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Effets éducatifs et dissuasifs des expériences vicariantes et personnelles

Chapitre 4 : L’étude perceptuelle

4.2 Résultats

4.2.4 Effets éducatifs et dissuasifs des expériences vicariantes et personnelles

Tel qu‟il a été proposé dans cette thèse, les expériences vicariantes, dont les stimuli dissuasifs, peuvent présenter des effets complémentaires à la dissuasion. Le message pénal qu‟elles envoient peut sensibiliser ou éduquer la population (Andenaes, 1966; Andenaes, 1978). Les prochaines sections présentent donc les divers effets que génèrent les expériences vicariantes et personnelles sur les perceptions des automobilistes, de même que sur leurs intentions délinquantes. Ces dernières analyses permettront de différencier les effets éducatifs, des effets dissuasifs et expérientiels.

Les effets des diverses expériences sur les perceptions. Les expériences vicariantes

présentent principalement des effets éducatifs sur les automobilistes. Les stimuli

29 La sévérité des peines qu‟ont reçu certains automobilistes n‟influençait pas du tout la

crainte que leurs pairs changent leur opinion d‟eux en apprenant qu‟ils commettent des infractions au CSR (Annexe 4 : Beta = -0,110, p = 0,345 [n = 80]).

Tableau XV. Résultats des analyses de régressions linéaires : effets des expériences vicariantes et personnelles sur le jugement de la gravité des délits (n = 413)

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3

b beta sig B beta sig b beta sig

Expériences personnelles

Remords 0,143 0,160 0,001 -- -- -- 0,144 0,162 0,000

Crainte d‟un changement d‟opinion des pairs 0,257 0,301 0,000 -- -- -- 0,237 0,278 0,000

Constat d‟infraction (1 = oui) 0,099 0,067 0,160 -- -- -- 0,081 0,054 0,249

Nombre de stratégies d‟évitement personnelles utilises -0,049 -0,100 0,047 -- -- -- -0,029 -0,060 0,290

Nombre de jours d‟infractions au CSR -0,001 -0,109 0,033 -- -- -- -0,001 -0,129 0,014

Expériences vicariantes

Nombre de stimuli dissuasifs observés -- -- -- 0,067 0,150 0,002 0,067 0,149 0,001

Proportion de pairs qui utilisent des stratégies d‟évitement de la police -- -- -- -0,006 -0,147 0,010 -0,004 -0,089 0,133

Proportion de pairs délinquants -- -- -- -0,004 -0,113 0,042 -0,001 -0,039 0,447

Constat d‟infraction (1 = oui) -- -- -- -0,050 -0,040 0,408 -0,037 -0,030 0,501

Variables contrôles

Âge 0,012 0,068 0,148 0,010 0,055 0,278 0,009 0,051 0,278

Sexe (1 = féminin) 0,183 0,154 0,001 0,174 0,147 0,004 0,166 0,140 0,003

Échelle de faible maîtrise de soi -0,107 -0,112 0,016 -0,112 -0,118 0,015 -0,100 -0,105 0,023

Constante 2,512 0,000 3,490 0,000 2,581 0,000

R2 0,255*** 0,118*** 0,282***

dissuasifs dans l‟environnement influencent effectivement le jugement qu‟ont les automobilistes de la gravité des problèmes de délinquance routière (Tableau XV) : plus ils observent d‟opérations policières, plus ils considèrent les infractions au CSR comme étant graves (Modèle 3 : Beta = 0,149, p≤0,001). Par contre, les pairs délinquants n‟ont aucun effet direct significatif sur ce jugement (Modèle 3). Bien qu‟elles expliquent à elles seules 11,8% de la variance du jugement de la gravité des délits, l‟apport des expériences vicariantes est tout de même relativement mineur. Effectivement, les expériences qu‟ont vécues personnellement les automobilistes expliquent plus du quart de la variance (25,5%). Elles présentent donc les effets les plus importants.

