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Connaissant les conditions de vie les plus difficiles, journaliers et domestiques entretiennent une proximité de fait. Les domestiques ont cependant l’avantage d’être employés pour de plus longues périodes, d’être logés et nourris. Par ailleurs, le domestique est généralement jeune, célibataire et disponible 24 h sur 24, alors que le journalier a une famille à nourrir. Le statut de domestique correspond le plus souvent à une étape de l’existence, de célibat et d’attente d’une exploitation à reprendre, qu’à une condition définitive.

On aurait tort de considérer, comme le fait Christophe Vital (1987), que les domestiques sont seulement issus de familles modestes : fils et filles de bordiers, journaliers et domestiques. Cela ne se vérifie pas à Saint-Hilaire où on peut constater, à travers les recensements, que les domestiques sont également des enfants de fermiers (voir plus haut). Fille de domestique-journalier, devenue elle-même domestique dans un château, Marie Mercier évoque sa mise au travail

précoce: « j’ai eu mon certificat d’études à 10 ans et je suis partie... Huit jours après,

j’étais à garder les vaches ! J’étais casée pour gagner trois sous pour nourrir mes frères et soeurs, parce que papa était très malade ». Dans une métairie, quand le nombre de bras est suffisant, les enfants sont envoyés comme domestiques dans d’autres fermes, moins jeunes cependant que chez les bordiers pauvres. Comme je l’ai souligné, des réseaux interconnaissance et d’échanges entre grandes fermes sont entretenus par le biais de la domesticité.

La vie des domestiques laisse encore des traces vives dans les mémoires. Certains agriculteurs âgés sont passés par là dès l’âge de 12 ans. Pour

- le « grand valet », c’est « celui qui tient l’ouvrage », il commande les

autres, les pousse dans le travail, « dresse les jeunes ». Il s’occupe en propre des

labours, tâche noble, et soigne les boeufs. Il est aussi le plus âgé, 18-25 ans (selon Vital, 1987, leur limite d’âge se situe entre 30 et 40 ans). Homme déjà expérimenté, il a fait ses preuves et il a le sens des responsabilités ;

- le « petit valet » s’occupe de « l’ouvrage de tous les jours ». Il est soit

plus jeune que le grand valet, soit très vieux et avec moins de compétences.

- Le petit domestique est parfois confondu avec le « berger », parfois il

en est distingué. Enfant débutant, sa fonction principale est au départ de garder le bétail aux prés.

La servante peut aussi bien être employée à la maison que dans les champs. J’ai pu remarquer cependant dans les recensements anciens que sa présence est souvent liée à celle d’enfants en bas âge. Ou bien elle est employée dans les maisons où la maîtresse est décédée. Voici comment Marie, déjà citée, évoque son

passage comme domestique de ferme : « j’avais un patron qui était sensationnel, qui

était très gentil, mais l’hiver comme l’été j’étais toute la journée dans les champs. Et l’hiver vous savez, à l’époque, on ramassait les topines*, on arrachait à longueur d’hiver pour les bêtes. On les lavait. Alors j’aime mieux vous dire, qu’est-ce qu’on prenait ! Alors un jour, on allait ramasser les choux, le lendemain c’était les topines, alors à longueur d’hiver c’était comme ça [...] J’étais toute seule, elle avait six enfants la dame. Et puis le matin j’étais debout tôt. Le matin j’étais debout à cinq heures parce que y’avait quatorze vaches à traire. Il fallait traire les vaches avant d’aller dans les champs.

- Et c’était surtout le travail dans les champs, c’était pas la maison, les enfants?

- Ah la maison, non ! Comme le ménage vous savez, on le faisait plus ou moins. Je rentrais le soir, on appelait ça de la fournille, parce qu’autrefois on faisait tout l’hiver, les domestiques ils faisaient de la fournille dans les champs. Et le matin, le soir, je rentrais cinq ou six fagots de fournille dans la cuisine, pour faire cuire le chaudron de patates pour les cochons ».

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Pour désigner la même fonction on trouve les termes de « valet », « domestique », voire « commis » et « ouvrier », qui sont des appellations certainement plus récentes dans le milieu agricole. Pour un ancien agriculteur, on parlait de valets dans les fermes par distinction avec les domestiques travaillant dans les châteaux. D’autres ne tiennent pas du tout compte de cette différence.

