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Fonctions différentielles des complexes du PcG et connections avec le cancer

Partie IV : Ciblage des complexes du PcG sur les gènes

3. Fonctions différentielles des complexes du PcG et connections avec le cancer

Les protéines du PcG, comme nous venons de le voir, peuvent cibler des gènes associés aux principaux processus biologiques d’une cellule, à savoir : le cycle cellulaire, l’apoptose, la signalisation et la différenciation cellulaires. Ces protéines sont donc essentielles pour définir le destin d’une cellule en contrôlant la survie mais aussi la mort de celle ci. Il n’est donc pas éton-nant de retrouver ces protéines dérégulées dans de nombreux types de cancer (Sauvageau and Sauvageau, 2010).

Cependant, le rôle exact des protéines du PcG dans le processus de cancérisation est peu ou mal compris à l’heure actuelle. En effet, les différentes études menées chez les mammifères ou chez la drosophile pour comprendre l’implication de ces protéines dans le développement du cancer, rapportent dans certains cas, qu’elles fonctionnent comme des proto-oncogènes et dans d’autres comme des suppresseurs de tumeur. Ces études, menées sur des cellules souches ou des tissus, analysent les effets de la perte ou de la surexpression d’une protéine du PcG sur la pro-lifération, la différenciation ou l’apoptose. Selon l’espèce ou la protéine étudiée, les conclusions rapportées varient.

La première protéine du PcG à avoir été associée à une fonction proto-oncogénique est BMI1 (B lymphoma Mo-MLV insertion 1), l’homologue de la protéine Psc de drosophile. En collaboration avec le facteur MYC, la surexpression de cette protéine induit la formation de lymphome des cellules B et T (Haupt et al., 1991; van Lohuizen et al., 1991). Par la suite, il a été montré que le locus suppresseur de tumeur Cdkn2a est une cible de la protéine BMI1 (Jacobs et al., 1999a; Jacobs et al., 1999b) et de nombreuses autres protéines du PcG (Maertens et al., 2009). Ce locus code pour les protéines INK4A et ARF qui ont toutes deux pour fonction de bloquer le cycle cellulaire et de provoquer l’apoptose en réponse à des signaux mitogènes aberrants. Le

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potentiel oncogénique des protéines du PcG qui est fréquemment observé pourrait alors s’expli-quer par la répression de ce locus qui, par ailleurs, est retrouvé fréquemment muté dans divers cancers chez l’homme (Gil and Peters, 2006).

Nous avons discuté précédemment du fait que les protéines du PcG répriment de nombreux gènes de différenciation et pourraient alors permettre aux cellules souches embryonnaires ou adultes de rester pluripotentes. En accord avec cette idée, la perte de fonction des protéines du PcG, EZH2 ou SU(Z)12 a été associée dans des cellules souches des muscles squelettiques, neu-ronales et épidermiques, à une perte d’activité proliférative et une différenciation prématurée de ces cellules (Asp et al., 2011; Caretti et al., 2004; Ezhkova et al., 2009; Sher et al., 2012). Les cellules souches et les cellules cancéreuses partageant toutes deux cette capacité d’auto renou-vellement, les protéines du PcG pourraient donc agir comme des proto-oncogènes en établissant dans les cellules cancéreuses un caractère hyper prolifératif.

Cependant, au regard de nombreuses autres études, la situation semble être beaucoup plus complexe. Par exemple, deux études ont également rapporté que la perte de fonction de cer-taines protéines du PcG dans des cellules souches engendrait la dérépression de facteurs de différenciation, mais que cet évènement n’était pas suffisant pour induire un arrêt de la prolifé-ration et que, à l’inverse de ce qui avait été proposé, ces cellules étaient dans l’incapacité de se différentier (Chamberlain et al., 2008; Pasini et al., 2007). Ou bien encore, il a été montré que la protéine Mel-18, à l’inverse de son paralogue BMI1, se comporte comme un suppresseur de tumeurs dans différentes lignées cellulaires cancéreuses (Guo et al., 2007; Kanno et al., 1995).

