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LES ENFANTS DE FAMILLES MIGRANTES : UNE POSITION SPECIFIQUE DES ENFANTS RESIDANT A L’ETRANGER

Partie I C ADRE CONCEPTUEL

ELEMENTS DE CONTEXTE

1.2.3 LES ENFANTS DE FAMILLES MIGRANTES : UNE POSITION SPECIFIQUE DES ENFANTS RESIDANT A L’ETRANGER

Jusqu’à présent, les analyses dans cette section se sont concentrées sur les enfants ayant effectivement migré en France, que ce soit de manière autonome ou dans le cadre familial. Or, les analyses sur les familles migrantes à partir du recensement sont partiellement biaisées dans la mesure où une composante n’est pas identifiable dans cette source et reste donc « invisible » : les familles transnationales, à savoir les familles dans lesquelles les parents vivent en France et les enfants résident à l’étranger. Pour contrer cette limite, nous travaillerons sur un autre champ d’enfants, à savoir les enfants de personnes résidant en France, pouvant cohabiter avec l’un ou les deux parents en France, mais aussi résider à l’étranger, l’ensemble de ces enfants étant observable grâce à l’enquête TeO.

a) EFFECTIFS

La population des enfants de moins de 18 ans déclarés par les personnes résidant en France ressemble en grande partie à celle des enfants vivant avec l’un de leurs parents en France en

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termes d’effectifs (13,5 millions) comme en termes d’origine immigré (environ un enfant sur cinq a au moins un parent immigré) (Tableau 1-7).

Tableau 1-7 Répartition des enfants de moins de 18 ans selon le lieu de naissance et le lieu de résidence de l’enfant et le statut immigré des parents, TeO

Ensemble des enfants (milliers)

Enfants résidant à l'étranger (milliers)

% enfants résidant à l'étranger

N CI % col N CI % col % CI

Enfants d’immigrés, dont : 2 677 [2559-2794] 19,9 107 [87-127] 87,7 4 [3,3-4,8]

- nés en France 2 289 [2177-2401] 17,0 5 [1-9] 4,1 0,2 [0,1-0,5]

- nés à l'étranger 387 [351-423] 2,9 101 [82-121] 82,8 26,2 [22,2-30,6] Enfants de non-immigrés 10 774 [10207-11341] 80,1 16 [6-25] 13,1 0,1 [0,1-0,3]

Ensemble des enfants 13 451 100,0 122 100,0 0,9 [0,8-1,1]

Source : TeO (2008). Traitement : auteur.

Champ : Enfants de 0-17 ans de parents résidant en ménages ordinaires en France métropolitaine. Note : Un enfant d’immigrés est un enfant dont au moins un parent est immigré

Cependant, l’inclusion dans le champ de l’ensemble des enfants, quel que soit leur lieu de résidence, fait également apparaitre l’existence des enfants vivant à l’étranger, et donc formant des configurations familiales transnationales. Ces enfants représentent environ 122 000, soit 1% de l’ensemble des enfants mineurs déclarés. Leur composition en termes d’origine est également différente dans la mesure où neuf enfants sur dix ont au moins un parent immigré et où la grande majorité d’entre eux est née à l’étranger (83%). En d’autres termes, le fait de vivre à distance de ses parents à un âge aussi jeune est principalement une situation observée parmi les familles formées à l’étranger et dont les parents ont migré en France sans leurs enfants. Même s’il existe des familles où des enfants d’immigrés nés en France retournent dans leur pays d’origine dans l’enfance ou l’adolescence (Grysole et Beauchemin, 2013 ; Razy, 2006 ; 2007), les familles transnationales sont majoritairement composées de familles séparées durant le processus migratoire.

