• Aucun résultat trouvé

FAMILLES TRANSNATIONALES

Partie I C ADRE CONCEPTUEL

APPROCHE QUANTITATIVE

3.2.2 FAMILLES TRANSNATIONALES

Alors que la meilleure connaissance des caractéristiques des familles transnationales s’appuie sur des indicateurs construits à partir des critères sociodémographiques, la compréhension de leur fonctionnement se base davantage sur les déclarations des personnes impliquées quant à leurs pratiques.

a) FREQUENCE ET CARACTERISTIQUES

Le nombre de familles transnationales est un premier indicateur de l’ampleur du phénomène étudié, et le plus simple à mesurer, à condition d’avoir les données disponibles. Cependant, son interprétation peut s’avérer limitée lorsque l’on souhaite comparer des populations de taille différente ou des évolutions dans le temps d’où le recours à des valeurs relatives. Dans ce deuxième cas, se pose alors la question de la population de référence, la signification de l’indicateur obtenu variant selon le dénominateur choisi.

NOMBRE DE FAMILLES TRANSNATIONALES

Le nombre de familles transnationales est un premier indicateur de l’ampleur du phénomène étudié. Selon que l’unité d’analyse choisie soit le parent (résidant dans le pays de destination) ou l’enfant (résidant dans le pays d’origine), les estimations du nombre de ces situations va varier,

135: Aux Etats-Unis un enfant traversant les frontières sans les documents d’autorisation nécessaires, est identifié comme MIE, ce qui aboutit à des nombres sensiblement plus élevés de ce groupe. Or, comme le montre les témoignages, la majorité de ces enfants viennent rejoindre leurs parents ou un autre membre de la famille proche déjà résidant dans le pays (http://www.nytimes.com/2014/05/17/us/us-sets-up-crisis-shelter-as-children-flow-across-border-alone.html?_r=0,

175 notamment du fait qu’un même parent peut avoir plusieurs enfants. Les enquêtes sont la principale source permettant l’estimation ponctuelle du nombre de parents et d’enfants dans cette configuration familiale. Cependant, certaines données administratives le permettent également pour un groupe de familles plus restreint (chapitre 4).

PROPORTION DE PARENTS TRANSNATIONAUX PARMI LES MIGRANTS RESIDANT DANS LE PAYS DE DESTINATION

Un premier jeu d’indicateurs rapporte le nombre de parents transnationaux (numérateur) aux migrants dans le pays de destination (dénominateur) et cherche à estimer la proportion d’entre eux étant dans des configurations familiales transnationales. Dans la mesure où être à risque de se retrouver dans cette situation nécessite a) d’être parent et b) d’être parent d’un enfant né à l’étranger136, il est possible de distinguer au sein de l’ensemble des migrants, des groupes de population plus restreints, permettant de neutraliser certains effets de structure. Il existe trois principales populations de référence :

- Ensemble des migrants adultes définis par leur âge (âgés de 18/25 ans ou plus) ; - Ensemble des migrants parents d’au moins un enfant ;

- Ensemble des migrants parents d’au moins un enfant né à l’étranger.

Le premier indicateur permet d’estimer la proportion de migrants adultes parents d’une famille transnationale. Il s’apparente à des indicateurs pouvant être calculés au sein de la population générale comme la proportion des adultes parents d’une famille monoparentale137. Son principal avantage consiste dans le fait que le dénominateur est relativement facile à estimer dans la mesure où il est défini par deux critères : le statut de migrant (immigré) et l’âge. Cependant, calculé à partir des sources disponibles, l’indicateur ainsi obtenu mélange les effets de structure par âge des différents groupes de migrants, le lieu de la formation de leur famille, ainsi que l’ancienneté de la résidence dans le pays d’arrivée. En effet, la comparaison des proportions de parents transnationaux entre un groupe de migrants arrivés à un âge adulte et ayant déjà des enfants nés dans le pays d’origine, avec un groupe de migrants arrivés jeunes et n’ayant pas de famille, n’aura pas beaucoup de sens.

