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La figure du décadent, emblématisée par Jean Floressas des Esseintes, le protagoniste d’À rebours, ne saurait se penser en dehors de la filiation. Son identité même dépend de l’idée de dégénérescence1 : la lente dégradation physiologique et morale de sa famille (qui, quelques siècles auparavant, ne comptait que « d’athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres », auxquels ne survit qu’un fils chlorotique mélancolique) est présentée de manière à montrer, certes avec ironie, la jeunesse fin de siècle comme une génération moins neuve qu’à bout de souffle, sorte de gangrène minant de l’intérieur, par excès de raffinement, la civilisation européenne2. Dans la vie comme dans les romans qui le mettent en scène, le décadent permet de penser un rapport au passé ; il institue un lien négatif entre les générations, marquant tout à la fois la fin d’une ère, le désir d’un renouveau et la nostalgie d’un passé révolu.

1 Voir, au sujet de la relation entre l’idée de dégénérescence, largement utilisée en psychiatrie depuis l’ouvrage de Bénédict-Augustin Morel, Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de

l’espèce humaine et des causes qui produisent ces variétés maladives (1857), et la décadence de l’art,

hypothèse que Max Nordau va populariser en 1892 avec son traité Entartung (Dégénérescence), l’article de P. Buvik, « Fin de siècle et dégénérescence : Max Nordau lecteur de Huysmans », p. 105-120.

2 L’écrivain Henry Bordeaux décrit cette génération déliquescente, qu’il croit affectée d’une « maladie terrible et singulière », comme « [u]ne jeunesse démoralisée, trop cultivée, dépourvue de volonté, partie dans la vie avec un immense orgueil intellectuel et des sens trop précocement excités, unissant bientôt aux désenchantements de l’analyse les désenchantements du libertinage et érigeant alors en théorie générale un pessimisme personnel ». Pèlerinages littéraires, p. 181.

Dans l’histoire du roman, et comme l’ont notamment montré Pierre Citti, Thomas Pavel ou les auteurs du Roman célibataire, le décadent sert de dispositif à une remise en cause des éléments essentiels, ou immuables, du roman réaliste : l’intrigue et les personnages. Le décadent se présente plus particulièrement comme le personnage « à rebours » du roman naturaliste zolien. Ainsi que l’écrit Pierre Citti, le décadent est la réfutation vivante de la théorie du milieu, car il est un « agent de dissolution3 » de la société, mais aussi de la sociabilité du roman réaliste :

[Si] l’individu résiste à l’analyse, s’il lutte contre son milieu, alors ce non- conformiste est un inadapté, un cas de pathologie sociale. Inversement un milieu impuissant à dominer un individu porte en lui une déficience, un germe catastrophique. C’est la logique suivie par Huysmans, d’En ménage jusqu’à En rade : la situation romanesque unique de ces romans est la lutte plus ou moins ingénieuse d’un pauvre homme contre un milieu hostile qui l’étouffe en le torturant avec d’infinies ressources. Cette formule du récit aboutit au « décadent », personnage ambigu, puisqu’il est à la fois un être dégénéré et le signe de la décadence d’une société qui se condamne deux fois, en le tourmentant et en lui permettant d’être4.

Refusant d’être un participant actif de la société, dont il représente les tares et symbolise l’angoisse de l’extinction5, le décadent s’enferme dans l’esthétisme et l’égotisme. Thomas Pavel souligne qu’en mettant en scène un tel personnage, À rebours « se propose de réfuter le dogme de l’enracinement en montrant que, par l’entremise d’un mode de vie dont la seule norme est la jouissance esthétique, l’homme est capable d’inventer son propre milieu et de tenir à distance toute influence extérieure6 ». Selon cette perspective, quelque peu tautologique et que ce chapitre va tenter d’ouvrir, la logique du

3 P. Citti, Contre la décadence, p. 31. 4 Ibid., p. 28.

5 L’idée de dégénérescence n’a connu aucun penseur plus pessimiste que le comte Arthur de Gobineau, qui a écrit L’Essai sur l’inégalité des races humaines en 1853, livre qui sera réédité à maintes reprises et connaîtra un regain de succès dans les années 1890.

roman réaliste se pense à la négative, par un personnage « décadent » qui est moins un être étranger, parachuté dans l’univers d’un roman nouveau, que le naturaliste « fin de race » qui en incarne l’exemple limite7.