L’embauche se fait en principe pour un an, à partir du 27 juin (la saint

Jean) le plus souvent, ou de la Toussaint. Le « denier » est une petite somme que

verse le patron avant l’embauche. Il scelle l’engagement oral de commencer à la date

prévue pour la rémunération convenue. Les Usages locaux du canton de Montaigu

(1897) précisent un délai de rétractation d’un mois. Le patron perd les arrhes si c’est lui qui rompt le contrat durant cette période. Si c’est le domestique qui rompt, il doit rendre celles-ci en double.

Les domestiques sont mobiles, cependant à Saint-Hilaire, d’après les recensements, la plupart sont originaires de la commune ou de communes limitrophes. Il existe en outre pour tout le Nord Vendée une foire annuelle aux valets, qui se déroule dans la commune de Tiffauges, à 15 km de Saint-Hilaire.

A Saint-Hilaire, la main-d’oeuvre est abondante, au contraire du Choletais qui est désigné comme une région déficitaire où les gens partaient se

gager comme domestiques. Ils y étaient plus recherchés46 et mieux payés, mais on

souligne le fait que le domestique était tenu à l’écart de vie de famille dans le Choletais, contrairement au Bocage vendéen. A Saint-Hilaire, il est intégré à la communauté, partage le repas de ses patrons, son linge est entretenu par la

maîtresse de maison. Comme le dit une personne, « tout le monde était à la même

enseigne » dans une ferme.

La rémunération des domestiques varie en fonction de leur statut hiérarchique. Elle comporte une partie versée en argent, mais elle est conçue surtout pour subvenir aux besoins essentiels : se nourrir, se vêtir, se loger.

L’exemple suivant est tiré d’un livre de raison, « cahier de notes et de

renseignements » selon son auteur, métayer sur une exploitation de 35 ha environ, qui note à la fin du siècle dernier, dans un bon français, ses astuces de culture et les « gages » donnés aux domestiques. En 1891 par exemple, le mieux payé des

domestiques (les titres n’apparaissent pas) a reçu : « 2 chemises, 2 culottes et 1

46 Peut-être en raison d’un exode rural plus précoce qu’en Vendée, et d’un développement industriel qui a absorbé une partie de la main-d’oeuvre pauvre des campagnes.

est en charge d’une famille (Vital, 1987), un domestique reçoit dans la même ferme

à partir de 1899 « 285 francs d’argent, 1 journée à bêcher ses carrés, 1 sillon de

choux ».

Il est certainement faux de considérer que la présence de domestiques dans une ferme est le signe manifeste de l’aisance d’une famille. L’étude des groupes domestiques agricoles dans les recensements, et les informations orales, montrent que leur présence compense le manque de main-d’oeuvre familiale et serait plutôt l’indicateur d’une situation précaire dans une grande ferme. Au fur et à mesure que les enfants arrivent en âge de travailler, ils remplacent les domestiques. Ces derniers représentent une charge : il faut pouvoir les payer alors que les enfants ne reçoivent rien. On risque de tomber sur de mauvais domestiques, et du fait de leurs bas salaires, ils sont toujours moins motivés que les enfants du fermier. Ceci explique aussi pourquoi les domestiques performants étaient, selon un agriculteur, particulièrement recherchés et déjà retenus d’une ferme à l’autre avant même leur départ. Le père de Marie Mercier était de ces domestiques très demandés. Il lui était

inutile de fréquenter la foire aux valets : « papa n’y a jamais été parce que un mois

avant la Toussaint, c’était à qui l’aurait eu ! Ah oui, je vois encore les propriétaires des fermes, hein, des fermes de Madame de Sauzaie : « bon Joseph, je voudrais t’avoir ». Alors, c’était à qui mettrait le plus cher ! ».

***

Dans ce chapitre, j’ai voulu montrer la diversité des conditions de vie au-delà d’une image unificatrice de la paysannerie d’autrefois,. Si les écarts sont déjà bien reconnus entre exploitants et main-d’oeuvre d’appoint (domestiques, journaliers), ils méritent d’être mieux soulignés entre les fermiers et métayers occupant les grandes exploitations et les tenanciers des borderies modestes. Il en ressort surtout un réexamen de la question de la soumission, concernant fermiers et métayers, par opposition à l’indépendance supposée des bordiers-propriétaires. Il semble bien que, dans une commune dominée par la grande propriété terrienne, la dépendance soit la contrepartie d’un système social qui favorise le destin des

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familles fermières. J’illustrerai ce point en seconde partie, à travers la présentation de transmission des terres dans des cas d’exploitations.