Une autre manière de prendre en compte l’ampleur de ce phénomène est d’estimer la proportion d’enfants mineurs résidant à l’étranger dans les différents groupes : alors qu’elle est négligeable pour les enfants de non-immigrés ou les enfants d’immigrés nés en France (moins de 1%), elle représente un enfant sur quatre parmi les enfants d’immigrés nés à l’étranger. La proportion d’enfants résidant à l’étranger parmi ceux nés à l’étranger est particulièrement élevée parmi les enfants d’Afrique subsaharienne, avec respectivement 38% d’Afrique Sahélienne et 54% des autres pays d’Afrique.

b) CONFIGURATIONS FAMILIALES

Pour caractériser les configurations familiales des enfants, nous nous intéressons à présent à la situation conjugale du parent répondant, en distinguant les parents en union avec l’autre parent, dans une nouvelle union, ou hors union. Même si cette variable ressemble de prime abord au type de famille cohabitante mobilisée précédemment (avec les deux parents, un beau-parent ou un parent seul), sa construction et sa signification sont différentes. Dans le cadre de la

55 cohabitation, il n’y a qu’une seule famille de référence (celle dans laquelle vit l’enfant) et la variable décrit son environnement familial proche. Lorsque nous prenons en compte l’ensemble des enfants, et plus particulièrement les enfants non-cohabitant (avec le parent répondant), cette variable renseigne davantage sur la configuration familiale plus large de l’enfant : est-ce que les parents de l’enfant sont toujours ensemble ? Est-ce que l’un des parents a formé une nouvelle union ? Dans le cas des enfants de parents séparés, cette variable ne renseigne que sur l’une des possibles familles auxquelles est affilié l’enfant (soit situation conjugale de la mère, soit du père). Malgré ces limites, notamment liés à l’absence d’informations sur l’autre parent (non-répondant) et les difficultés d’interprétation, cette variable permet néanmoins d’avoir une idée sur les configurations familiales des enfants résidant à l’étranger.

Tableau 1-8 Répartition des enfants de moins de 18 ans par type de famille selon le lieu de naissance et le lieu de résidence de l’enfant et le statut immigré des parents, TeO

Deux parents Beau-parent Parent seul Total

% CI % CI % CI %

Enfants d’immigrés, dont : 78 [76,1-79,8] 6,8 [5,9-7,8] 15,2 [13,6-16,9] 100 - nés en France 81,4 [79,4-83,2] 4,6 [3,8-5,6] 14 [12,3-15,8] 100 - nés à l'étranger et résidant en France 68,1 [62,6-73,2] 14,2 [11,0-18,1] 17,7 [13,3-23,2] 100 - nés à l'étranger et résidant à l'étranger 30,7 [23,1-39,6] 34,2 [26,8-42,6] 35 [26,3-44,9] 100 Enfants de non-immigrés 74,4 [71,8-76,9] 9 [7,5-10,8] 16,6 [14,4-19,0] 100 Ensemble des enfants 75,1 [73,0-77,2] 8,6 [7,3-10,0] 16,3 [14,5-18,2] 100

Source : TeO (2008), INED-INSEE. Traitement : auteur.

Champ : Enfants de 0-17 ans de parents résidant en ménages ordinaires en France métropolitaine. Note : Un enfant d’immigrés est un enfant dont au moins un parent est immigré

Pour la majorité des enfants, leurs parents sont toujours ensemble (75%), une proportion là aussi semblable à celle observée au niveau des enfants cohabitants. Lorsque les parents sont séparés, le parent répondant est plus souvent hors union (16%), mais 9% sont aussi dans une nouvelle union. Nous retrouvons également le résultat déjà observé de la plus grande stabilité familiale des enfants d’immigrés car pour 78% d’entre eux le couple parental est toujours intact et cette proportion monte à 81% pour les enfants nés en France. Cette proportion est plus faible pour les enfants nés à l’étranger et résidant en France, un groupe déjà observable dans la précédente section : seulement 68% des parents sont encore ensemble (cette proportion est légèrement inférieure à celle estimée sur les enfants cohabitants, mais les intervalles de confiance se chevauchent). L’intérêt principal de l’enquête est de faire apparaitre la spécificité des enfants nés et toujours résidant à l’étranger, un groupe inobservable jusqu’à là. Ces enfants connaissent les configurations familiales les plus instables puisque seul un sur trois fait partie d’une famille où les deux parents sont toujours en couple. Les enfants dont le parent résidant en France est hors union ou dans une nouvelle union représentent respectivement un enfant sur trois également. Cette dernière situation (nouvelle union) s’apparente en partie à la famille recomposée, à la (grande) différence près que les deux protagonistes – enfant résidant à l’étranger et nouveau conjoint – ne se connaissent pas a priori. Bien que nous constatons une