Dans un second temps, nous restreignons la population aux seuls parents migrants, ce qui permet d’annuler une partie des effets de structure cités. L’estimation de ce dénominateur nécessite des informations sur l’ensemble des enfants du migrant, y compris ceux qui ne résident pas dans le même ménage, et s’avère plus complexe à obtenir. Même lorsque l’on arrive à l’estimer, cet indicateur contient au dénominateur l’ensemble des parents alors que ce sont principalement les parents d’enfants nés à l’étranger qui sont à risque de connaitre ces situations. Ainsi, la comparaison du premier groupe de migrants cité ci-dessus (ayant eu des

136 La revue de littérature a montré l’existence des enfants nés dans le pays de destination et envoyés vers les pays d’origine de leurs parents, mais ces situations restent minoritaires et circonscrits à des groupes de migrants spécifiques.

137 En 2008, 5% des personnes adultes résidant en France étaient parents d’une famille monoparentale ; cette proportion s’élevait à 6% parmi les immigrés (INSEE, 2012).

176

enfants à l’étranger) avec un groupe de migrants résidant depuis longtemps en France et y ayant formé leur famille, est limité puisque les deux dynamiques – formation et migration de la famille – sont mélangées, quoi que dans une moindre mesure.

Ainsi, une troisième solution consisterait à estimer la proportion de parents transnationaux parmi les seuls parents ayant eu un enfant né à l’étranger, dans la mesure où c’est principalement ce groupe de parents qui est à risque d’être dans une famille transnationale au moment de l’observation. Les écarts restant entre les groupes de migrants résulteraient de différences dans leurs trajectoires migratoires, de leur ancienneté de résidence en France, ainsi que de leur comportement de réunification des enfants.

Le premier indicateur donne la mesure la plus générale de la situation de parentalité transnationale et aboutit aux estimations les moins élevées du phénomène. L’introduction des critères supplémentaires à la définition de la population au dénominateur – avoir un enfant, lieu de naissance de l’enfant – permet de travailler sur une population plus homogène. Dans sa version la plus restreinte, l’indicateur mesure le seul phénomène de la réunification des familles. La restriction de la population au dénominateur permet donc de mesurer spécifiquement le transnationalisme des familles du à leur séparation géographique en le distinguant d’une mesure le mêlant à la fécondité des migrants.

Tableau 3-4 Population de référence lors de l’estimation de la fréquence des familles transnationales

Effets de structure liés à … Population Age / Situation

familiale Lieu / moment de la formation de la famille Ancienneté de présence sur le territoire

Ensemble des migrants + + +

Migrants ayant au moins un enfant + +

Migrant ayant au moins un enfant né à l’étranger

+

Source : Élaboration de l’auteur.

Les indicateurs pouvant être obtenus dépendent étroitement des données disponibles. Seul le recours aux données individuelles d’enquêtes permet de faire varier les définitions de la population au dénominateur. Lorsque l’on utilise les données administratives, souvent publiées sous une forme agrégée, le seul dénominateur possible sera obtenu à partir du recensement et inclura l’ensemble des migrants adultes.

PROPORTION DENFANTS EN FAMILLE TRANSNATIONALE

Lorsque l’on se situe du point de vue des pays d’origine, les indicateurs pouvant être calculés sont moins nombreux dans la mesure où il existe une seule population de référence possible, soit la population totale. La seule distinction portera cette fois-ci sur l’unité d’analyse : famille ou enfant. Ainsi, le nombre de familles transnationales / enfants dans ces familles rapporté à

177 l’ensemble des familles / enfants dans le pays d’origine mesurera le niveau d’émigration au sein d’une sous-population spécifique.

Le choix de l’unité d’analyse dépendra de la composition des familles dans les pays d’origine. Ainsi, pour être identifié comme une famille dans les sources statistiques du pays d’origine les enfants doivent généralement, de même qu’en France, résider avec au moins un de leurs parents. Or, si les deux parents ou le seul parent d’une famille monoparentale migre et l’enfant est confié à d’autres membres de famille ou des personnes non apparentés, les dyades que ces enfants forment avec leurs parents émigrants ne seront pas identifiées comme des familles. Par conséquent, il est plus judicieux de travailler sur les enfants, définis par leur âge (moins de 18 ans), lorsque l’on se situe du point de vue du pays d’origine. Lorsque l’enfant est choisi comme unité d’analyse, il convient de limiter le champ aux seuls enfants ayant au moins un parent en vie, les enfants orphelins de deux parents n’étant pas à risque d’avoir un parent migrant.

