La borderie dispose de petits moyens d’exploitation qui rendent le travail plus pénible et ses résultats aléatoires. Le bordier se contente de ses quelques vaches, qui à la fois produisent le lait et servent aux travaux des champs.
Les conséquences néfastes sur le rendement sont inévitables : « à la saison du
travail, les vaches travaillaient toute la journée, le soir elles avaient plus de lait ». Le bail à fermage d’une borderie, datant de 1890, comporte en même temps un bail à
cheptel qui se décompose comme suit : « 2 vaches, 2 génisses d’un an, 2 veaux de
l’année ». Alors que dans une ferme-métairie autrefois on pouvait, selon un agriculteur, compter 4 boeufs de travail, 6 à 8 vaches et un taureau reproducteur, sans compter les jeunes animaux et les bêtes réformées.
« Ils avaient plus de peine pour travailler dans les petites borderies40 ». Du fait de la main-d’oeuvre d’abord, qui est moins nombreuse et moins organisée. Faute de bras, les femmes et les enfants travaillent plus souvent aux champs. Le
petit paysan est seul face à la « taille* », alors que dans les grandes fermes, les
travaux importants se font en groupe sous la direction d’un meneur. Dans la grande ferme, le travail est à la fois moins routinier et plus spécialisé : les tâches sont réparties en fonction de l’ancienneté et de la position hiérarchique à l’intérieur de la
famille et chez les domestiques. Le bordier, « fallait qu’il va partout. [Dans les
fermes] ils allaient bêcher les choux par exemple à la fin d’août. Ils étaient 5 ou 6 à bêcher ça les gros paysans. Il y en avait 2 ou 3 ha bien sûr mais ils étaient là tranquillement, ils suivaient. Tandis que le petit paysan, il y en avait trois fois moins mais fallait qu’il laisse son chantier pour aller ailleurs. Fallait faire tous les chantiers tous les jours ».
40 Les pléonasmes « petit bordier » et « petite borderie » reviennent souvent dans les conversations (la borderie désigne déjà la petite ferme). Il marque dans l'esprit loulaysien le double trait qui définit le plus fréquemment le bordier : petit paysan (par opposition aux fermiers et métayers) et petit propriétaire (par opposition aux grands propriétaires terriens). Ce double trait caractérise la grande majorité des bordiers.
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Les borderies sont moins bien outillées, et surtout le labour n’est pas très bon car les instruments aratoires sont attelés avec des vaches. Un ancien bordier se souvient que faute de pouvoir casser efficacement les mottes de terre, son père passait la herse retournée pour donner l’impression d’une terre meuble. Pour amender la terre, le « petit bordier » dispose de trop peu de fumier et ne possède pas assez de réserves pécuniaires pour se fournir en engrais. Il travaille dans des parcelles étroites, mais encloses de haies comme les autres, ce qui limite encore les rendements. Le bois est indispensable et ces haies, parsemées de grands arbres, sont respectées. Pour les ex-bordiers, plutôt que la qualité d’origine, ce sont les véritables raisons d’une réputation de mauvaises terres dans les borderies, à l’opposé d’une autre version qui voudrait que les fermes de châteaux disposent d’avance des meilleures terres. La ferme de château a en fait de mauvaises terres parmi de meilleures, mais leur variété et les vastes surfaces permettent de mieux jouer sur l’équilibre de leurs destinations.
Illustr. 22 - Inventaires juxtaposés d’une grande ferme et d’une borderie
La Louisière41 ferme de 34 ha
fermage de 2000 F/an
inventaire du 03 avril 1919 de tout ce qui a dépendu de la communauté Gallot-Borderon, après décès de Gustave Gallot
Le Plessis Duranceau42 borderie de 9 ha 75
inventaire du 18 août 1920 de la succession de Mme veuve André et de la communauté de M. et Mme Jean Duret, après décès de Mme André
Dans la maison (voir plan, p. 146) Dans la pièce servant de cuisine 1° une crémaillère, un trépied, un gril, une pelle à pincer, un soufflet
2° deux lampes pigeon, deux plaques à repasser 3° une glace
4° une pendule comtoise 5° un buffet commode en cerisier 6° un crochet à peser
7° un lit en cerisier forme bateau, garni de : une paillasse, deux couettes, une paire de draps, une couverture laine, une courte pointe, oreiller, rideaux cretonne
8° une armoire cerisier, deux battants 9° une autre armoire
10° un lit comme le précédent
5 F 4 F 3 F 30 F 60 F 3 F 100 F 80 F 100 F
Dans la maison (voir plan, p. 143) Dans une chambre servant de pièce principale
1° un vieux lit garni
2° une table de nuit avec tiroirs
3° un trépied, un réchaud, une pelle à foyer, soufflet et divers objets sur la cheminée 4° une pendule comtoise
5° une table en chêne avec deux tiroirs 6° sept chaises en paille
7° une machine à coudre Singer 8° une glace
9° un lit garni avec rideaux en cretonne 10° une armoire en cerisier à deux portes 11° une autre armoire