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relation entre les deux phénomènes – d’une part la dissolution du couple parental et l’éventuelle formation d’une nouvelle union, et d’autre part la séparation géographique parent-enfant – il n’est pas possible pour l’instant de conclure à une relation de causalité entre les deux. Seules les analyses menées ultérieurement dans une approche biographique permettront de vérifier cette hypothèse (chapitre 5).

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Après avoir démontré la présence des enfants migrants parmi les flux récents dans un premier temps, cette section s’est intéressée à l’environnement dans lequel se réalisaient ces migrations. Même si on note la présence des enfants migrants en France sans leurs parents, la majorité d’entre eux accompagnent ou rejoignent un parent lui-aussi migrant et vit avec lui dans le pays de destination (plus de 80% des enfants migrants). Ce résultat nous confirme donc dans le choix initial de cette recherche qui est de replacer les expériences des enfants de migrants dans leur cadre familial. Cependant, pour ce faire il est nécessaire de changer le champ de la population des enfants analysés, ainsi que de redéfinir les concepts utilisés pour caractériser les familles dans le contexte migratoire. Nous rappelons ici les trois principaux éléments déjà évoqués dans ce chapitre, les autres concepts étant introduits dans le chapitre 3.

Premièrement, afin de pouvoir observer l’ensemble des familles migrantes, il est nécessaire d’intégrer dans les analyses les familles transnationales, qui peuvent représenter jusqu’à un quart des enfants d’immigrés nés à l’étranger. L’absence des enfants non-cohabitants dans les sources de données traditionnelles, et plus précisément des enfants résidant à l’étranger (les enfants non-cohabitants résidant en France peuvent être déclarés par l’autre parent), biaise les analyses des enfants de migrants. Ceci nous amènera donc à travailler sur un autre champ d’enfants – les enfants de parents résidant en France – et avoir recours à d’autres sources de données telles que les enquêtes.

Deuxièmement, alors que les catégories existantes de familles immigrées incluent généralement les enfants de couples mixtes, nous les excluons des analyses du fait d’un rapport à la migration très spécifique. Tout d’abord la constitution de ces familles se réalise plus souvent en France : environ 8,7% d’enfants de couples mixtes étaient nés à l’étranger versus 25,8% d’enfants de parents immigrés. Ainsi, même si ce groupe inclut également des couples dont la rencontre s’est déroulée à l’étranger et dont l’installation en France s’est effectuée plus tard, après le début de la constitution de la famille, seule une minorité de ces familles seront effectivement confrontées à la question de la migration vers la France. Ensuite, même lorsque la famille s’est formée à l’étranger, la décision ultérieure de venir en France n’a pas la même signification et ne se déroule pas dans les mêmes conditions que celle des autres familles migrantes. La migration est souvent un retour pour au moins l’un des conjoints (non-immigré), voire également pour le second si leur rencontre s’est faite en France. Ces familles ont généralement plus de ressources pour planifier et mettre en œuvre la migration (facilités liées à leur statut légal, accès à des réseaux familiaux, amicaux ou professionnels…). Ces plus grandes facilités à la mobilité se traduisent par de moindres risques de séparation des enfants de leurs parents : parmi les

57 enfants nés à l’étranger 8,9% d’enfants de couples mixtes résidaient à l’étranger versus 31% des enfants de parents immigrés.

