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Il est tentant de faire des propos du philosophe Valentin Knox, personnage flamboyant du salon d’Angèle dans Paludes, le point de départ, voire la synthèse, de la pensée gidienne sur la maladie. Valentin Knox propose en effet, dans un discours qui recouvre – et répète – celui du narrateur tâchant d’expliquer son livre aux autres littérateurs, une vision de la maladie adaptée spécialement à l’artiste et qui s’inspire des poncifs de la décadence. Le malade est un artiste parce qu’il est original1; il se distingue, comme l’écrivait déjà Paul Bourget en 18832, du corps social, de la « normalité », et peut donc proposer une vision du monde unique, étant lui-même un être en réalité supérieur à la moyenne :

La santé ne me paraît pas un bien à ce point enviable. Ce n’est qu’un équilibre, une médiocrité de tout ; c’est l’absence d’hypertrophies. Nous ne valons que par ce qui nous distingue des autres ; l’idiosyncrasie est notre maladie de valeur ; – ou en d’autres termes : ce qui importe en nous, c’est ce que nous seuls possédons, ce qu’on ne peut trouver en aucun autre, ce que n’a pas votre homme normal, – donc ce que vous appelez maladie.

Car cessez à présent de regarder la maladie comme un manque, c’est quelque chose de plus, au contraire ; un bossu, c’est un homme plus la bosse, et je préfère que vous regardiez la santé comme un manque de maladies3.

1 Sur la maladie comme garantie d’originalité de l’artiste, voir P. Citti, Contre la décadence, p. 34. 2 Voir P. Bourget, « Sur la décadence », dans Essais de psychologie contemporaine, p. 20.

Une telle promotion de la maladie, écrit Jean-Michel Wittmann dans la notice « Maladie » du Dictionnaire Gide, s’inscrit donc parfaitement dans le contexte fin de

siècle, « tendu vers la quête de l’originalité et l’expression de l’individualité4 » dans lequel l’artiste, depuis la figure du décadent huysmansien, cherche à affirmer la validité de son talent. Elle renvoie aussi, plus spécifiquement, à la fascination gidienne du « Moi », que Valérie Michelet Jacquod analyse dans les premières œuvres de l’écrivain. À cet égard, la critique associe au désir narcissique de ce que Gide appelle « bien manifester » une quête essentialiste de la singularité, où la préoccupation première de l’artiste – et Gide veut passionnément « faire œuvre » – est de connaître et de révéler ce qui lui appartient en propre : « L’art de bien manifester serait ainsi celui d’écrire au plus près de soi, de sa personnalité, et tisser son œuvre, comme pour l’araignée sa toile, deviendrait une activité vitale, offrant à la conscience le support qui lui permet de s’affirmer, en même temps que cette affirmation5. » C’est d’ailleurs dans ces termes que se vit la « palingénésie » de malades comme Michel, dans L’Immoraliste, pour qui la maladie s’assimile rapidement au sentiment d’une originalité intellectuelle inhérente à l’expérience même de la différence, du détachement, par rapport à la vie ordinaire et normale : « bientôt un sentiment très neuf se fit jour. […] C’était, pour la première fois, la conscience de ma valeur propre: ce qui me séparait, me distinguait des autres, importait; ce que personne d’autre que moi ne disait ni ne pouvait dire, c’était ce que j’avais à dire6 ».

Le discours de Valentin Knox est cependant une synthèse trompeuse, parce qu’incomplète, du discours gidien sur la maladie. En effet, il n’est que l’exact renversement

4 J.-M. Wittmann, « Maladie », dans P. Masson et J.-M. Wittmann (dir.), Dictionnaire Gide, p. 242. 5 V. Michelet Jacquod, Le Roman symboliste, p. 387-388.