L’hypothèse que défend Sylvie Thorel-Cailleteau, dans La Tentation du livre sur

rien, est aussi celle d’un renversement par la continuité, bien qu’elle revisite les termes de

la crise du roman : le naturalisme n’est pas entré en crise avec Huysmans, parce que le roman naturaliste était « en soi l’expression d’une crise8 ». Il est en effet possible de trouver, chez Flaubert, tous les éléments de dissolution du romanesque exacerbés par Huysmans9 et, dans À rebours, « un révélateur du naturalisme, s’il est vrai que via l’exploration de la modernité, celui-ci portait en lui-même son propre dépassement10 ». Stéphanie Guérin-Marmigère, dans La Poétique romanesque de Joris-Karl Huysmans, présente Huysmans comme « un acteur dynamique de la crise du roman » mais qui « n’a jamais cessé d’être naturaliste » :

le naturaliste constitue un invariant de la poétique romanesque huysmansienne autour duquel se greffent et se dégrafent diverses variables que sont, entre autres, le matérialisme, la décadence, l’onirisme, la mystique, l’Histoire11.

L’analyse du rapport de filiation de Huysmans avec le naturalisme, bien que permettant de montrer le rôle d’À rebours dans l’affaiblissement de cette esthétique, présuppose une adhésion a priori, et jamais remise en cause, de l’écrivain au genre romanesque. La critique huysmansienne présente en effet le roman comme le genre « par

7 Ibid., p. 359 : « Poussé à la limite, l’art qui se consacre à l’étude des liens de dépendance entre l’homme et l’univers en arrive inévitablement à écraser l’humanité de l’homme. »

8 S. Thorel-Cailleteau, La Tentation du livre sur rien, p. 200.

9 Voir notamment la deuxième partie de La Tentation du livre sur rien, « Vers une esthétique de la platitude », p. 61-273.

10 Ibid., p. 200.

défaut », à adopter lorsqu’on est un disciple de Zola, et, malgré ses limites, comme « la seule voie à prendre pour arriver aujourd’hui12 », ainsi que l’écrit Huysmans à son ami Théodore Hannon. Même en 1892, donc après quelques-unes des « enquêtes » sur le roman qui participent à l’idée d’une crise du genre, Huysmans écrit à Zola : « Nous sommes rivés,

tous, à la forme, au moule du roman – et je ne vois pas du tout le moyen d’en sortir13. » Or, si le roman est le genre par défaut, c’est qu’il est aussi, comme l’indique Jean-Marie Seillan, le genre du juste milieu dans le champ littéraire : pour Huysmans, qui abhorre autant le feuilleton que le théâtre, le roman a l’avantage de ne pas être un genre trop populaire ; la poésie ou les ouvrages érudits, particulièrement goûtés du romancier, sont eux « invendables14 ». Engagé dans « le débat générique et les appartenances d’école15 », prenant le parti du naturalisme pour des raisons multiples, Huysmans ne pousserait jamais, si on veut simplifier, la révolte jusqu’au bout : désirant surtout vendre des livres et s’assurer une place dans le champ littéraire, il « ménage la chèvre naturaliste et le chou catholique de manière à nourrir sur les deux fronts la provocation et les polémiques dont il sait l’utilité16 ». Huysmans inscrit donc sa propre œuvre dans un sillon simple – le roman –, dont il connaît les règles et qui, écrit Jérôme Solal, est non seulement le point de départ de sa pratique, mais aussi le canevas dans lequel « [il] se rattache le plus durablement et par lequel il finira peu ou prou, sans doute parce qu’il est le genre du faute de mieux et de l’à

12 J.-K. Huysmans, lettre du 13 décembre 1879, dans Lettres à Théodore Hannon, p. 210.

13 J.-K. Huysmans, cité par J.-M. Seillan, « Huysmans, les genres littéraires et le marché de la librairie », p. 17.

14 J.-M. Seillan montre tout le poids de cet argument en présentant Huysmans comme libraire autant que comme écrivain. Voir ibid., p. 16-17.