Lorsqu’ils auront migré en France, les différences entre les deux groupes de familles persistent. Les enfants de couples mixtes sont français dès la naissance, y compris lorsqu’ils sont nés à l’étranger, ce qui leur confère le droit d’entrée et de sortie du territoire français, qui est contrôlé pour les étrangers. Ils seront moins souvent identifiés comme des « migrants » par la société d’accueil, par exemple l’institution scolaire car ils parlent le français et ont souvent été scolarisés au sein des écoles françaises à l’étranger, bien que ça ne soit pas toujours le cas, surtout dans les DOM-TOM (DEPP 2001).

La deuxième distinction importante à réaliser dans les analyses est entre les enfants de parents immigrés nés en France et à l’étranger. Même si le lieu de naissance est indépendant de la volonté des enfants et résulte des trajectoires migratoires et familiales de leurs parents, parfois se jouant à quelques mois près, cette caractéristique a des conséquences importantes sur leur parcours ultérieur. D’une part la migration introduit davantage d’instabilité dans le parcours des enfants nés à l’étranger : ils ont plus de risque de vivre séparément de leurs parents et connaissent des situations familiales plus complexes. D’autre part les deux groupes n’ont souvent pas les mêmes droits, notamment en matière de séjour et de nationalité en France. Les enfants nés en France deviennent Français à leur majorité, à condition d’avoir résidé en France pendant une durée précise. Pour les enfants ayant eu la « malchance » de naître à l’étranger, avant la migration de leurs parents, leur situation en termes de séjour et de nationalité dépendra de l’origine géographique des parents, des conditions de la migration de la famille en France, mais également de leurs propres parcours scolaires, familiaux, professionnels. En effet, la naturalisation pour ce groupe d’enfants n’est pas de droit. Ils peuvent en faire la demande, au même titre que les autres immigrés, mais doivent alors remplir les mêmes conditions. Cette situation peut être particulièrement difficile à vivre pour les enfants ayant immigré en France très jeunes (Weil, 2012)19.

Section 1.3 LES ENFANTS DE MIGRANTS DANS LES PROCEDURES LEGALES

Les migrants mineurs, qui viennent la plupart du temps accompagner ou rejoindre un parent en France, représentent environ un cinquième des entrées récentes (figure 1-1). Contrairement à leurs prédécesseurs arrivées dans les années 1960-1970, originaires des pays d’Europe du Sud, du Maghreb et de Turquie, leurs profils migratoires sont plus diversifiés et ils connaissent des situations familiales plus complexes. Or, la principale procédure prévue pour la migration en France des enfants dans le cadre familial, reste la procédure de regroupement familial. Elle se

19 Les États-Unis présentent la situation la plus discriminante. Tandis que les enfants nés dans le pays sont citoyens états-uniens dès leur naissance, les enfants nés à l’étranger, surtout lorsqu’ils sont venus rejoindre leurs parents irrégulièrement dans le pays, rencontrent des grandes difficultés pour obtenir un statut légal, sans même parler de nationalité.

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base sur un modèle migratoire « traditionnel » dans lequel le premier parent, le plus souvent le père, vient travailler en France et est rejoint ensuite par la mère et les enfants. Que se passe-t-il lorsque les motifs de la migration sont autres que le travail (asile, études, formation d’une nouvelle union) ou que la famille ne suit pas les étapes prescrites ? Est-ce que les familles ne correspondant pas à ce modèle rencontrent davantage de difficultés dans leur migration que les premières ? Connaissent-elles une précarité plus grande à leur arrivée en France ? Si les observations du terrain, notamment des associations (CIMADE 2007) sur ces situations montrent que tel est le cas, les approches quantitatives de cette problématique sont rares dans la mesure où les enfants de migrants sont difficilement observables dans les données administratives.

Cette section se structure en deux temps. Dans un premier temps, nous réexaminons les volumes et les origines géographiques des enfants entrés par la procédure de regroupement familial afin de comprendre s’ils reflètent ou non les évolutions observées à partir des sources statistiques (recensement). La seconde partie de cette section, examine la présence des enfants dans les autres procédures de migrations familiales, à partir des sources administratives et l’enquête ELIPA auprès des primo-arrivants en France20.

1.3.1 LES ENFANTS BENEFICIAIRES DE LA PROCEDURE DE REGROUPEMENT