– dont il faut souligner le caractère parodique – de l’opposition paradigmatique entre le « normal » et le « pathologique », inventée par le discours médical de la seconde moitié du XIXe siècle et que Gide remet en cause dans son fondement même. Pour rappel, le discours médical des théoriciens de la santé7, comme les appelle Georges Canguilhem, décrit la maladie comme une variation quantitative de la santé, l’état d’une « altération » de ce « tout » que représente, à partir d’Auguste Comte et de Claude Bernard, l’idéal de la norme8. Plus précisément, l’homme malade ne s’oppose pas à l’homme sain – c’est-à-dire à l’homme « normal » –, mais en représente une version amoindrie, au point où, insiste Canguilhem, le pathologique peut apparaître comme un concept superflu, ne servant à rien d’autre qu’à définir son envers :

La conviction de pouvoir scientifiquement restaurer le normal est telle qu’elle finit par annuler le pathologique. La maladie n’est plus objet d’angoisse pour l’homme sain, elle est devenue objet d’étude pour le théoricien de la santé. C’est dans le pathologique, édition en gros caractères, qu’on déchiffre l’enseignement de la santé […]9.

Placé dans la bouche de Galéas, un des littérateurs du salon d’Angèle, ce discours médical apparaît d’un ridicule qui, par extension, fait tache sur la réplique inversée qu’en offre juste après le « grand » Valentin Knox :

Ce n’est pas en montrant au malade sa maladie qu’on le guérit [prétend Galéas], c’est en lui donnant le spectacle de la santé. Il faut peindre un homme normal au-dessus de chaque lit d’hôpital et fourrer des Hercule Farnèse dans les corridors10.

En d’autres termes, Galéas et les représentants gidiens du discours médical voient le malade comme un être contingent parce qu’incapable de demeurer enclos dans l’idéal

7 Voir G. Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, p. 17. 8 Ibid., p. 52.

9 Ibid., p. 17. 10 Paludes, p. 288.

normatif de la santé. Il est donc exceptionnel par déficience et, comme « l’acte libre » dont le philosophe Alexandre discute l’utilité conceptuelle avec le narrateur de Paludes (au cours d’un débat qui s’intéresse, lui aussi, au rapport entre la partie et le tout), le malade est perçu par l’homme sain comme un être « détachable – remarquez ma progression : supprimable, – et ma conclusion : sans valeur11 ». À l’inverse de ces littérateurs et philosophes de la santé, Valentin Knox exalte « l’idiosyncrasie » du malade, reprenant ainsi à son compte le discours des théoriciens de la décadence : il déloge de son piédestal l’homme normal et le transforme en un homme « supprimable – car on le retrouve partout12 ».

Cet habile renversement, qui montre la valeur idéologique, plutôt que médicale, du discours social sur la maladie, n’est que le point de départ d’une réflexion beaucoup plus complexe du rôle et de l’utilité, pour l’artiste, de la maladie comme concept. Les premières œuvres de Gide, des Cahiers d’André Walter à L’Immoraliste, apparaissent à cet égard comme un laboratoire d’expérimentation, où la maladie, choisie et explorée comme perspective nouvelle sur l’existence par les personnages de ces récits, cristallise non pas une identité idiosyncrasique, mais une « inquiétude » à explorer. Si l’artiste gidien est un malade, c’est parce que la vie « normale » lui apparaît comme problématique, dans ses formes et ses manières d’être : il n’est pas malade par excès d’originalité, comme le voudrait Valentin Knox, mais parce que la vie telle qu’elle se présente naturellement aux autres, à ces « hommes normaux » épris de leur propre santé, est une vie à laquelle il aspire et dont il veut se détacher tout à la fois. Ce qui se présente comme la situation de départ pour tout un chacun est pour l’artiste-malade gidien un sujet de curiosité et de dégoût, car

11 Ibid., p. 284. 12 Ibid., p. 289.

il s’inquiète de voir des maladies là où, pourtant, tout homme sain ne verrait qu’une vie exemplaire, tant par sa conformité aux normes que par sa conformité aux valeurs sociales. Le narrateur de Paludes trouve ainsi paradoxale la vie de son ami Richard, cet « [e]xcellent homme13 », qui « a épousé une femme plus pauvre que lui, par vertu, et lui fait un bonheur de sa fidélité14 ». Employé de bureau, lisant le soir « le journal afin de pouvoir causer15 », Richard est l’homme moyen, donc le représentant parfait de cette normativité idéale dans laquelle se concentre le concept de santé. Remettant en cause toute manière dont lui, ou un autre, devrait vivre sa vie, le malade gidien se maintient – à l’inverse de l’homme normal, laborieux et bon – dans un état de « passivité16 ». Or, comme l’indique Michel17, ou le narrateur des Nourritures, cet état exacerbe sa maladie, au point où il doit bientôt faire face à une « crise aiguë » :

