• Aucun résultat trouvé

Vers une conceptualisation contextuelle de la théorie de la dissuasion

Chapitre 5 : Conclusion

5.4 Vers une conceptualisation contextuelle de la théorie de la dissuasion

À la lumière des résultats obtenus et des écrits antérieurs, une nouvelle conceptualisation de la théorie de la dissuasion est exposée dans cette section. Elle présente trois avantages. Premièrement, elle tient compte des conditions nécessaires à la production d‟effets dissuasifs détectables, c‟est-à-dire d‟une hausse relative et soutenue du risque d‟être arrêté (Ross, 1992). Deuxièmement, elle soulève l‟importance de prendre en considération les informations accessibles aux individus comme moyen de transmettre le message pénal

(Bentham, 1789/2011). Finalement, le nouvel énoncé prend en compte les autres effets produits par la peine, c‟est-à-dire les stratégies déployées par les délinquants pour éviter cette dernière (Tremblay, 2010), le processus éducatif qu‟elle engendre (Andenaes, 1974; Andenaes, 1978; Blais et Beaudoin, 2008; Gibbs, 1975), ainsi que les remords et la honte qu‟elle génère (Grasmick et Bursik, 1990; Grasmick et al., 1993).

En s‟inspirant de la conceptualisation de Stafford et Warr (1993), le modèle de la théorie énoncée est dépeint par les figures 8 et 9. Pour simplifier la lecture, certaines relations ont été omises volontairement. Leur importance et leur interprétation ont principalement été discutées précédemment, dans le Chapitre 4.

Afin de produire davantage d‟effets dissuasifs et de faire diminuer la fréquence des comportements délinquants, il est nécessaire d‟augmenter de façon substantielle le nombre de constats d‟infraction émis et, ce, sur une longue période de temps. Cette condition est essentielle pour que le message pénal soit crédible aux yeux des délinquants et des délinquants potentiels. Les automobilistes seront ainsi exposés à plus de stimuli dissuasifs (liens « 1 »).

Suite à une hausse de la répression policière, les délinquants et délinquants potentiels observeront donc plus de stimuli dissuasifs et seront plus susceptibles d‟être arrêté (liens « 1 »). Dans ce contexte, trois processus s‟opèrent en fonction des expériences des automobilistes. Le premier processus (liens « 2 ») s‟applique à ceux qui commettent peu de délits de la route, qui n‟ont jamais vécu personnellement d‟expérience punitive formelle, mais qui sont exposés à des stimuli dissuasifs. Ces individus en viendront à être sensibilisés aux problèmes de sécurité routière, directement ou indirectement, via les punitions informelles, ce qui aura deux conséquences. D‟une part, ils reverront à la baisse

Expériences personnelles Punitions formelles Stimuli dissuasifs Perception de la gravité de l’infraction Perception des risques d’arrestation Intentions délinquantes Risque relatif 1-2-3 (+) Punitions informelles 1-2-3 (+) 1-3 (+) 2 (-) 2-3 (+) 2-3 (+ -) 3 (+) 3 (+) 3 (+) 3 (+) 2-3 (+) 2 (+) 3 (+) 2 (+)

Figure 8. Modèle théorique final (1) Relation directe Relation conditionnelle

1 = Processus dissuasifs qui découlent d’une augmentation du risque relatif 2 = Processus dissuasif général

leurs intentions délinquantes. D‟autre part, ils réviseront à la hausse leur perception des risques d‟être arrêté, laquelle fait diminuer les intentions délinquantes, mais à partir d‟un certain seuil seulement. Les stimuli dans l‟environnement ont donc des effets dissuasifs indirects sur les intentions, c‟est- à-dire que leurs effets passent, d‟abord, par les perceptions.

