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E. Reconfiguration organisationnelle et éditoriale (1980 – 1982)

3. Excursus: vers la fusion KO/SP

Comme nous l'avons brièvement esquissé, contact a été pris à la suite des élections fédérales de 1979 avec les sections socialistes du Haut-Valais, notamment en vue des échéances suivantes, à savoir les élections communales de décembre 1980 et les élections cantonales de mars 1981. Si une description détaillée du processus menant à l'unification de la gauche haut-valaisanne (qui comprend en plus du KO et des sections socialistes du Haut-Valais, des « Unabhängige » non affiliés) au sein d'un seul parti – très intéressant en soi puisqu'il prend place à un moment particulier de l'évolution du PSS et qu'il met en lumière la capacité de celui-ci à intégrer une tendance qui s'était constituée de manière

809 INFO-Intern 7/80, p. 6 – 7, « Protokoll der Vorstandssitzung », 28.10.1980. 810 « Schweigen ist Quecksilber », RA 47, 28.11.1980, p. 18.

811 Egger, A.M.; Zen Ruffinen, H.P., « Krasse Irreführung », WB du 03.12.1980, p. 19.

812 Bodenmann, Peter, « So leicht sägt man der " Roten Anneliese " die Hosen nicht ab! », WB du 04.12.1980, p. 11.

813 Entretien mené le 15.12.2016 avec Frank Garbely. Nous ne pouvons que regretter que Bodenmann n'ait pas donné suite à

exogène, de même que cette problématique pourrait être appréhendée comme l'expression de certaines tendances régionalistes spécifiquement haut-valaisannes – dépasserait le cadre de ce travail, nous nous concentrerons d'en esquisser rapidement les enjeux. Si les discussions tournent au départ autour de la question du mode électoral, les choses changent en été, puisqu'en juillet 1980, Bodenmann rédige un document de discussion – publié dans l'INFO puis diffusé dans le Haut-Valais – dont le propos est de servir de base de réflexion en vue d'une unification de la gauche dans le Haut- Valais. Analysant la situation politique dans le Haut-Valais, il estime que la gauche est parvenue à faire éclater le monopole des partis C sinon sur les institutions politiques au moins dans les représentations symboliques de la population – ce dont a électoralement pu profiter le FDPO. D'autre part, si le KO est parvenu à imprégner le paysage politique haut-valaisan, il n'a pas su faire le pas vers une organisation de masse, tandis que les socialistes se sont montrés trop peu actifs tout en récoltant les fruits de l'activisme koïste. Il en conclut que la situation est telle que le Haut-Valais est politiquement en mutation et qu'il s'agit d'en profiter en créant des structures politiques adaptées, sous peine de voir les Radicaux couper l'herbe sous les pieds de la gauche. C'est pourquoi il propose la convergence de socialistes et koïstes dans un nouveau parti, intitulé SOPO, indépendant du PSV et doté de structures propres – analogue au statut particulier du Parti socialiste jurassien et sans obligation d'appartenance au PSS. Exposant par la suite ses conceptions sur les aspects organisationnels, il prévoit la création d'une fondation de soutien pour le journal – et la petite imprimerie – qui serait certes indépendant mais dans lequel le nouveau parti aurait entre deux et quatre pages à sa disposition. En ce qui concerne plus spécifiquement le journal, il estime qu'un maintien des cotisations importantes est indispensable, de même qu'il envisage la possibilité de recourir à la publicité et d'augmenter les prix tant du numéro que de l'abonnement, dans la mesure où pour lui, le renforcement de la RA est une condition nécessaire pour envisager des progrès ultérieurs de la gauche. Remarquons qu'il ne s'agit pas d'une simple réflexion étudiant les conditions de possibilité de création d'un tel parti, puisqu'il fixe un plan de marche relativement serré – le congrès de fondation est prévu pour les 20 et 21 septembre – son idée étant que ce parti puisse déjà participer aux élections communales de décembre 1980.814 En interne, on considère que le SOPO est une

nécessité, en raison de la résignation toujours plus grande des militants.815

Si les sections socialistes de Naters, Brigue et Viège se prononcent rapidement en faveur d'une telle unification, les résistances viennent principalement des comités du PSV et du PSS, qui s'opposent à l'existence deux partis socialistes au sein d'un même canton, car antistatutaire. Lors d'une réunion entre koïstes, socialistes et « Unabhängige », les socialistes estiment que le comité cantonal joue la