ce fut une période inquiète d’attente et comme une traversée de marais. Je sombrais en des accablements de sommeil dont dormir ne me guérissait pas. Je me couchais après le repas ; je dormais, je me réveillais plus las encore, l’esprit engourdi comme pour une métamorphose. […] Ah ! que vienne enfin, suppliais-je, la crise aiguë, la maladie, la douleur vive ! Et mon cerveau se comparait aux ciels d’orages, de nuages pesants encombrés, où l’on respire à peine, où tout attend l’éclair pour déchirer ces outres fuligineuses, pleines d’humeur et cachant l’azur18.

Ainsi, ce qui « distingue » le malade de ses congénères n’est pas une originalité latente, mais une interrogation fondamentale, une recherche de sens qu’il n’associe pas immédiatement à la production d’une œuvre, à cette identité « artiste » qu’il prétend

13 Ibid., p. 267. 14 Ibid., p. 267. 15 Ibid., p. 268. 16 Ibid., p. 267.

17 Voir L’Immoraliste, p. 599 : « La vie trop calme que je menais m’affaiblissait et me préservait à la fois. » 18 Les Nourritures terrestres, p. 356.

posséder. Ce pyrrhonisme devient plutôt, en soi, un objet de curiosité. Conséquemment, la maladie n’est jamais chez Gide un ensemble de symptômes facilement identifiables, mais plutôt l’expression de ce doute – autant par rapport à la vie « normale » que par rapport à sa propre manie de remettre toujours tout en question. L’inquiétude est la maladie du personnage. Celui-ci, d’ailleurs, loin de vouloir s’en guérir, « épris » qu’il est de ce qu’il considère comme une qualité intellectuelle, cherche à la conserver toujours vivante, bien qu’il ait de la peine à en cerner les limites et l’objet :

Je me sens prendre peu à peu, à mesure que je les dépeins, par toutes les maladies que je reproche aux autres, et je garde pour moi toute la souffrance que je ne parviens pas à leur donner. – Il me semble à présent que le sentiment que j’en ai augmente encore ma maladie, et que les autres, après tout, peut-être ne sont pas malades. – Mais alors, ils ont raison de ne pas souffrir – et je n’ai pas raison de le leur reprocher ; – pourtant je vis comme eux, et c’est de vivre ainsi que je souffre… Ah ! ma tête est au désespoir ! – Je veux inquiéter – je me donne pour cela bien du mal – et je n’inquiète que moi-même… Tiens ! une phrase ! notons cela. […]

« S’éprendre de son inquiétude. »19

Inquiétude forgée contre l’assurance de ces « théoriciens de la santé », la maladie chez Gide doit donc être conçue, comme le soutient aussi Michaël Johnson dans son article sur la maladie dans L’Immoraliste, comme le concept permettant de réfléchir à la notion de santé, et non pas aux particularités de la pathologie en tant que telle. Nietzsche, que Gide cite d’ailleurs comme l’une des influences majeures de sa propre vision de la maladie, l’écrit dans ses Considérations inactuelles : la notion de santé, glissant au XIXe siècle du biologique au social, est devenue la notion « passe-partout » permettant à ceux qu’il