Il ne s’agit pourtant pas, loin de là, de catégories étanches ni de classes sociales distinctes. Au-delà des écarts soulignés, les réseaux de voisinage et de parenté, comme les manières de faire et de penser, sont largement partagés entre bordiers et fermiers. Au regard des changements survenus dans cette seconde moitié de siècle, tous les paysans partageaient des conditions de vie difficiles. La différence majeure reste celle qui oppose, sans commune mesure, la masse des paysans et des gens de métiers aux messieurs. Cette opposition est d’autant plus flagrante à Saint-Hilaire que la domination de quelques grandes familles possédantes s’exerce sans partage. En raison de la proximité immédiate de Montaigu où elle réside, la bourgeoisie moyenne des professions libérales et des commerçants aisés ne représente pas une force structurée et concurrente des maîtres des grands domaines. Quant à la paysannerie, elle reste dans son ensemble inféodée au système châtelain.

Grands fermiers et petits exploitants relèvent d’univers à la fois proches et opposés. Intégrés à un même système dont les éléments dont complémentaires, leurs relations respectives seront aussi à comprendre en termes d’évolutions conjointes et de rapports de parenté. L’étude de la transmission des terres, en seconde partie, permettra, à partir de cas d’exploitations et de familles abordés sur de longues périodes, d’introduire la dynamique des changements qui affectent les groupes domestiques et les statuts sociaux. Il s’agira alors de considérer le destin des individus et des familles exploitantes en les comprenant à l’intérieur des « cycles de la vie familiale » (Segalen, 1977, 1978, 1981), et non pas à partir de catégories figées et de coupes réalisées à un moment donné dans la composition socio-familiale de la commune. Les changements qui affectent la vie individuelle et familiale : mariage, arrivée des enfants, départ des jeunes adultes, veuvage, sont autant de transitions qui déterminent le devenir du groupe tout entier. C’est ainsi que la constitution d’une communauté formé du couple parental et de un ou plusieurs couples d’enfants mariés peut accompagner le passage du statut de petit propriétaire paysan à celui de fermier sur une grande exploitation châtelaine. Nous venons d’entrevoir de la même manière que la gestion de la main d’oeuvre d’appoint des domestiques sur l’exploitation suit les évolutions de la taille de la famille. Le destin des familles et des exploitations répond également à des changements économiques et sociaux globaux affectant la société locale. C’est à l’examen de ces derniers que le chapitre III est consacré.

« Te souviens-tu de ces petits propriétaires qui exploitaient quelques parcelles en bordure de nos métairies, si petites qu’ils devaient se louer à nos métayers, à l’époque des moissons et qu’en morte saison ils allaient s’établir en lisière de la forêt de Mervent pour y fabriquer de la tuile ? Non, tu ne te souviens pas. »

Michel Ragon, Le cocher du Boiroux (1992, p. 178).

Thèmes classiques de la monographie de village, la démographie et les activités économiques seront traitées à travers le fil directeur commun à toute la première partie : l’usage des terres, singulièrement des terres agricoles. Les trois grandes périodes de référence pour le chapitre suivent celles du découpage de l’évolution démographique durant les 150 ans qui nous occupent (voir fig. 1) :

- une ascension lente mais continue de 1841 à 1886, faisant passer la population de 2080 à 2380 habitants, soit un gain de 300 habitants en 45 ans. 1886 représente un premier sommet du nombre d’habitants, qui ne sera rattrapé de nouveau qu'environ un siècle plus tard,

- à partir de 1891 et jusqu'en 1936, une décroissance continue fait descendre le chiffre de la population à 1672 habitants, niveau équivalent à celui de la première décennie du XIXe siècle,

- depuis la seconde guerre mondiale, la population augmente de manière spectaculaire, là encore sans discontinuer. En 1990, elle est de 3235 habitants avec un doublement depuis la seconde guerre mondiale. La progression se poursuit toujours avec environ 3500 habitants en 1995. Témoin du dynamisme démographique et économique : la jeunesse d’une population qui compte en 1990, à

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l’image de l’ensemble du canton, plus d’1/3 de moins de 20 ans et plus de 2/3 de moins de 40 ans.

Au niveau démographique comme dans bien d’autres domaines, Saint-Hilaire ne se distingue pas particulièrement de son environnement et les recherches réalisées sur la région fournissent les explications nécessaires aux phénomènes généraux auxquels participe en particulier la commune. Ainsi, André Martin (1987) décrit l'évolution de la population du département de la Vendée en quatre phases, avec lesquelles coïncide globalement la courbe de Saint-Hilaire. La population augmente régulièrement du début du XIXe siècle jusqu'en 1891, ce qu'explique une forte fécondité à l'image de tout l'Ouest de la France. Suivent ensuite quinze années de stagnation pendant lesquelles la surcharge démographique agricole alimente l'exode rural. L'accentuation de l'exode et les pertes de la guerre 14-18 provoquent une baisse importante de la population entre les deux guerres. La reprise est d'abord timide après la seconde guerre mondiale pour s'accélérer et atteindre son maximum entre 1975 et 1982.