D’autre part, l’analyse comparative de l’effet de mutants du PRC1 ou du PRC2 sur la diffé-renciation des cellules souches hématopoïétiques a montré que la dérépression du locus Cdkn2a n’est pas observée dans tous les mutants et que les fonctions des deux complexes du PcG semblent dans ces cellules être différents (Lessard et al., 1999; Majewski et al., 2010). Dans ces études, il a également été montré que, selon la protéine du PcG altérée, différents groupes de gènes sont transcriptionnellement dérégulés. Enfin sur le même principe, si la protéine SU(Z)12 a été asso-ciée à la prolifération des myoblastes chez la souris, dans le même système les protéines BMI1 et RING1B semblent nécessaires pour la différenciation de ces cellules en myotubes (Asp et al., 2011).

De ces différentes études, il semble alors que chez les mammifères, selon le contexte cellu-laire et la protéine du PcG impliquée, le système Polycomb puisse être utilisé de diverses façons pour exécuter des fonctions variables.

Ciblage des complexes du PcG sur les gènes au cours du développement

L’existence de plusieurs isoformes des protéines du PcG pourrait être une stratégie utilisée chez ces espèces pour permettre la formation de plusieurs complexes à fonction variable. Deux récentes études viennent justement de révéler que la pluripotence et la différenciation des cellules souches embryonnaires de souris étaient sous le contrôle de différents complexes PRC1 dont les fonctions s’opposent (Morey et al., 2012; O’Loghlen et al., 2012). Ces complexes se distinguent les uns des autres par l’incorporation de différentes formes de la protéine CBX, l’homologue de Pc de drosophile, qui chez la souris correspond à cinq protéines.

Chez la drosophile, il n’existe pas une aussi grande diversité des protéines du PcG. Pourtant, comme pour les mammifères, différents phénotypes sont associés à la mutation de différents membres du PcG.

La mutation homozygote des protéines du PRC1 ou du PRC2 dans des embryons de droso-phile est létale. Malgré quelques différences au niveau de la sévérité des différents mutants affec-tant ces deux complexes, rien ne laisse penser que les protéines du PRC1 et du PRC2 puissent agir différemment les unes des autres. Par contre, un ensemble d’études menées cette fois-ci sur des tissus adultes ou en voie de différenciation dans la larve a révélé une toute autre situation.

A l’aide de la technique d’analyse clonale (ou analyse mosaïque), technique qui consiste à générer un groupe de cellules homozygotes mutantes affectant le gène d’intérêt au sein d’un tissu, dans un organisme hétérozygote mutant qui est viable, il a été possible d’analyser in situ les effets des différentes mutations des gènes du PcG à des stades du développement ultérieur au stade embryonnaire. Ainsi, un ensemble d’études a rapporté, par l’utilisation de cette technique dans des disques imaginaux d’œil et d’aile (Beuchle et al., 2001; Classen et al., 2009; Gutierrez et al., 2012; Martinez and Cavalli, 2010; Oktaba et al., 2008) ou encore pour des tissus germinaux (Li et al., 2010a), que la mutation des différents membres du PRC1 engendre une surproliféra-tion cellulaire pouvant conduire à la formasurproliféra-tion de tumeurs néoplasiques. Les protéines du PRC1 semblent donc agir chez la drosophile comme des suppresseurs de tumeur. Selon la protéine du PRC1 étudiée et le tissu dans lequel on été menées ces expériences, les gènes ou voies de signali-sation, à l’origine de cette sur prolifération, peuvent varier. Par exemple, dans les études menées dans le disque d’œil, les auteurs de ces papiers montrent que les gènes des voies de signalisation Notch et JAK-STAT en condition sauvage sont réprimés par les protéines du PRC1 et que la perte de fonction de ces protéines s’accompagne de l’activation ectopique de ces gènes à l’origine de la formation des tumeurs (Classen et al., 2009; Martinez and Cavalli, 2010). Dans le cas de l’étude menée dans les cellules souches des tissus germinaux de femelles adultes, la perte des protéines Psc et Su(z)2 entraine également la formation de tumeurs, mais le gène impliqué dans

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ce phénotype est ici Wingless de la voie de signalisation des Wnt (Li et al., 2010a). Par ailleurs, ce gène, lors d’expériences de ChIP à l’échelle du génome présentées précédemment, apparaissait fixé par l’ensemble des protéines des complexes du PcG. Cependant dans cette dernière étude, ce gène est déréprimé suite à la perte de Psc et Su(z)2, mais pas dans des mutants de Pc ou dRing. Les auteurs proposent alors que la répression de ce gène par les protéines du PcG fasse interve-nir dans ce tissu un complexe autre que le PRC1. Enfin si de manière globale la mutation des protéines du PRC1 est associée à une surprolifération cellulaire, il a également été observé des différences phénotypiques entre les mutants du PRC1, avec à chaque fois, des groupes de gènes cibles qui répondent différemment à la mutation de ces protéines (Beuchle et al., 2001; Gutierrez et al., 2012; Wang et al., 2006a).

