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II. Recapture des exosomes par les neurones

2. Exosomes GFP-TTC neuronaux

i. Les exosomes neuronaux, vecteurs de la toxine du tétanos ?

La toxine du tétanos (TeNT), produite par Clostridium tetani et la toxine botulinique, produite par Clostridium botulini, appartiennent à la famille des neurotoxines clostridiales. Ces dernières partagent une structure commune composée d'une chaîne lourde (100 kDa) et d’une chaîne légère (50 kDa) reliées par un pont disulfure et des interactions non-covalentes (Caleo and Schiavo, 2009). La chaîne lourde est responsable de la fixation et de l'internalisation dans les neurones, tandis que la chaîne légère est responsable de l'activité métalloprotéasique intracellulaire. L’intoxication des neurones par ces toxines entraîne l’hydrolyse des protéines SNARE (synaptobrévine II, syntaxine ou SNAP-25, selon la toxine), ce qui se traduit par le blocage de la libération de neurotransmetteurs. Ces neurotoxines clostridiales ont contribué à l'analyse fonctionnelle de la libération des neurotransmetteurs et à l’identification du rôle central joué par les SNARE (Niemann et al., 1994). De plus, la TTC (l’extrémité C-terminale de la chaîne lourde de la toxine tétanique assurant son transport mais qui n’est pas toxique) a été utilisée comme un marqueur du transport rétrograde (Price et al., 1975; Schwab et al., 1979). Elle a par ailleurs été utilisée pour le ciblage et la livraison de protéines exogènes dans le SNC (Bordet et al., 2001; Coen et al., 1997). Malgré toutes ses applications, aucune information précise n’est disponible sur le mécanisme moléculaire utilisée par la TeNT pour passer du motoneurone à l’interneurone. Nous avons émis l’hypothèse que la toxine soit libérée par le

neurone moteur en association avec des exosomes qui seraient repris localement par les interneurones, dans lesquels la TeNT entrerait ensuite en action en clivant la synaptobrévine II. Nos travaux suggèrent fortement que la TeNT transiterait de neurone en neurone via les exosomes : 1) Nous avons montré que la partie C-terminale de la toxine couplée à la GFP est endocytée par les neurones corticaux. En immunofluorescence, nous l’avons vue colocaliser avec des compartiments endosomaux précoces marqués avec un anti-EEA1. En microscopie électronique (ME), nous l’avons repérée dans des MVE.

2) Nous avons montré en ME et en Western blot que la GFP-TTC est sécrétée par voie exosomale à partir de cultures primaires de neurones corticaux.

3) En microscopie confocale, nous avons démontré que les exosomes transportant la TTC pouvaient être recaptés par des neurones receveurs.

Non seulement les exosomes transportent la TTC mais en plus, leur devenir est influencé par ce cargo. Nous avons observé que, contrairement aux exosomes de N2a GFP-CD63, les exosomes véhiculant la GFP-TTC ne se fixent pas à tous les neurones, ne se fixent pas aux cellules gliales et se fixent préférentiellement au niveau des extrémités pré-synaptiques. Ils ont donc le même comportement que la TTC qui, elle-même se comporte comme la toxine entière. Nos observations laissent penser que la toxine entière pourrait tourner à son avantage une voie physiologique de transfert trans-synaptique de matériel entre les neurones, les exosomes.

Les différences que nous avons perçues s’établissent entre des exosomes neuronaux transportant la TTC et des exosomes de N2a exprimant GFP-CD63. Pour confirmer que la TTC influence le comportement des exosomes neuronaux en terme de spécificité de fixation intercellulaire et subcellulaire, il faudrait maintenant travailler avec des exosomes provenant des mêmes cellules sécrétrices : neurone/neurone ou N2a/N2a. En 2002, Kissa et al ont transfecté des cellules N2a afin de produire de la GFP-TTC. En réalisant une co-culture de N2a transfectées GFP-TTC avec des neurones naïfs, les auteurs ont observé un passage de la fluorescence des cellules N2a vers les neurones par un mécanisme qu’ils n’ont pas déterminé (Kissa et al., 2002). On est en droit d’imaginer que ce passage de fluorescence s’est effectué par la réception d’exosomes contenant la GFP-TTC. Nous pourrions imaginer transfecter notre lignée N2a GFP-CD63 avec un plasmide codant pour la RFP-TTC, purifier leurs exosomes, vérifier leur contenu en Western blot et les incuber sur des neurones receveurs. Ce type d’expérience permettrait de confirmer l’influence du cargo TTC sur le devenir des exosomes.