CARACTERISTIQUES SOCIODEMOGRAPHIQUES DES FAMILLES TRANSNATIONALES

Après avoir identifié les familles en question, il est nécessaire de les décrire à l’aide des catégories établies précédemment et que nous ne reprenons pas ici (situation du couple parental, taille de la fratrie, lieu de résidence de ses membres, etc.).

b) FONCTIONNEMENT DE LA FAMILLE A DISTANCE

Le fonctionnement des familles à distance fait l’objet premier des travaux sur les familles transnationales. Parmi l’ensemble des expériences auxquelles elles font face au quotidien, nous pouvons identifier quatre groupes d’indicateurs relatifs à la prise en charge au quotidien des enfants, les envois d’argent par les parents migrants, les contacts à distance et les contacts physiques lors des retrouvailles temporaires.

PRISE EN CHARGE DES ENFANTS

Lorsque les parents migrent en France, et tout particulièrement s’il s’agit de la mère de l’enfant, se pose la question de leur prise en charge au quotidien. Avec quels membres de la famille les enfants vivent-ils dans le pays d’origine ? Quelles personnes contribuent à leur entretien et s’occupent de l’enfant au quotidien (caregiver138) ? Comment ces configurations varient selon les types de familles transnationales ?

ENVOIS DARGENT

Les transferts des migrants vers leurs pays d’origine prennent différentes formes : investissements (entreprise, immobilier…), transferts monétaires intrafamiliaux… Ce sont surtout le second groupe que constituent les envois d’argent aux membres de famille restés dans le pays d’origine qui nous intéresseront ici. Plusieurs dimensions se révèlent importantes lorsque l’on s’intéresse à cette pratique :

- Fréquence : envois réguliers ou exceptionnels

138 Il n’y a pas d’équivalent en français de cette notion, le nom « caregiver » pouvant être traduit par « celui qui procure du care ».

178

- Montant - Destinataire

- Poste de dépense : santé, éducation

- Moyens d’acheminement : banque, autres migrants

Les récits des familles transnationales mentionnent également d’autres types d’envois (biens matériels, cadeaux d’anniversaire…), mais ils figurent moins souvent dans les enquêtes mobilisées.

COMMUNICATIONS A DISTANCE

Avoir des contacts avec les enfants restés au pays d’origine de famille est nécessaire au maintien des relations parent-enfant et les travaux sur les familles transnationales accordent une place importante à cet aspect de la vie des familles. Plusieurs dimensions se révèlent importantes lorsque l’on s’intéresse à cette pratique :

- Fréquence : contacts réguliers ou exceptionnels

- Personne contactée : locuteur privilégié, ensemble des membres de la famille - Moyens de communication : lettre, téléphone, Skype…

- Durée et objet des communications

CONTACTS PHYSIQUES

Les existences des familles transnationales peuvent cesser de l’être, non seulement lors de la réunification dans le pays de destination ou de pays d’origine, mais également lors des séjours plus courts du migrant ou de sa famille dans l’un des deux pays. Plusieurs caractéristiques s’avèrent importantes lorsque l’on s’intéresse à ses retrouvailles :

- pays de séjour : pays de destination ou d’arrivée - durée du séjour : vacances, séjour plus long

SYNTHESE

Dans les travaux sur les familles transnationales ce sont les pratiques, les échanges se déroulant au sein des groupes de personnes reliées entre elles par des liens familiaux qui font famille. A l’inverse, notre recherche adopte une définition de la famille basée sur l’existence des liens filiaux pour ensuite analyser les différentes types d’arrangements et de pratiques que peuvent connaître ces familles. Cette approche permet de comprendre l’effet d’autres facteurs sur le fonctionnement à distance, comme celui des ressources socio-économiques et légales. Elle permet également de quantifier le phénomène d’ « abandon » des enfants dans le contexte transnational qui peut être défini par l’absence ou la faible intensité des différentes pratiques envers les membres de la famille restés au pays d’origine