15 J.-M. Seillan, « Genres et position(s) dans le champ littéraire », p. 12. 16 Ibid., p. 11.

vau-l’eau, le plus propice à l’expression du courant incontrôlé de la vie matérielle où se

multiplient les “naufrages de l’humain”17 ».

On peut pourtant revisiter les termes de l’adhésion de Huysmans au genre romanesque, dont Solal esquisse la dimension esthétique dans cette dernière citation. Abordée sous sa dimension esthétique, la question du rapport au genre romanesque se révèle beaucoup plus complexe, parce que plus floue. Bien que le rapport au roman, certes mis en péril dans À rebours, s’affiche comme une donnée stable de la pratique de Huysmans (en plus de lui conférer une place dans l’histoire du roman naturaliste), la correspondance de l’écrivain mais aussi les essais qu’il rédige en défense du naturalisme montrent que cette esthétique est une étiquette que Huysmans réinvestit d’un sens très personnel, qui n’équivaut pas à une adhésion de facto au genre. Si, pour Zola, l’adéquation entre naturalisme et roman va de soi, le second se prêtant le mieux à la démarche scientifique qui sous-tend le premier – à l’inverse du théâtre, « dernière citadelle de la convention18 », qui n’a pas encore, en 1880, été emporté par le souffle de la modernité –, cette adéquation reste, chez Huysmans, flottante. Dans sa préface aux Rimes de joie, recueil de poèmes en prose de son ami Théodore Hannon, Huysmans pose en effet l’hypothèse de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui l’intergénéricité possible du naturalisme, appelant de ses vœux une poésie naturaliste qui ferait sortir ce genre des influences romantique et parnassienne, et faisant de Zola, pour les besoins de la cause, non pas le romancier par excellence du naturalisme, mais un poète : « j’attends que le naturalisme, qui, à défaut d’un

17 J. Solal, « Quand le roman dégénère, Huysmans et les quatre sorties du genre », p. 121. 18 É. Zola, « Le naturalisme au théâtre », dans Le Roman expérimental, p. 162.

poème en vers, a du moins produit le plus beau poème en prose que je connaisse: L’Abbé

Mouret, fasse comme pour le roman, balaie tout ce fatras d’insanités et de balivernes19 ». Complétant la filiation romanesque esquissée en 1876 dans son essai « Émile Zola et “L’Assommoir” », filiation qui cherche la source du naturalisme chez Balzac et chez Flaubert, pour aboutir aux frères Goncourt et à Zola, en passant par Stendhal et Théophile Gautier20, Huysmans dévoile une filiation poétique dans sa préface au recueil d’Hannon. Huysmans y décrit le naturalisme comme un amalgame thématique entre maladie et modernité plutôt que comme une esthétique du roman « moderne », scientifique, à opposer notamment au roman romantique. Sylvie Thorel-Cailleteau explique que le sens du mot

moderne se comprend, chez Huysmans, comme « l’inscription du temps dans la chair, soit

le principe du mouvement, mais encore l’imperfection et la fatigue, qui “assaisonnent” la beauté autrement fade21 ». Ainsi, les « grâces maladives de la femme » et les « névroses élégantes des grandes villes22 », sujets de prédilection du naturalisme, peuvent selon Huysmans être traitées dans un poème et même un tableau, autant que dans un roman23. C’est donc tout naturellement que Baudelaire, mais aussi, dans une moindre mesure, Théodore de Banville et Albert Glatigny24, naturalistes avant la lettre, sont présentés par Huysmans comme les précurseurs de Théodore Hannon, décrit par ailleurs comme le meilleur espoir du naturalisme en poésie. Ces poètes se voient plus généralement intégrés dans une filiation au sein de laquelle Huysmans trouve sa place et justifie sa propre

19 J.-K. Huysmans, « Rimes de joie », dans En marge, p. 49.

20 Voir J.-K. Huysmans, « Émile Zola et “L’Assommoir” », dans En marge, p. 14-15. 21 P. Brunel et S. Thorel-Cailleteau, « Préface » (Romans, vol. 1), p. xxx.

