’immunité antitumorale, la perspective de vaccins exosomaux anti-tumoraux autologues chez l’humain a vu le jour. Cela a conduit à des essais cliniques de phase I (validation de la faisabilité, évaluation des doses à administrer et des effets indésirables à court terme) chez des patients atteints d’un cancer du poumon à grandes cellules (Morse et al., 2005) et chez des patients ayant un mélanome métastatique (Escudier et al., 2005). Dans cet essai, mené par l’institut Gustave Roussy en collaboration avec l’institut Curie, les patients ont reçu des injections de Dex recouverts de l’antigène de mélanome MAGE3. Ainsi, les chercheurs ont pu démontrer la faisabilité du traitement et sa non toxicité. Par contre, les résultats concernant son efficacité se sont avérés peu concluants puisque n’ont été observés que chez quelques patients une régression de la tumeur cutanée et la disparition des métastases. La faible capacité immunogénique de ces Dex a conduit les chercheurs à développer une seconde génération de Dex dont les propriétés immunostimulatoires ont été améliorées par le traitement préalable des cellules dendritiques sécrétrices à l’interféron-g. Cette seconde génération est appelée g-Dex et est actuellement l’objet d’essais cliniques de phase II (Viaud et al., 2011).

Pendant longtemps, les chercheurs se sont intéressés au contenu en protéines que pouvaient s’échanger les cellules immunitaires. Depuis 2007 et les travaux de Valadi et al il est désormais connu que les exosomes contiennent également des acides nucléiques (Valadi et al., 2007). Ainsi, en 2011, deux publications font état de transfert de microARN entre des cellules du système immunitaire. Maria Mittelbrunn et ses collaborateurs ont démontré le transfert de miR via les exosomes entre des lymphocytes T et des cellules présentatrices d’antigènes tandis que le groupe d’Adrian E. Morelli a étudié le transfert de miR entre cellules dendritiques (Mittelbrunn et al., 2011; Montecalvo et al., 2011). L’échange de matériel génétique via les exosomes ajoute une nouvelle dimension à la communication intercellulaire au sein du système immunitaire (Figure 16).

Figure 16 Un nouveau mode de communication intercellulaire : le transfert d’ARN par les microvésicules parmi lesquelles, les exosomes. A. Les vésicules extracellulaires tirent leur origine d’au moins trois mécanismes différents : a)

invagination de la membrane d’un endosome multivésiculé (ou corps multivésiculaire, MVB) et fusion de ce dernier avec la membrane plasmique ; b) vésiculation de la membrane plasmique donnant naissance à des microvésicules variées dont les ectosomes ; c) libération de corps apoptotiques par une cellule en apoptose. Ces trois types de vésicules peuvent contenir du matériel génétique et le délivrer à une cellule receveuse. B. Les mécanismes d’interaction des exosomes avec la cellule cible sont encore à l’étude mais les exosomes seraient en mesure i) de fusionner avec la membrane de la cellule receveuse, ii) d’être endocyté ou phagocyté (iii) puis de subir un mécanisme de back fusion afin de délivrer son contenu luminal dans le cytosol de la cellule (d’après (Mittelbrunn and Sanchez-Madrid, 2012)).