814 INFO-Intern 5/80, p. 2 – 17, « Diskussionspapier betreffend die Situation der Oberwalliser Linken und die Möglichkeit

der Gründung einer neuen Partei, der sozialistischen Partei Oberwallis (SOPO) ».

montre et qu'il est opposé au SOPO, non pour des raisons politiques816 mais internes (il craint la perte

de sections et de membres ainsi qu'un noyautage du SOPO par le KO).817 Le KO estime également

que l'aile droite du PSV, qui contrôle le PV, attribue la responsabilité de l'échec subi aux élections fédérales de 1979 à l'apparentement avec le KO et le MSI et conclut que « ihre Wahlanalysen sind offen KO-feindlich ».818 En parallèle à ces négociations, KO et SPO décident de faire liste commune

pour les élections communales de Brigue-Glis et Naters, et la RA 47 publie une plateforme électorale commune de douze pages, contenant les principaux accents de la politique de gauche envisagée et dans laquelle les deux entités annoncent vouloir fonder d'ici aux élections cantonales un parti unifié qui puisse servir de contre-poids aux trois partis de droite du Haut-Valais.819 Comme les discussions –

parfois houleuses820 – traînent en longueur et que le but affiché de fonder le nouveau parti avant les

élections de décembre 1980 n'a pu être atteint, l'exaspération et la grogne monte dans les rangs koïstes. Ceux-ci estiment en effet avoir suffisamment démontré leur disposition au compromis par l'acceptation du « Jura-Statut » et lors d'une séance réunissant le KO, des indépendants, les sections de Naters, Brigue-Glis et Viège et le comité directeur du PSV, Bodenmann souligne avec fermeté que le SOPO tel qu'il est envisagé, c'est-à-dire sur la base d'une appartenance au PSS, est un grand pas fait par le KO en direction d'un compromis et que celui-ci ne fera plus de concessions.821 D'autre part, des

informations sur les négociations commencent à être rendues publiques dans la presse, comme en témoignent deux articles parus le même jour dans la TLM et le WB822, auxquels socialistes et koïstes

répondent par un communiqué expliquant que le nouveau parti ne pourra être fondé avant les élections cantonales.823 Suite à une réunion entre koïstes et indépendants lors de laquelle s'exprime un

certain ras-le-bol face aux réticences du PSS et du PSV, le KO – qui a en parallèle repris une partie de ses activités, ne pouvant se permettre d'investir davantage d'énergie dans un projet qui pourrait ne pas voir le jour – envoie une lettre aux instances dirigeantes du PSV et du PSS le 30 mars 1981 dans laquelle il rappelle la chronologie des négociations depuis juillet 1980, ainsi que les concessions faites par le KO, et déclare ne plus transiger sur sa dernière proposition.824

816 Ajoutons néanmoins que le PSV se montre relativement critique vis-à-vis du KO et de son journal. Au sujet de la RA,

Alfred Rey écrit dans le PV – se référant à un article du WB qui se demande si l'organe socialiste ne devrait pas ressembler à la RA qualifiée de « Blick politique local » – « Seulement voilà, l'auteur de l'article cité ne s'est jamais demandé pourquoi il n'y a pas en Suisse romande de journal tel que le " Blick ". Sans mépriser personne, il semble qu'en Suisse romande, ce genre de niveau ne convient pas. » Remarquons qu'Alfred Rey est né en 1907 et qu'il a donc pratiquement 50 ans de plus que la majorité des koïstes. « Lu pour vous », PV du 10.10.1980, p. 6.

817 INFO-Intern 6/80, p. 11, « Sitzung vom 12.10. im KO-Büro ».

818 Archives SPO, Classeur « SOPO », « Kommentar zu den Nationalratswahlen », sans date. 819 « Wahlplattform '80 », RA 47, 28.11.1980, p. 5 – 16.

820 Ainsi, suite à un malentendu, les déléguées du KO sont pratiquement « chassés » d'une réunion entre les sections haut-

valaisannes et des délégués du comité cantonal du PSV.

821 INFO-Intern 1/81, p. 9, « BERICHT der an der Vollversammlung vom 03. Januar 1981 eingesetzten Gruppe I, die

nochmals mit der SP die Verhandlungen aufnehmen sollte ».

822 Varone, Liliane, « Haut-Valais: Un pas vers l'union de la gauche », TLM du 16.10.1980, p. 5; Theler, Luzius,

« Schulterschluss der Oberwalliser Linken ? », WB du 16.10.1980, p. 11.