Nos expériences réalisées in vitro demandent à être consolidées par une approche in vivo. Or, il a été montré que la TTC injectée au niveau de l'hippocampe en CA1, est capable de passage trans-synaptique rétrograde puisqu’elle est retrouvée au niveau des fibres moussues de la voie tri-synaptique (Maskos et al., 2002). Notre hypothèse de travail est que ce transport s’effectue par la voie des exosomes. Dans le laboratoire, Fiona Hemming en collaboration avec Tanguy Chabrol (équipe 9, GIN) a mis au point des injections stéréotaxiques de TTC couplée à la HRP (Horseradish Peroxidase) chez des rats. Le principe étant d’injecter la HRP-TTC dans la région dorsale de CA1 et de suivre son transfert rétrograde en CA3, grâce à son activité peroxydase. Pour cela, des coupes de la région comprenant les synapses entre la partie CA3 et les fibres moussues sont observées en ME. En collaboration avec Karin Pernet-Gallay (plateforme ME, GIN), F. Hemming a pu observer dans le CA3 éloigné du site d’injection, des MVE assombris par la présence de HRP-TTC dans leurs ILV, côtoyant des MVE clairs non marqués. De même, des vésicules ayant la taille et la forme des exosomes semblaient présenter un marquage sombre dû à l’activité peroxydase. Ces observations nous confortent dans l’idée que la TeNT transiterait via les exosomes in vivo. Néanmoins, ces résultats très encourageants doivent être interprétés avec beaucoup de précaution : il est parfois difficile d’affirmer que le signal sombre observé correspond bien à la révélation de la HRP. A l’heure actuelle, F. Hemming met au point le même genre d’expérience mais cette fois avec l’injection de GFP-TTC observée en microscopie biphotonique (coll. Florence Appaix, plateforme microscopie, GIN).

Dans des expériences ultérieures, il sera important de travailler avec la toxine entière incubée sur des motoneurones pour être au plus près de ses conditions d’entrée physiologiques. Il faudra tester la sécrétion exosomale de la toxine entière par les neurones moteurs. Il sera alors possible de vérifier que la toxine associée aux exosomes peut être reprise par d’autres neurones et y cliver la synaptobrévine II.

ii. Le côté obscur des exosomes

Nos observations nous poussent à penser que les exosomes neuronaux pourraient être un vecteur d’agents pathogènes, notamment pour la TeNT. En effet, si les exosomes neuronaux peuvent apparaître aujourd’hui comme un moyen d’échange physiologique au sein du système nerveux, de nombreux groupes ont relié ces vésicules au transport de molécules pathogènes, telles que le prion. Le prion est l’agent infectieux responsable de maladies neurodégénératives comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l’homme et l’encéphalie spongiforme bovine chez le bétail. Chez l’homme ont été identifiées des formes familiales de la maladie mais toutes les formes sont transmissibles par voie sanguine ou digestive.

Ces dix dernières années ont vu émerger plusieurs études montrant la présence des protéines Prp-c (forme cellulaire normale) et Prp-sc (scrapie, isoforme muté pathogène) dans les exosomes sécrétés par différentes lignées cellulaires (Alais et al., 2008; Fevrier et al., 2004; Vella et al., 2007). En outre, il a été démontré que les exosomes porteurs de la protéine Prp-sc sont infectieux car ils induisent la conversion de la Prp cellulaire en scrapie dans une lignée cellulaire en culture, et la mort des souris auxquelles ils ont été injectés, suite à des désordres neurologiques (Fevrier et al., 2004). La présence de Prp-c dans les exosomes de neurones (Faure et al., 2006) et dans le liquide céphalo-rachidien (Vella et al., 2008) renforce le rôle hypothétique des exosomes comme moyen de propagation de l’infection dans le SNC.

Alors que ses effets ne sont visibles qu’au niveau des neurones du SNC, l’infection par le prion passe par l’alimentation ou le sang, ce qui reflète le transfert du prion de la périphérie vers le SNC. La propagation de la protéine pathogène depuis la périphérie vers le SNC pourrait se produire soit à partir du système nerveux périphérique, par exemple au niveau de la jonction neuromusculaire, soit à partir du flux sanguin directement vers le SNC, ce qui nécessiterait un passage de la protéine à travers la barrière hémato-encéphalique (BHE).Or, le passage d’exosomes à travers la BHE a été mis en évidence lors de la purification d’exosomes dérivés de tumeurs cérébrales dans le plasma sanguin des patients (Graner et al., 2009). Les exosomes pourraient donc être le moyen de propagation du prion à la fois de la périphérie au SNC, puis à l’intérieur même du SNC.

Une étude datant de 2009 suggère que la protéine Prp-sc pourrait également être transférée d’une cellule à une autre en passant par des nanotubes (Gousset et al., 2009). Les nanotubes sont de fins prolongements de membrane plasmique contenant de l’actine qui forment un pont entre deux cellules. L’établissement de ces nanotubes permet aux cellules ainsi reliées d’échanger des composés membranaires et cytoplasmiques (Belting and Wittrup, 2008). On peut imaginer qu’il existe plusieurs voies de propagation de l’infection, les nanotubes pour une transmission locale et les exosomes pour une propagation à la fois locale et « longue-distance ».

En plus de la TeNT et du prion, les exosomes participeraient à la propagation de certaines pathologies neurodégénératives comme les tauopathies, la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer (Bellingham et al., 2012). Dans notre laboratoire, Karine Laulagnier s’intéresse à la sécrétion exosomale dans le contexte de la maladie d’Alzheimer.

Nos études de recapture des exosomes par les neurones en culture renforcent l’hypothèse selon laquelle les exosomes neuronaux sont un moyen de communication intercellulaire physiologique dans le système nerveux qui peut avoir des conséquences pathologiques.