12° un fauteuil en paille 120 F 10 F 5 F 25 F 15 F 15 F 15 F 1 F 180 F 100 F
41 Pour une description détaillée de la ferme, voir chapitres V et VI.
Dans une souillarde 16° une écrémeuse
17° trois charniers cinquante kilos de lards estimés le tout
18° un moulin à beurre 19° un garde manger 20° une jede* 21° une vieille laiterie 22° batterie de cuisine Dans une chambre adjacente 23 ° une armoire en cerisier 24° un lit garni
25° un lit garni 26° une table ronde 27° dix chaises 28° une table en chêne 29° quatre paniers 30° un lit garni
31° une machine à coudre Singer 32° une vieille armoire en bois dur Dans le grenier
33° un double* et demi haricots 34° un moulin à vanner
35° une grêle* et un double décalitre 36° une bascule et poids
37° trente hectolitres froment 38° deux doubles mil 39° six sacs toiles 40° quatre vingt kilos son 41° douze doubles blé noir 42° un double seigle
43° quatre hectolitres froment 44° deux sacs farine
45° quatre doubles mil 46° trois doubles jarosses* 47° un demi double haricots 48° une grêle et décalitre 49° une voiture d’enfant 50° une vieille armoire de chêne
Dans les ruages 51° cinq cents fagots fournille* 52° cinquante fagots genêt 53° un tas de bois 54° une charrette 150 F 170 F 5 F 3 F 3 F 5 F 60 F 100 F 60 F 80 F 30 F 20 F 10 F 10 F 60 F 150 F 30 F 37 F 20 F 8 F 25 F 2250 F 20 F 12 F 40 F 84 F 10 F 300 F 150 F 40 F 60 F 12 F 6 F 10 F 10 F 75 F 25 F 20 F 18° une glace
19° une vieille armoire en bois blanc 20° une vieille table avec tiroir 21° trois chaises en paille 22° un panier en osier 23° un garde manger Dans le grenier 24° une vieille armoire 25° un vieux meuble 26° un bois de lit non monté
27° une vieille armoire en bois blanc peint 28° un vieux buffet en bois blanc 29° un lit forme bateau
30° un rouet 31° deux chaises
32° une bascule et autres objets 33° un lot de vieux harnais Dans le Cellier
34° huit fûts
35° deux charniers et un kilo de viande 36° un vieux bahut
37° batterie de cuisine, verre et poterie 38° cent vingt cinq fagots de bois Linge
39° dix paires de draps usagés 40° garde-robe des époux 41° six serviettes
42° vingt quatre mouchoirs 43° douze torchons
Dans les écuries 44° quatre génisses
45° une vache et son veau 46° trois vaches
47° deux boeufs 48° un porc
49° quinze poules et trente poulets
Récoltes en terre 50° douze ares de pommes de terre 51° cinq ares de mil
100 F 110 F 5 F 1 F 30 F 3 F 3 F 2 F 1 F 2 F 6 F 15 F 15 F 10 F 15 F 2 F 0.50 F 30 F 3 F 60 F 1 F 1 F 50 F 100 F 150 F 100 F 6 F 10 F 10 F 1700 F 1000 F 2100 F 3000 F 500 F 100 F
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55° une autre charrette 56° un rouleau en pierre
Dans la grange 57° trente doubles pommes de terre 58° un lot de planches
59° un moulin à vanner 60° un lot de betteraves
61° cent vingt doubles de pommes de terre 62° petits outils de travail
63° mille kilos de foin 64° une échelle et une civière 65° deux jougs
Dans la boulangerie 66° une lessiveuse
67° outils de four et maie* Dans un hangar 68° cent fagots de bois
69° un grand pas* et ruelles* 70° une faucheuse et accessoire 71° deux câbles
72° trois fûts vides 74° poules et poulets
75° quatre-vingts fagots bois, un lien Récoltes en terre 76° cinquante ares seigle
77° un hectare vingt cinq en trèfle et coupage 78° six hectares en froment
Dans les étables 79° deux boeufs Manceaux 80° deux boeufs de pays 81° cinq vaches avec un veau 82° cinq taureaux deux ans 83° cinq génisses de un an 84° deux porcs 150 F 700 F 30 F 120 F 20 F 50 F 30 F 480 F 40 F 200 F 7 F 10 F 50 F 10 F 50 F 50 F 200 F 40 F 30 F 150 F 80 F 100 F 125 F 1800 F 6000 F 5400 F 6800 F 5900 F 3250 F 1500 F
52° vingt ares de haricots Dans l’aire 53° petits instruments aratoires 54° une charrette
55° une autre charrette 56° un rouleau et une herse 57° un grand pas
58° un butteur* et herse ronde* 59° une vieille charrue 60° une voiture 61° une faucheuse
62° quatre mille kilos de foins Pailles et grains 63° un tas de paille
64° cent doubles de froment 65° cent doubles de méteil*
50 F 15 F 60 F 20 F 400 F 300 F 60 F 60 F 40 F 50 F 300 F 300 F 400 F 200 F 1600 F 1000 F
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Illustr. 24 - Ferme de la Louisière
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Illustr. 26 - Borderie « Jean Duret » au Plessis Duranceau
bordier doit louer des terres pour compléter son exploitation. D’où cette conséquence, encore observable aujourd’hui, d’exploitations (issues d’anciennes) où l’agriculteur
doit le fermage à un grand nombre de propriétaires. Les Usages locaux (Coll., 1897)
précisent que les terres détachées, contrairement à la location d’une borderie ou
d’une métairie, font l’objet d’un bail d’une saison. Avec les « porte à coup » (borderies
avec une ou deux vaches où le travail se fait entièrement à la force humaine et où se pratique l’assolement annuel), le délai de congé des terres détachées n’est que de 3 mois alors qu’il est d’un an par ailleurs. Le bordier est dans ce cas à la merci des remaniements fonciers : ventes, partages, reprises de biens.