19 Paludes, p. 294. Voir aussi p. 288 : « Monsieur, m’écriai-je, quand je vois près de moi des gens malades, je m’inquiète – et si je ne cherche pas à les guérir, de peur, comme vous diriez, de diminuer la valeur de leur guérison, du moins je cherche à leur montrer qu’ils sont malades – à le leur dire. »

nomme les « philistins de la culture20 » d’effectuer des coupes dans le réel, délimitant les normes d’une existence « bonne », « saine ». Ces « philistins » mettent les arts et l’histoire au service d’une vision du monde rejetant dans le domaine du « pathologique » tout ce qui relève de la pensée spéculative, de l’imagination créatrice, et ils éprouvent, face à cette santé déclarée, à cette domination du « rationnel », du « réel » et des « choses sérieuses », une satisfaction, une quiétude, que Nietzsche raille, puisque cette « santé » n’est que pur jeu de langage. Il s’agit en effet d’une santé pour le moins précaire : « il semblerait donc avisé de ne plus parler [des “philistins”] comme des “esprits sains”, mais plutôt comme des “esprits fragiles” ou plus brutalement comme des “esprits faibles”21 ».

C’est exactement cette satisfaction de l’homme « normal » que remarque l’artiste gidien et qui est au cœur de son inquiétude ainsi que, par extension, de son sentiment de couver une « maladie ». L’état de satisfaction de l’homme « sain » apparaît en effet, aux yeux de celui qui est « malade », comme un état d’engourdissement, d’indolence, qui compromet donc, en son centre même, la notion de santé. À titre d’exemple, Michel fait remarquer la fausse « bonne santé » de Marceline, au début de son récit. Or la forte constitution de cette dernière ne fait pas moins d’elle une « vraie » malade – c’est-à-dire une malade qui, au lieu de renaître de ses cendres après une lutte acharnée, comme son mari avant elle, va simplement mourir des suites de la tuberculose. La santé, paradoxalement, est la condition des êtres qui ignorent leurs pathologies et qui, pour reprendre une formule prisée par Georges Canguilhem, vivraient simplement « dans le silence [de leurs] organes22 », c’est-à-dire dans le silence de tous ces aspects de l’existence

20 F. Nietzsche, « David Strauss, l’apôtre et l’écrivain », dans Considérations inactuelles I et II, p. 24. 21 Ibid., p. 31.

qu’ils relèguent dans le domaine de l’irréel, du pathologique, voire du mal, au nom de règles morales qu’ils adoptent sans même en avoir conscience.

C’est pourquoi Gide présente l’homme sain comme un homme endormi, celui qui « creuse sa couche23 », qui ressasse et tourne en rond, au lieu de véritablement agir. Dans Les Nourritures terrestres, c’est « l’humanité tout entière » qui paraît au narrateur

« comme un malade qui se retourne dans son lit pour dormir – qui cherche le repos et ne trouve même pas le sommeil24 ».

Dans Paludes, cet individu à la santé « fragile » s’incarne en la figure de Tityre, l’homme « couché » auquel s’identifie avec inquiétude le narrateur, comme il s’identifie d’ailleurs à toutes ces maladies invisibles de la vie normale des autres. « Tityre sourit25 », note-t-il dans son carnet, à l’entrée du salon d’Angèle, dans un mouvement d’inspiration qui a peu à voir avec une brusque échappée dans l’univers virgilien de l’idylle, comme le pense Jean-Pierre Bertrand26, ce geste d’écriture s’offrant plutôt comme une translation directe de la réalité du « marais » qu’est le salon d’Angèle. « Tityre sourit » résume l’état de fait de l’homme sain, contre lequel se positionne l’artiste, l’inquiet, celui qui est conscient, par ailleurs, de ses propres tares et maladies. Si Tityre sourit, c’est que, comme l’homme normal qu’il représente, « celui sur qui commence chacun27 » et qui investit le

23 Voir notamment Paludes, p. 285 : « Paludes – commençai-je – c’est l’histoire du terrain neutre, celui qui est à tout le monde… – mieux : de l’homme normal, celui sur qui commence chacun ; – l’histoire de la troisième personne, celle dont on parle – qui vit en chacun, et qui ne meurt pas avec nous. – Dans Virgile il s’appelle Tityre – et il nous est dit expressément qu’il est couché “Tityre recubans”. – Paludes, c’est l’histoire de l’homme couché. »