Le deuxième processus (Liens « 3 ») s‟applique à ceux qui ont reçu un constat d‟infraction. Cette expérience punitive a fait en sorte que les stimuli dissuasifs sont devenus crédibles et la menace de la peine concrète. Ces délinquants, s‟ils sont exposés à nouveau à des stimuli dissuasifs, réviseront à la hausse la perception qu‟ils se font de leurs risques d‟être arrêté. En plus, si le rapport entre le coût du constat d‟infraction reçu et leur revenu annuel est bas, ils vivront des remords, lesquels engendreront une hausse de la gravité perçue des délits et, ainsi, une hausse de la perception qu‟ils se font des risques d‟arrestation qu‟ils courent. Parmi ce même groupe, ceux qui jugent que ce risque est trop élevé réviseront, finalement, leurs intentions délinquantes à la baisse.

Ces deux processus (liens « 2 » et « 3 ») sont aussi caractérisés par des effets autres que dissuasifs. Les stimuli amèneront les gens à penser que leur entourage aura une moins bonne opinion d‟eux et davantage de remords. Ces hausses se traduiront ensuite par une augmentation de la gravité perçue des délits et les effets à la baisse sur les intentions délinquantes suivront leur cours.

Le troisième et dernier processus concerne les individus qui commettent fréquemment des délits de la route (Figure 9). Ces automobilistes proviennent d‟un environnement délinquant (1er lien) et ne craindront donc pas que leurs pairs changent d‟opinion en apprenant qu‟ils commettent des infractions au CSR (2ième lien). Ils ne vivront pas non plus de remords s‟ils passent à l‟action

(2ième lien), ce qui s‟explique par le fait qu‟ils ne considèrent pas que les délits de la route sont graves (3ième lien). Même si leurs risques d‟être puni sont plus élevés que ceux des automobilistes plus conformistes (4ième lien), la majorité d‟entre eux ne le sera pas, principalement en raison des stratégies qu‟ils développeront pour éviter la police (5ième et 6ième liens). Ceux qui auront la malchance de l‟être en imagineront alors de nouvelles (6ième lien). L‟impunité qu‟ils vivront n‟influencera par contre pas directement la perception qu‟ils se feront de leurs risques d‟être arrêté; ils en seront conscients et les évalueront comme étant assez élevés (7ième lien), mais ils considéreront que le jeu en vaut la chandelle; la probabilité qu‟ils commettront à nouveau des infractions au CSR sera très élevée (8ième lien), d‟autant plus s‟ils utilisent des stratégies pour éviter la police (9ième lien)31.

Ainsi, cet énoncé de la théorie de la dissuasion, de même que les résultats de cette thèse, soutiennent la conceptualisation de Stafford et Warr (1993). Selon eux, la dissuasion générale fait référence aux expériences vicariantes de punition et d‟impunité et s‟adresse donc principalement à ceux qui vivent peu d‟expériences personnelles. Ce cas est clairement illustré dans le premier processus exposé précédemment. Les deuxième et troisième processus réfèrent, quant à eux, à la dissuasion spécifique, c‟est-à-dire qu‟ils s‟appliquent aux individus délinquants qui ont vécu des expériences de punition ou d‟impunité, ou les deux.

31 Les relations dont il a été question précédemment dans la Figure 8 ont été

omises volontairement dans la Figure 9 afin de l‟alléger et de faciliter la visualisation du processus délinquant. Cependant, le sens des relations demeurent les mêmes que pour le premier processus présentés à la Figure 8. Par exemple, le remords que vivent les automobilistes influence positivement la perception qu‟ils se font de la gravité des délits, mais les individus dont il est question dans la Figure 9 vivent moins de remords et, aussi, perçoivent que les délits qu‟ils commettent sont moins graves.

Perception de la gravité de l’infraction Stratégies personnelles d’évitement de la police Délinquance Perception des risques d’arrestation Exp. Perso. punitions informelles Exp. Perso. punitions formelles Pairs

délinquants délinquantesIntentions

1 (+) 2 (-) 3 (-) 4 (+) 5 (+) 6 (+-) 7 (+) 8 (+-) 9 (+)