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Expériences personnelles et délinquance

Chapitre 4 : L’étude perceptuelle

4.3 Interprétation de l’étude perceptuelle

4.3.3 Expériences personnelles et délinquance

Les résultats de la deuxième section d‟analyses de ce chapitre ont confirmé que les délinquants perçoivent la menace de la peine autrement et que les expériences qu‟ils vivent personnellement influencent leur processus

décisionnels. Dans un premier temps, les résultats ont démontré que les délinquants sont affectés différemment selon qu‟ils aient été confrontés ou non à la punition. Ainsi, bien qu‟ils soient plus à l‟affût des stimuli dissuasifs, ils conservent une fréquence élevée de journées d‟infractions au CSR. Ce résultat laisse supposer que les opérations policières ne sont pas particulièrement dissuasives puisqu‟elles affectent principalement ceux qui ne sont pas délinquants. Par contre, la dissuasion situationnelle ne s‟intéresse pas nécessairement à punir les plus délinquants et les délinquants potentiels, mais plutôt à rendre les crimes plus risqués et plus difficiles afin qu‟ils décident de ne pas passer à l‟acte (Cusson, 1993a). En plus, bien qu‟elles affectent principalement les plus conformistes, ces opérations policières sont nécessaires à l‟arrestation des délinquants et, ainsi, à la transmission du message pénal, sans quoi elles demeureraient sans conséquence et risqueraient d‟avoir moins d‟impact. Les délinquants punis servent donc d‟exemples aux conformistes ou à ceux qui auraient en tête de commettre des délits (Homel, 1993). Il est ainsi nécessaire de générer des expériences punitives pour produire une dissuasion générale (Tay, 2005).

En plus, les participants qui ont déjà été punis deviennent plus craintifs et sont affectés par les opérations policières. L‟effet préventif des opérations policières devient dissuasif suite à l‟expérience punitive (Cusson, 1993a). Les stimuli dissuasifs n‟ont des effets sur la perception que se font les automobilistes de leurs risques de recevoir un constat d‟infraction que s‟ils en ont effectivement reçu un. D‟ailleurs, les délinquants qui ont subi des punitions et ont fait face au système de justice ne perçoivent pas leurs risques d‟être arrêté de la même façon que ceux qui n‟y ont pas été confrontés (Apospori et al., 1992). La menace de la peine devient alors plus concrète et c‟est pourquoi ils deviennent plus craintifs à la vue des opérations policières, d‟autant plus s‟ils se sentent coupables lorsqu‟ils commettent des infractions au CSR ou si cette peine leur a créé des soucis financiers.

Les automobilistes punis ne semblent ainsi pas considérer leur expérience punitive comme une fatalité (Pogarsky et Piquero, 2003), ni comme une punition attribuée aléatoirement par les autorités (Fleiter et al., 2010; Fleiter et Watson, 2006; Freeman et Watson, 2006; Paternoster et Piquero, 1995; Piquero et Paternoster, 1998; Piquero et Pogarsky, 2002; Sitren et Aplegate, 2007; Watling et al., 2009), sans quoi ils n‟en auraient pas été affectés. Il semble donc que ce ne soit pas tant les expériences punitives vicariantes qui les affectent que la punition qu‟ils subissent eux-mêmes et qui leur fait réaliser que la menace de la peine est réelle. Le calcul coût-bénéfice qu‟ils effectuent avant de commettre un délit devient probablement beaucoup plus facile à faire une fois confrontés à la punition; les informations qu‟ils utilisent pour faire cette estimation sont réelles (Birkbeck et Lafree, 1993; Clarke et Cornish, 1987).

Dans un deuxième temps, cette étude a démontré que les stratégies que les automobilistes utilisent pour éviter la police sont plutôt efficaces, bien qu‟elles ne leur assurent pas une impunité totale. Ainsi, les participants les plus délinquants, même s‟ils utilisent plusieurs tactiques d‟évitement, sont à plus hauts risques d‟avoir reçu un constat d‟infraction. Or, parmi les participants qui ont effectivement reçu un constat d‟infraction, l‟utilisation de ces stratégies leur permet de retarder le moment où ils seront confrontés à nouveau aux autorités policières.

C‟est pourquoi ces stratégies n‟affectent pas la perception que les automobilistes se font de leurs risques de recevoir un constat d‟infraction. Tôt ou tard, ils seront punis et ils en sont conscients. Il est plausible que la fréquence élevée de leurs comportements délinquants les empêche d‟utiliser sans cesse ces tactiques pour contourner les autorités policières; certaines de ces stratégies étant peut-être moins utiles que d‟autres dans la vie de tous les

jours (Birkbeck et Lafree, 1993; Felson, 2002; LaFree et Birkbeck, 1991; Repetto, 1976). Une mauvaise stratégie ou la non-utilisation de stratégie lors d‟infractions de la route les mènerait donc à être punis éventuellement et n‟affectent ainsi pas particulièrement la perception qu‟ils se forgent de leurs risques d‟être arrêté.

Ce résultat peut aussi s‟interpréter par la notion de dissuasion limitée particulière, énoncée par Gibbs (1975) et Jacobs (1996) : les délinquants estiment que leurs risques de recevoir un constat d‟infraction sont élevés, mais, plutôt que d‟arrêter de commettre des infractions au CSR, développent des stratégies pour éviter la police. Ainsi, les stratégies qu‟ils utilisent leur évitent bon nombre de punitions, malgré qu‟ils demeurent à hauts risques d‟être appréhendé, en raison de la fréquence de leurs actes délinquants. En plus, lorsque les délinquants développent des stratégies pour éviter la police, ils profitent d‟avantage des opportunités criminelles qui s‟offrent à eux.

Ces résultats laissent tout de même supposer que les expériences punitives affectent aussi les délinquants. Les punitions ont donc un impact important sur les perceptions et les intentions criminelles, contrairement à ce que démontrent plusieurs auteurs (Fleiter et al., 2010; Fleiter et Watson, 2006; Freeman et Watson, 2006; Paternoster et Piquero, 1995; Piquero et Paternoster, 1998; Piquero et Pogarsky, 2002; Sitren et Aplegate, 2007; Watling et al., 2009). Puisque les événements rares sont plus marquants et qu‟ils reviennent plus facilement en mémoire que les événements communs (Erev et al., 2008; Slovic et al., 1980; Slovic et al., 1982; Tversky et Kahneman, 1974), les automobilistes les plus délinquants ont tendance à se rappeler les conséquences négatives des punitions qu‟ils ont subies plutôt que les avantages des stratégies qu‟ils utilisent pour éviter la police lors de l‟estimation de leurs risques d‟en recevoir une à nouveau.

Tout de même, face à ces punitions, plusieurs automobilistes développent des stratégies d‟évitement de la police, lesquelles augmentent la probabilité qu‟ils commettent à nouveau des infractions au CSR. Elles semblent donc utilisées dans un but certain, soit celui de profiter le plus possible des opportunités criminelles. Ainsi, ce constat appuie la proposition selon laquelle l‟impunité est une expérience recherchée et non pas une expérience routinière.

4.3.4 Expériences vicariantes, personnelles et processus d’apprentissage