Ces expériences ont des effets diversifiés sur les jugements qu‟ont les automobilistes de la gravité des délits de la route (Tableau XV, Modèle 3). D‟un côté, les participants qui vivent des expériences punitives informelles jugent que les délits de la route sont graves. Tant les remords qu‟ils ressentent lorsqu‟ils commettent des infractions au CSR (Beta = 0,162, p≤0,001) que la crainte que leurs pairs changent d‟opinion à leur propos en apprenant la fréquence à laquelle ils font ces délits (Beta = 0,278, p≤0,001) font augmenter ce jugement. D‟un autre côté, les délinquants semblent toutefois toujours inatteignables. Ceux qui ont la fréquence de délits la plus élevée (Beta = -0,129, p≤0,05) et ceux qui ont une faible maîtrise d‟eux (Beta = -0,105, p≤0,05) considèrent que les infractions au CSR ne sont pas vraiment graves. Les analyses réalisées avec le sous- groupe d‟automobilistes qui ont reçu au moins un constat d‟infraction démontrent que la sévérité de ces constats ne présente pas d‟effet significatif sur ce jugement (Annexe 4 : beta = -0,037; p = 0,730 [n = 79]).

De façon similaire, les expériences personnelles présentent des effets plus marqués sur la perception des risques de recevoir un constat d‟infraction (Tableau XVI, Modèle 2 : R2 = 0,083, p≤0,001) que les expériences vicariantes (Modèle 3 : R2 = 0,060, p≤0,001). Les punitions informelles, plus spécifiquement les remords que vivent les automobilistes lorsqu‟ils effectuent une infraction au CSR, font augmenter la perception des risques d‟être arrêté (Modèle 4 : Beta = 0,112, p≤0,05). Plus les individus ressentent de

remords, plus ils perçoivent que leurs risques de recevoir un constat d‟infraction sont élevés. Ce résultat confirme l‟importance d‟évaluer les effets des expériences de punitions informelles dans l‟étude de la théorie de la dissuasion, principalement dans un échantillon normatif (Pogarsky, 2002). De plus, il s‟avère tout aussi important de s‟y attarder chez les délinquants puisque ceux qui ont été punis sévèrement par rapport à leur revenu annuel développent également des remords. Pour ceux-ci, le fait d‟avoir reçu un constat d‟infraction génère donc, de façon indirecte, des effets dissuasifs en augmentant d‟abord les remords qu‟ils vivent.

Les expériences punitives informelles sont d‟autant plus importantes dans l‟étude de la théorie de la dissuasion qu‟elles affectent particulièrement le jugement de la gravité des délits qui, à son tour, fait augmenter la perception que se font les automobilistes de leurs risques d‟être arrêté (Tableau XVI, Modèle 4 : Beta = 0,133, p≤0,01). Tel qu‟il était proposé dans cette thèse, les autorités transmettent donc le message que certains délits sont graves, que les policiers s‟attardent à punir ceux qui les commettent et, qu‟ainsi, le risque d‟être arrêté est plus élevé.

Les automobilistes les plus délinquants conçoivent, eux aussi, que leurs risques d‟être arrêté sont particulièrement élevés (Tableau XVI, Modèle 4 : Beta = 0,166, p≤0,01). Ce résultat confirme que les délinquants sont plutôt réalistes et qu‟ils estiment qu‟en commettant des infractions au CSR ils se mettent effectivement à risque d‟être punis. C‟est donc dire qu‟ils agissent en toute connaissance de cause.

Par contre, contrairement à ce qu‟il est présumé dans cette thèse, les stratégies d‟évitement qu‟utilisent les participants ne diminuent pas la perception qu‟ils se font de leurs risques d‟arrestation (Tableau XVI, Modèle 4 : Beta = 0,051, p = 0,427). Ces résultats laissent supposer que les automobilistes qui les emploient ne sont pas constamment en alerte ou encore qu‟ils sont conscients que ces stratégies ne sont pas infaillibles. Elles retardent le moment où ils seront confrontés aux autorités policières,

Tableau XVI. Les effets des expériences et du jugement de la gravité des délits routiers sur la perception des risques d‟avoir un constat d‟infraction (n = 410)

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4

B beta Sig b beta sig b beta Sig b beta Sig

Jugement de la gravité des délits 0,112 0,111 0,027 -- -- -- -- -- -- 0,134 0,133 0,018

Expériences personnelles

Remords -- -- -- 0,125 0,138 0,007 -- -- -- 0,101 0,112 0,032

Crainte d‟un changement d‟opinion des pairs -- -- -- 0,024 0,027 0,592 -- -- -- -0,021 -0,024 0,655