ii. Exosomes tumoraux

L’existence d’exosomes tumoraux ou Tex (Tumor-derived exosomes) a été démontrée par l’analyse de surnageants de culture de lignées tumorales et la détection de leur présence dans des ascites de patients cancéreux. Les Tex contiennent entre autres des molécules du CMH I, la protéine chaperonne Hsp70, Tsg101, CD9. Mais ils contiennent également des protéines spécifiques de la tumeur et notamment des antigènes tels que Mart-1, un antigène de mélanome (Andre et al., 2002b; Taylor and Gercel-Taylor, 2005; Wolfers et al., 2001). Joseph Wolfers et ses collaborateurs ont montré que les Tex transfèrent des antigènes aux cellules dendritiques et activent ainsi l’immunité anti-tumorale en modulant les effets anti-tumeur des lymphocytes T CD4+ et CD8+. De même, André et al ont montré que des exosomes de patients atteints d’un mélanome délivrent Mart-1 aux cellules dendritiques qui le présentent alors aux lymphocytes T. Le groupe de Gabriele Multhoff a lui montré que des Tex présentant à leur surface la chaperonne Hsp70 stimulent la migration et l’activité cytolytique des cellules NK (Gastpar et al., 2005). Les premières études sur les Tex ont amené les scientifiques à les considérer comme une source d’antigènes de réjection des tumeurs et à envisager leur utilisation thérapeutique (Andre et al., 2004; Andre et al., 2002a). A ce jour, aucun essai clinique n’a employé de Tex, probablement à cause de leur nature versatile. En effet, bien que leur effet activateur de la réponse immunitaire ait été prouvé, les Tex sont également capables de l’inhiber. En étudiant les effets des Tex sur la croissance tumorale, Liu et al ont démontré que l’injection d’exosomes sécrétés par deux lignées cancéreuses TS/A et 4T1 (carcinomes mammaires) à des souris (BALB/c ou nude) stimule la croissance de la tumeur implantée et entraîne le développement rapide de nécroses et de métastases. L’effet drastique observé chez les souris nude (qui sont dépourvues de défense liée aux lymphocytes T mais chez qui la réponse immunitaire liée aux cellules NK est toujours active) les ont conduits à s’intéresser à l’effet des Tex sur l’activité cytotoxique des cellules NK. Dans leur étude, le traitement de souris BALB/c aux exosomes TS/A entraîne une réduction du pourcentage de cellules NK dans la rate et les poumons. Et dans leurs mains, les Tex inhibent l'activité cytotoxique des cellules NK ex vivo et in vitro et influent notamment sur la sécrétion de perforine (Liu et al., 2006). En outre, les exosomes sécrétés par certaines tumeurs (LNCaP -lignée cancéreuse de la prostate- et ascites de cancers ovariens) présentent à leur surface le Fas ligand ou FasL. Son interaction avec le récepteur Fas porté par les lymphocytes T déclenche leur apoptose, participant ainsi à l’évasion immunitaire de la tumeur (Abusamra et al., 2005; Taylor and Gercel-Taylor, 2005). Enfin, les Tex contiennent des molécules antiprolifératives, comme le TGFβ (tumour growth factor β) et pourraient inhiber la réponse anti-tumorale de l’organisme en réduisant la prolifération des lymphocytes T CD8+ induite par l’interleukine IL-2 (Clayton et al., 2007).

Il apparaît donc que les exosomes sécrétés par les cellules tumorales peuvent participer à la progression tumorale en favorisant son évasion immunitaire. Les Tex peuvent également favoriser la prolifération des cellules tumorales. Dans une étude de 2009, des cellules d’une tumeur gastrique humaine ont été mises en culture, puis les exosomes sécrétés par ces cellules ont été incubés sur d’autres cellules qui provenaient soit de la même tumeur, soit d’une tumeur gastrique d’un autre individu. Il a été constaté une augmentation significative de la croissance cellulaire dans les deux cas. Cette activité proliférative pourrait être due à une stimulation des voies PI3K/Akt (phosphoinositide 3-kinase) et MAPK/ERK (Mitogene activated protein kinase/extracellular regulated protein kinase) dans les cellules receveuses car l’incubation des cellules avec les Tex provoque une augmentation de la phosphorylation de Akt et de ERK1/2 (Qu et al., 2009). Récemment, Fabbri et al se sont intéressés au contenu en microARN d’exosomes isolés à partir de surnageants de culture de lignées cancéreuses A-549 et SK-MES (cancer du poumon). Leurs travaux tendent à prouver que des miR transportés par des Tex sont capables de moduler la croissance tumorale en activant la voie NFκB et la sécrétion de cytokines inflammatoires prométastatiques par fixation sur les récepteurs de type Toll (TLR, Toll Like Receptor) portés par les cellules immunitaires alentours (Fabbri et al., 2012).

Enfin, la libération d’exosomes et la sécrétion de molécules solubles modifieraient ensemble l’environnement autour de la tumeur. Bobrie et ses collaborateurs ont mis en lumière la fonction pro-tumorale de la GTPase Rab27a qui module la sécrétion d’exosomes et de molécules solubles qui participeraient à limiter la réponse immunitaire (Bobrie et al., 2012). De plus, l’hypoxie qui caractérise l’environnement tumoral favorise la sécrétion d’exosomes et de protéines solubles qui stimuleraient l’angiogénèse et l’invasion tumorale sous forme métastatique (Park et al., 2010). Les Tex semblent donc jouer un rôle important dans la modulation du microenvironnement particulier des tumeurs.