24 Les Nourritures terrestres, p. 397. 25 Paludes, p. 284.

26 Voir l’article de J.-P. Bertrand, « Paludes, traité de la contingence », p. 138, où la satisfaction de Tityre est perçue comme une autodérision : « Il est satisfait. [...] Ce dont Tityre se contente, c’est du marais qui l’entoure en prolongement de son être, un espace de négation et de liberté à la fois. Son sourire prend aussi valeur autoréflexive. Il instaure une condescendante complicité entre l’auteur et le lecteur et signe le régime de l’œuvre, sa sourde ironie. »

« terrain neutre28 » de la santé, Tityre « ne se souvient pas toujours de sa misère29 ». En fait, l’homme sain ne l’est qu’en apparence : c’est un satisfait, comme le sont aussi les amis du narrateur ou bien Angèle. Cette satisfaction de Tityre n’a pourtant pas de raison d’être, selon le narrateur, car l’homme « normal » est un malade qui s’ignore :

Si, messieurs, si ! Tityre a sa maladie !! – Tous ! tous, nous sommes, et durant toute notre vie, comme durant ces périodes détériorées où nous prend la manie du doute : – a-t-on fermé sa porte à clef, cette nuit ? on reva voir ; a-t-on mis sa cravate ce matin ? on tâte ; boutonné sa culotte, ce soir ? on s’assure. Tenez ! regardez donc Madruce qui n’était pas encore rassuré ! et Borace ! – Vous voyez bien. Et remarquez que nous savions la chose parfaitement faite ; – on la refait par maladie – la maladie de la rétrospection30.

Ce chassé-croisé complexe entre le malade gidien et la petite société qu’il critique annule ainsi l’opposition entre les notions de normalité et de pathologie, que reconduisait le grand Valentin Knox en affirmant la supériorité du malade sur l’homme sain. Le discours de l’artiste-malade gidien dépasse, voire déconstruit, cette vision binaire, car l’expérience de la maladie n’aboutit jamais à un triomphe identitaire incontestable contre l’homme normal, le satisfait et l’endormi, qui viendrait en fin de compte valider les velléités d’artiste du malade. À cet égard, on pense à la solitude de Michel dans le désert, lui qui ne sait que faire de sa liberté totale et stagnante alors qu’il vit pourtant au plus loin du « marais » social parisien et des hommes « normaux ». Le détachement du malade par rapport à son milieu ne bénéficie pas davantage à l’identité créatrice du personnage, comme le montre ce passage de Paludes, supprimé après la première édition de 1895, et qui tourne en dérision la supériorité du malade, exaltée par Valentin Knox, au moyen d’une métaphore s’inspirant du mythe de Briarée, le géant aux mille bras. Ce détour métaphorique, qui est surtout

28 Ibid. 29 Ibid., p. 284. 30 Ibid., p. 290.

ironique, permet au narrateur de présenter comme une entreprise de peu de panache son propre désir de sortir du marais. L’une des mains tièdes de Briarée, qui tente de se détacher du tronc, illustre parfaitement la situation étrange de l’artiste-malade, que la maladie ne distingue pas véritablement de ses congénères ni ne dote d’une identité forte, pas plus, il faut le rappeler, qu’elle ne s’imposait comme un refuge durable à l’incapable huysmansien :

« Paludes, commençai-je, c’est monsieur, l’histoire d’une main détachée.

– Ah! Ah! fit-il, de la main chaude! – Du tout, monsieur, de la main tiède. – Mais vous n’avez donc rien compris ?... – Si, monsieur, au contraire.

– Mais pourquoi tiède alors ?

– Est-ce que je sais moi ? – par état. Pensez-vous donc que détachée, chaque main va gagner aussitôt l’empyrée ? La mienne se détache sur un vaste marais d’eau tiède. On n’en voit pas la fin. » Et, me penchant vers lui, je lui dis tout bas, par décence: « Monsieur, c’est ici le marais, nous y sommes31 ! »

Le malade, tel qu’incarné par le personnage gidien, ne sort pas du marais ; il n’est pas malade par excès de « vertu personnelle32 », comme le dit Valentin Knox, mais parce qu’il renonce à adhérer à la vie « normale ». Le malade s’inquiète et acquiert de ce fait la capacité de voir un marais là où les autres ne voient que le salon d’Angèle. Plus encore, la