Constats d‟infraction (1 = oui) -- -- -- 0,015 0,010 0,855 -- -- -- -0,008 -0,006 0,916

Nombre de stratégies d‟évitement de la police utilisées -- -- -- 0,035 0,071 0,204 -- -- -- 0,025 0,051 0,427

Nombre de jours d‟infractions au CSR -- -- -- 0,002 0,152 0,008 -- -- -- 0,002 0,166 0,005

Expériences vicariantes

Nombre de stimuli dissuasifs observés -- -- -- -- -- -- 0,045 0,099 0,047 0,018 0,040 0,434

Proportion de pairs qui utilisent des stratégies d‟évitement de la police -- -- -- -- -- -- 0,005 0,115 0,051 0,003 0,078 0,244

Proportion de pairs délinquants -- -- -- -- -- -- -0,003 -0,081 0,160 -0,003 -0,077 0,186

Constat d‟infraction (1 = oui) -- -- -- -- -- -- -0,005 -0,004 0,936 -0,005 -0,004 0,942

Variables contrôles

Âge -0,010 -0,052 0,318 -0,005 0,029 0,573 -0,005 -0,026 0,620 -0,006 -0,033 0,527

Sexe (1 = féminin) -0,148 -0,123 0,020 -0,146 -0,122 0,020 -0,136 -0,113 0,034 -0,180 -0,149 0,006

Échelle de faible maîtrise de soi 0,165 0,172 0,001 0,099 0,104 0,046 0,135 0,141 0,005 0,121 0,126 0,016

Constante 1,456 0,000 1,382 0,000 1,702 0,000 1,053 0,002

R2 0,050*** 0,083*** 0,060*** 0,103***

mais n‟assurent pas une impunité totale. Les expériences punitives vécues personnellement ne parviennent pas non plus à faire augmenter la perception que se font les participants de leurs risques de recevoir un constat d‟infraction. En effet, ces punitions n‟ont que peu d‟impact sur l‟estimation que les automobilistes effectuent. Comparativement à toutes les expériences d‟impunité vécues, ni le fait d‟avoir reçu un constat d‟infraction (Beta = -0,006, p = 0,916), ni la crainte d‟un changement d‟opinion de l‟entourage (Beta = -0,024, p = 0,655) ne font le poids.

Toutefois, le fait d‟avoir reçu un constat d‟infraction engendre certains effets dissuasifs. Dans le sous-groupe de participants qui en ont reçu un, les résultats sont différents. Les variables du modèle expliquent beaucoup mieux la variance de la perception des risques de recevoir un constat d‟infraction que dans l‟échantillon complet (Annexe 4 : R2 = 0,275, p≤0,05 [n = 78]). Cette perception dépend principalement des remords que les répondants vivent lorsqu‟ils commettent des infractions (Beta = 0,407, p = 0,001), du coût du ou des constats d‟infractions reçus par rapport à leur salaire annuel (Beta = 0,219, p = 0,051) et des stimuli dissuasifs qu‟ils observent sur la route (Beta = 0,195, p = 0,076). Contrairement à l‟ensemble de l‟échantillon, la perception des risques d‟être arrêté de ceux qui ont déjà eu un constat d‟infraction n‟est pas du tout influencée par le jugement qu‟ils ont de la gravité des délits routiers (Beta = 0,131, p = 0,311). L‟estimation que les participants font de leurs risques dépend donc d‟éléments tout à fait différents, selon qu‟ils aient ou non été punis par les autorités policières.

Ainsi, ce ne sont pas tant les expériences punitives qui permettent aux délinquants d‟estimer leurs risques d‟être arrêté que les conséquences qu‟elles ont engendrées chez certains. D‟un côté, les remords que provoque une peine sévère par rapport au revenu annuel amènent les individus à considérer que les délits de la route sont plus graves. D‟un autre côté, la punition rend le message pénal plus concret. C‟est pourquoi, à la vue de stimuli dissuasifs, ceux qui ont reçu un constat d‟infraction considèrent que leurs risques d‟être puni sont élevés. Les opérations policières deviennent donc assez menaçantes pour que ces individus estiment qu‟ils sont à risque de recevoir un constat

d‟infraction. Cette relation explique mieux pourquoi ces automobilistes punis emploient plus de stratégies pour éviter la police.