823 Sozialdemokraten Oberwallis; KO, « Stellungnahme von SP und KO », WB du 23.10.1980, p. 9.

Cette période d'incertitude renforce les tensions au sein du KO, et lors de la discussion autour des candidats koïstes pour les élections communales de décembre 1980, Bodenmann s'emporte contre les faibles dispositions des autres militants à intégrer la liste électorale. De plus, il estime qu'il s'agit d'un moment charnière, car en cas de bon résultat du candidat socialiste dissident – le conseiller communal socialiste de Brigue-Glis Moritz Lagger refuse l'union avec le KO – ceci pourrait être interprété par les instances dirigeantes du PSV et du PSS comme le désaveu du rapprochement KO/SP par la base électorale du parti socialiste et renforcer ces instances dans leur opposition à la fusion. Puis la discussion semble s'envenimer, le procès-verbal relate: « Nach einem kurzen hitzigen " Wortgefecht " verlässt [Peter Bodenmann] demonstrativ den Saal, weil er sich nicht bürgerliche Politik vorwerfen lasse, von Leuten, die selber nicht bereit sind politische " Opfer " auf sich zu nehmen. »825

Finalement, les souhaits de Bodenmann ne seront que partiellement réalisés, puisque si Peter Volken à Viège et Edgar Salzmann à Naters intègrent la liste commune SP/KO, Bodenmann est le seul candidat koïste sur la liste briguoise, ce qui ne l'empêchera pas d'être réélu.

Le mécontentement se fait également sentir chez les socialistes du Haut qui refusent une proposition du PSV parce qu'elle ne tient compte d'aucune de leurs revendications826 – revendications basées sur

cinq constats; (1) le parallélisme existant entre deux partis dans le Haut-Valais est un frein à la percée de la gauche; (2) la nouvelle situation politique du Haut-Valais (apparition des Radicaux) renforce l'idée d'une unification, et par l'acceptation de l'adhésion au PSS de la part du KO, la disposition à mener une politique dans le cadre traditionnel du PSS est suffisamment démontrée; (3) les socialistes du Haut jouent le rôle de parent pauvre dans le PSV et sont traités avec condescendance par leurs homologues du Bas; (4) nécessité d'une régionalisation de la politique socialiste en raison de la diversité de la situation politique et économique dans les deux parties du canton; (5) les partis bourgeois ont compris depuis longtemps qu'il était préférable d'accorder une autonomie aux Haut- valaisans. Et de conclure en rejetant la responsabilité d'un potentiel échec des négociations, dont les conséquences seraient imprévisibles pour le Haut-Valais.827 Le quatrième point de ce constat renvoie

notamment à la question du tunnel du Rawyl qui constitue un point de friction entre militants du Haut, qui ont changé leur opinion sur ce point, et du Bas-Valais. D'ailleurs, à ce propos, le président du PSV, Germain Varone, déclare à 24 Heures qu'« avant d'être de gauche, le KO est haut-valaisan, il pratique une politique strictement haut-valaisanne », préférant passer sous silence l'opposition des

propre parti; (3) les cotisations financières du SOPO resteront pendant x années dans le Haut-Valais; (4) adoption de la structure du SOPO avec sections locales, comité haut-valaisan et groupes de travail.

825 INFO-Intern 8/80, p. 4 – 5, « Protokoll der KO-Versammlung vom 22.11.1980 ».

826 (1) le nouveau parti obtient le statut de parti cantonal; (2) le parti se dote d'une structure organisationnelle adaptée à ses

besoins; (3) les militants demeurent membres du PSS; (4) constitution d'un organe consultatif pour les relations entre le parti haut-valaisan et le PSV; (5) les cotisations des membres du parti haut-valaisan demeurent dans le Haut-Valais pendant les cinq années suivant la création du nouveau parti.