22 J.-K. Huysmans, « Rimes de joie », dans En marge, p. 56.

23 Dans une lettre à T. Hannon, Huysmans parle de Félicien Rops comme d’un peintre naturaliste. Voir la lettre du 24 avril 1877, dans Lettres à Théodore Hannon, p. 55.

pratique. En Baudelaire, Huysmans découvre en effet l’égal de Flaubert25 mais surtout le créateur par excellence, à la fois « poète de génie », « peintre » (au sens figuré) et « prodigieux artiste26 ». Être artiste, plutôt que romancier, peintre ou poète, permet de mettre en relief non pas une pratique littéraire, mais une démarche esthétique : artiste avant

tout, le naturaliste se définit par le regard qu’il porte sur le monde. Il est décrit par

Huysmans à la fois comme un « montreur […] des bêtes27 » et comme un être en marche, observant de manière indiscriminée le mouvement du monde : « nous [les naturalistes] ne brisons pas les torses réputés célèbres, nous passons simplement à côté d’eux, nous allons à la rue, à la rue vivante et grouillante, aux chambres d’hôtel aussi bien qu’aux palais, aux terrains vagues aussi bien qu’aux forêts vantées28 ».

La filiation interne au genre romanesque qui fait de Huysmans le successeur naturel de Zola, filiation qui semble au premier regard soudée par l’esthétique naturaliste – que défend par ailleurs Huysmans avec force jusqu’au début des années 1880, conscient d’être « tombé dans l’avant-garde29 » –, se voit néanmoins ébranlée par la définition, quelque peu assouplie par excès d’orthodoxie (ou d’enthousiasme), que Zola en donne. Pensée comme une attitude esthétique, comme l’intérêt d’un artiste pour une modernité maladive à l’œuvre chez Baudelaire autant que chez Zola, la défense du naturalisme n’équivaut pas à une pleine adhésion au genre qui en est le porte-étendard, le roman. Au contraire, il faut voir la filiation mixte, qui fait de Huysmans l’héritier autoproclamé de Zola, des Goncourt, de

25 J.-K. Huysmans, « Rimes de joie », dans En marge, p. 50. 26 Ibid.

27 J.-K. Huysmans, « Émile Zola et “L’Assommoir” », dans En marge, p. 18. 28 Ibid., p. 17.

29 J.-K. Huysmans, lettre du 24 avril 1877, dans Lettres à Théodore Hannon, p. 56. Pierre Cogny, dans son introduction aux lettres à Hannon, souligne d’ailleurs que l’allégeance au naturalisme est peut-être moins une allégeance à la méthode zolienne qu’à l’idée d’être un marginal de la littérature : « D’une indépendance absolue, il entend bien n’être intégré à aucun groupe et s’il se prête au Naturalisme, il ne s’y donne pas, pas plus qu’il ne se donnera à l’Église, en tant que corps constitué » (p. 14).

Flaubert, mais aussi de Baudelaire et de Théophile Gautier, comme la marque d’un intérêt pour le rapport entre littérature, en tant que rendu langagier du monde, et modernité. Huysmans part en effet volontiers à la recherche d’une phrase30, du style lui permettant de montrer le monde moderne, et se désintéresse presque totalement de l’art romanesque. Si Huysmans écrit des romans – et il le fait consciemment, en trouvant chaque fois la tâche aussi ardue31 –, ce choix ne doit pas être perçu comme étant fait « par défaut » ou motivé par un désir de se tailler une place dans le champ littéraire, mais comme un choix esthétique vivant et valide : le roman, loin de se présenter comme une forme claire avec laquelle il est possible de jouer, ou qu’il est tentant de déconstruire, se trouve au contraire sans cesse placé en position de concurrent d’autres genres, d’autres formes. Jean-Marie Seillan, dans son article « Huysmans, les genres littéraires et le marché de la librairie », a d’ailleurs montré le peu de contrôle qu’a l’écrivain sur la forme de ses propres écrits, lui qui tâche d’imiter Zola en préparant des plans stricts, mais échoue le plus souvent à les respecter :

Le nombre final de feuillets qu’un projet d’écriture lui fera noircir est, il le reconnaît souvent, un paramètre qui lui échappe : prévu pour être un roman,

À vau l’eau reste à l’état de nouvelle, tandis qu’À rebours, commencé

comme nouvelle, finit en roman – de même qu’En rade. Alors que Zola est censé préformater ses romans et contrôler la durée de leur rédaction, c’est l’œuvre qui, chez Huysmans, impose sa propre longueur à l’écrivain32.