Sur ce dernier point, le canton de Montaigu se singularise par une hausse restée ininterrompue de sa population, progression liée à la vitalité du bassin d’emploi et, pour Saint-Hilaire, à sa situation de commune rurbaine aux portes d’une ville trop étroite. Cette singularité témoigne du dynamisme industriel, que nous allons donc suivre au fil de ce chapitre avec le passage d’une économie essentiellement agricole à un développement industriel qui s’est appuyé sur les caractéristiques rurales propres à la région. Implantée sous forme d’ateliers dispersés dans les petites villes et les communes rurales, l’industrie est devenue le secteur dominant à côté d’une agriculture restée productive. L’identité régionale, fortement ancrée dans le passé paysan et la guerre contre-révolutionnaire, intègre la dimension industrielle comme un prolongement des pratiques et des valeurs ancestrales. Décrire Saint-Hilaire et le canton de Montaigu de ce point de vue, c’est renvoyer à d’autres entités territoriales qui se superposent en cercles élargis : Haut Bocage vendéen, Choletais, Vendée militaire.

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Tableau 4 - Natalité et mortalité à Saint-Hilaire-de-Loulay de 1841 à 1990

période1 population taux de

natalité (°/°°) France2 taux de mortalité (°/°°) France2 solde naturel3 1841-1850 1846 : 2090 32,5 27,4 26,3 23,3 130 1851-1860 1856 : 2154 26,6 26,3 18,9 24 165 1861-1870 1866 : 2106 26,2 1861-69 26,4 18,4 1861-69 23,2 164 1871-1880 1876 : 2195 29,8 1870-80 25,2 22,6 1870-80 25,5 158 1881-1890 1886 : 2380 26,9 23,9 16,8 22,1 241 1891-1900 1896 : 2207 22,7 22,1 18,4 21,5 95 1901-1910 1906 : 2051 23,5 20,6 19,1 19,4 90 1911-1920 1911 : 1929 17,1 1911-19 13.3 21,4 1911-19 20,6 -84 1921-1930 1926 : 1744 22,8 1920-30 19 17,5 17 93 1931-1940 1936 : 1672 22,9 14,9 16,6 15,8 105 1941-1950 1946 : 1683 23,0 18,1 15,9 15 120 1951-1960 1954 : 1730 21,9 18,6 13,2 12,1 151 1961-1970 1968 : 1923 13,1 1961-65 17,9 10,3 1961-65 11,1 54 1971-1980 1975 : 2072 20,8 15 11,4 10,4 194 1981-1990 1982 : 2607 21,6 13.9 8,6 9,8 340

1 les taux de natalité et mortalité calculés sur des périodes décennales effacent les fluctuations liées aux courtes périodes (Segalen, 1985)

2 sources : Braudel, Labrousse (1993abc) ; I.N.E.D. pour 1971/1990 3 chiffres bruts, différence naissances / décès par période décennale

Le taux de natalité à Saint-Hilaire (voir tableau 4), comme dans l’ensemble de la Vendée, se maintient presque constamment au dessus de la moyenne nationale. Il est au plus haut dans cette seconde moitié du XIXe siècle, jusqu’à une dernière décennie qui marque un ralentissement de la natalité, signe de l’exode qui touche d’abord les jeunes adultes. La mortalité, à Saint-Hilaire, reste à un niveau inférieur ou équivalent à celui de la moyenne nationale. Il en résulte cette vitalité démographique marquée par un solde naturel constamment positif (à l’exception de la période de la guerre 14-18).

Deux phénomènes caractérisent l'évolution démographique et économique de la seconde moitié du XIXe siècle dans le Bocage : une surcharge démographique agricole et le déclin des petites activités artisanales et industrielles, aboutissant à une simplification de la structure économique au profit du secteur agricole (Renard, 1975). Pour le département de la Vendée, la population demeure essentiellement rurale et ne descend pas en dessous de 80% de 1856 à 1946 (Hello, Regourd, 1982). C'est pourquoi, l'évolution de la population au XIXe et au début du XXe siècle se relie directement à celle des progrès agricoles