827 INFO-Intern 3/81, p. 12 – 13, « Stellungsnahme der SPO zum Vereinbarungsentwurf der SP Wallis vom 27. April 1981 »,

socialistes du Haut au tunnel du Rawyl. Il rappelle aussi la violente critique de la politique fiscale du conseiller fédéral socialiste Ritschard dans la RA.828

Le bras de fer se poursuit puisqu'en octobre, les socialistes du Haut réitèrent leurs exigences et annoncent prendre des mesures concernant leur participation à la politique cantonale tant que le PSV et le PSS poursuivent leur tactique d'obstruction.829 Notons que le KO voit tout de même un avantage

à l'attitude des deux instances dirigeantes, dans le mesure où des personnes qui n'étaient pas prêtes à fonder un nouveau parti sans la bénédiction de ces deux institutions ont retourné leur veste suite à ces atermoiements.830 Entre-deux, la RA 52/53 (septembre 1981) avait publié l'interview de Chappaz dans laquelle il se montrait très critique vis-à-vis du PSV qu'il accuse d'être trop électoraliste et exprimait son souhait de voir les socialistes du Haut être autonomes de la « bande » du Bas.831 Cet entretien a semble-t-il obtenu un large écho dans la presse alémanique – « Vom " Tagesanzeiger " bis zur " Tagwacht " erschienen Ausschnitte und Kommentare »832 – et le KO estime que les prises de

position de Chappaz et du SPO ont eu une influence sur l'opinion du comité du PSS, puisque suite à une entrevue entre KO/SP d'un côté et Peter Graf, secrétaire du PSS, de l'autre, le PSS est prêt à accepter l'idée d'un parti autonome lié au PSS mais doté de son propre nom et de ses propres structures, et à faire pression sur le PSV.833 Finalement, le congrès extraordinaire du PSV du 16 avril

1982 suit la recommandation du PSS et du comité cantonal du PSV d'accepter la convention avec les Haut-valaisans, non sans quelques protestations,834 et le SOPO835 sera officiellement fondé à la date

symbolique du 1er mai 1982 à Brigue, après quasiment deux ans de négociations, de discussions et de coups de gueule. Pour comprendre le sentiment d'urgence animant les Haut-valaisans, il faut encore remarquer que les élections communales de 1980 et cantonales de 1981 – pour lesquelles koïstes, socialistes et indépendants ont fait liste commune – ont provoqué d'amères déceptions dans les rangs

828 Pichard, Alain, « A quand deux partis socialistes ? Le Rawyl comme révélateur », 24 Heures du 24.09.1981, p. 8;

« Ritschard oder der Kampf für das bürgerliche Sparpaket », RA 40, 28.02.1980, p. 12.

829 Ils décident de ne plus verser les cotisations au PSV, de ne plus envoyer de délégués aux réunions du comité ( Vorstand) et

du comité directeur (Geschäftsleitung) et de ne plus participer aux congrès du PSV. INFO-Intern 4/81, p. 2 – 6, Lettre du 23.10.1981, « Stellungsnahme der Oberwalliser SP-Sektionen i.S. SPO/KO – SP Wallis (SPW) – SP Schweiz (SPS) ». Lettre signée par tous les présidents et certains élus des sections haut-valaisannes.

830 INFO-Intern 5/81, p. 2 – 9, « Generalversammlung vom 7. November 1981 ».

831 La rédaction de la RA ajoute un commentaire où il est précisé qu'on a longtemps hésité avant de publier cette interview,

« denn der politische Gegner zur Rechten hat nichts lieber als wenn sich die Linke in die Haare gerät », et expose l'état actuel des négociations. On peut légitimement penser qu'il s'agit aussi de mettre la pression sur le PSV. « Maurice Chappaz zur Walliser Politik », RA 52/53, 02.09.1981, p. 4 – 5.

832 « Chappaz in China », RA 52/53, 02.12.1981, p. 6.

833 INFO-Intern 5/81, p. 10 – 11, « Zur Entwicklung des Verhältnisses SP-KO », à dater de la fin 1981.

834 Le PV du 2 avril et du 9 avril 1982 publient des articles accusant à demi-mot le comité directeur du PSV de se soumettre

au chantage des Haut-Valaisans et dénonçant le manque d'information au militants de base. Evéquoz, Grégoire, « 16 avril: un congrès fantôme », PV du 02.04.1982, p. 3; « Congrès extraordinaire du PSV: le droit à l'information », PV du 09.04.1982.

835 On remarque que le choix de cet acronyme vise à montrer qu'il s'agit d'un parti nouveau (les sections socialistes étaient

souvent désignées par SPO), de même que contrairement à l'ensemble des partis alémaniques affiliés au PSS, il se dit « sozialistisch » et non « sozialdemokratisch », indiquant un positionnement sur l'aile gauche du PSS.

de la gauche haut-valaisanne.836

4. Une page se tourne: la RA devient autonome