Ainsi, au lieu de se présenter comme le genre confortable, qui va de soi, le roman devient, à force de voir son histoire confondue avec une démarche « moderne » sans forme

a priori, un genre qu’il faut se réapproprier, ou du moins dont il faut prendre conscience

30 Huysmans affirme que sa « joie est de tâcher d’écrire avec des pinceaux éclatants ». Lettre du 21 mars 1877, dans Lettres à Théodore Hannon, p. 45.

31 Voir par exemple la lettre du 7 avril 1877, où Huysmans écrit qu’il « bûche toujours sur [son] roman », ou bien celle du 5 septembre 1877 où il renchérit en disant : « C’est égal, mon cher, c’est une sacrée chose qu’un roman ! c’est long et crânement difficile à exécuter. » Ibid., p. 50 et 87.

des qualités propres, plutôt que des défauts. Comme le fait remarquer Jérôme Solal, un « chassé-croisé des genres33 » traverse toute l’œuvre de Huysmans, du moins jusqu’à Là- bas34. Or, bien que cette oscillation, ce flottement entre les genres (surtout entre poésie et narration), se résolve constamment par un « mouvement vers le romanesque35 », c’est-à- dire en défaveur de la poésie, la nature de ce « choix » reste mal expliquée, sinon par des arguments d’ordre commercial ou sociologique.

Il sera ici montré que l’adhésion au genre romanesque, du moins au point de vue esthétique, passe par le personnage lui-même, plus précisément par les personnages d’artistes que Huysmans met en scène de façon récurrente : Léo, le poète de Marthe, Cyprien Tibaille, le peintre des Sœurs Vatard et d’En ménage, André Jayant, l’écrivain de ce dernier roman, Eujène Lejantel, le narrateur de la nouvelle « Sac au dos », et des Esseintes, le décadent d’À rebours. Si la critique a souvent montré les ressemblances entre le physique et les maladies de ces personnages et ceux de leur créateur, trouvant en ces similitudes la finalité de leur présence dans les différents récits, elle ne s’est jamais penchée sur la manière dont l’identité de ces personnages et son traitement romanesque mettaient au jour une filiation littéraire étrangère au genre romanesque, rendant le « choix » du roman plus problématique que passif.

33 J. Solal, « Quand le roman dégénère, Huysmans et les quatre sorties du genre », p. 123. Cette idée d’un chassé-croisé des genres est tirée d’un article d’André Guyaux, qui souligne aussi l’intrication des genres auxquels réfléchit Huysmans, en particulier du poème en prose et du roman : « Dans Le Drageoir au épices ou dans les Croquis parisiens, le poème en prose allait vers le récit. Dans À rebours, c’est le roman, “condensé en une page ou deux”, qui retourne au poème en prose et s’y réduit, “en une goutte”. Les deux directions se croisent. Les poèmes en prose du Drageoir se dispersaient dans le réel, dans l’anecdote, dans le divers; ceux des Croquis parisiens, chroniques de faits divers, confirmaient cette conversion du poème au miroir du réel, et la vocation narrative de l’auteur. À rebours suggère une direction à rebours : des “longueurs analytiques” du roman vers le poème retrouvé et défini comme un roman “condensé” ». A. Guyaux, « Huysmans et le poème en prose : du récit court au “roman concentré” », p. 167.

34 Voir J.-M. Seillan, « Huysmans, les genres littéraires et le marché de la librairie », p. 18. 35 J. Solal, « Quand le roman dégénère, Huysmans et les quatre sorties du genre », p. 123.

Poète, peintre ou romancier, bohème ou naturaliste, l’artiste huysmansien ne doit pas en effet être perçu comme un porte-parole du genre romanesque mais comme le représentant d’une attitude esthétique qui, parce qu’elle n’est pas spécifique au genre romanesque, met en abyme la filiation hybride dont Huysmans se réclame dans ses quelques écrits plus théoriques des années précédant À rebours, notamment l’essai « Émile Zola et “L’Assommoir” » et la préface aux Rimes de joies, déjà cités. Ne ressemblant en rien au portrait du romancier naturaliste idéal que Huysmans dresse dans son essai sur Zola,