Par ailleurs, au sein de notre laboratoire, Samy SAKR, durant sa thèse, a effectué un certain nombre d’analyses clonales dans des disques imaginaux d’œil pour divers mutants des membres du PRC1 et du PRC2. Le but de ses travaux était d’établir pour chacune des protéines du PcG, sa contribution relative dans les processus de prolifération, de différenciation et sur le contrôle du cycle cellulaire (http://www.theses.fr/15599459X). A travers ces travaux, il a mis en évidence, en

Surcroissance   Proliféra0on     Différen0a0on   Polarité   Surexpression  de  N   Létalité   1.37x   +   +   -­‐   -­‐   80%   dRing   Ph   E(z)   Su(z)12   1.92x   ++   ++   +   +   90%   Phénotypes   Psc-­‐Su(z)2     3.93x   ++   ++   +   -­‐   100%   0.82x   -­‐   +/-­‐   -­‐   -­‐   0%   0.71x   -­‐   +/-­‐   -­‐   -­‐   0%   PRC1   PRC2   Esc   p55   Su(z)12   Pcl   E(z)   Pc   Ph   Psc   dRing  

Figure 21 : Différents phénotypes associés aux protéines du PRC1 et du PRC2

Par une analyse clonale dans des disques imaginaux d’œil ont été observés différents phénotypes selon la protéine du PcG mutée. La surcroissance correspond au ratio de la taille (μm2) des disques mutants/disques sauvages. La prolifération, la différentiation, la polarité et la surexpression de Notch (N) sont mesurées par la présence (+) ou l’absence (-) dans les clones mutants des immunomarquages suivant : Bromodeoxyuridine et phosphorylation de H3S10 qui marquent les cellules en réplication, Elave qui est un facteur de différentiation neuronale, Phalloïdine qui marque les filaments d’actine concentrés sur la partie apicale de l’épithélium et enfin un immuno marquage de la protéine Notch. Les pourcentages de létalité des mouches sont donnés pour chaque catégorie. Données obtenues de la thèse de Samy Sakr.

Ciblage des complexes du PcG sur les gènes au cours du développement

plus de l’existence de phénotypes divers pour les protéines du PRC1, une opposition claire entre les effets des mutants du PRC1 et ceux du PRC2 (Figure 21, illustration simplifiée des données de Samy SAKR). En effet en ce qui concerne les mutants du PRC2, aucune surprolifération n’est observée, au contraire les tissus sont de plus petite taille, aucun des marqueurs de prolifération n’apparait dans les clones mutants (phosphorylation de la serine 10 de l’histone 3, incorporation de Bromodeoxyuridine), la polarité des cellules n’est pas perturbée (marquage de la F-actine) et le gène Notch n’est pas déréprimé dans ces mutants. D’autre part, ces différences phénotypiques entre les mutants des complexes du PRC1 et du PRC2 ont également été observées dans les cel-lules souches du système nerveux de drosophile (Bello et al., 2007).

En conclusion, d’après le modèle séquentiel et coopératif des complexes PRC1 et PRC2 éta-bli à partir de l’étude de la régulation des gènes HOX, il est attendu que des mutations affectant le PRC1 et le PRC2 présentent des effets synergiques. En réalité, cela n’est pas toujours le cas avec, dans les cas extrêmes, des effets antagonistes. Selon l’espèce, le tissu et les protéines du PcG mutées, les effets sont variables, avec à chaque fois différentes combinaisons de gènes dérégulés. Certaines de ces protéines se comportent comme des proto-oncogènes, par leur capacité à main-tenir un état prolifératif, et d’autres, en inhibant le cycle cellulaire possèdent les caractéristiques d’un suppresseur de tumeur. Ainsi les complexes du PcG peuvent dans certain cas opérer dans le même sens, en établissant un état répressif stable pour certains groupes de gènes, mais peuvent également agir indépendamment et exécuter des fonctions différentes.