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Bilan intermédiaire et destin des autres revues alternatives alpines

E. Reconfiguration organisationnelle et éditoriale (1980 – 1982)

6. Bilan intermédiaire et destin des autres revues alternatives alpines

A la lumière des éléments présentés dans ce chapitre, on remarque que l'indépendance ou l'autonomie de la RA est le fruit de plusieurs évolutions, tant sur les plans politique, organisationnel que médiatique. En effet, les élections fédérales de 1979 exercent une influence sur la nouvelle image que le KO veut diffuser, moins axée sur les polémiques et davantage sur les propositions concrètes, et débouchent sur une remise en question tant de l'organisation que de la stratégie politique à adopter, à la fois par rapport à la gauche et à la droite. De même, ces élections poussent le KO à se mettre à la recherche d'un nouvel imprimeur, à la fois pour des raisons économiques et de réactivité. Les élections communales de 1980 affectent également l'organisation du KO, toujours plus convaincu de

la nécessité d'une unification de la gauche haut-valaisanne, ce qui se répercute sur la RA, puisque suite à la résiliation du contrat de Garbely qui déplore que les aspects de politique partisane déteignent sur la revue, la rédaction est formée par une majorité de non-koïstes. D'autre part, poursuivant une tendance amorcée au milieu des années 1970, l'embauche de Garbely constitue une nouvelle étape dans la professionnalisation de la revue, illustrée également par le soin accordé à la recherche du nouvel imprimeur. Cette embauche coïncide avec une ouverture de la revue, revendiquée par le journaliste et soutenue par une partie au moins des militants du KO, ouverture elle-même corollaire à la décision du KO d'offrir un nouveau vernis à son image. Elle coïncide également avec une inclination toujours plus prononcée pour le journalisme d'investigation, par un travail de recherche et d'enquête approfondi, lequel permet également de se détacher du format tabloïd tel qu'il a été présenté dans la partie D.8.5. Journalisme d'investigation qui se profilera toujours davantage comme la principale marque de fabrique de la RA. Les articles sont plus longs, plus fouillés, la contextualisation est plus poussée, sans que les aspects humoristiques et polémiques ne disparaissent pour autant. L'habillage de la revue et sa mise en page, préoccupation désormais relativement ancienne, constituent toujours un sujet important, dans la mesure où il s'agit d'articuler informations critiques et plaisir de la lecture avec la volonté de pousser les lecteurs sinon à s'investir eux-mêmes sur le plan politique et/ou associatif, du moins de les convaincre du bien-fondé d'une opposition de gauche la plus forte possible.

La revue joue également un rôle prépondérant dans les négociations, qui s'étalent sur plus de deux ans, à propos de la fusion du KO avec les sociaux-démocrates et les indépendants. D'une part, elle est intégrée dans les discussions que mènent entre eux les Haut-valaisans, puisqu'il est rapidement clair qu'un nouveau parti, quelles que soient sa forme et les entités représentées, nécessite un moyen de communication afin de diffuser ses idées politiques, bien qu'un accent soit posé sur l'importance de l'indépendance d'un tel médium. D'autre part, la RA permet au KO – et aux collaborateurs indépendants – de mettre la pression sur les instances dirigeantes du PSV et du PSS, en exposant plusieurs fois au public – et notamment la violente diatribe de Chappaz contre les socialistes du Bas – les divergences et les conflits inhérents à ce processus de négociation, dont la gauche haut-valaisanne sort vainqueur. Ainsi, au printemps 1982, la situation politique et médiatique du Haut-Valais se modifie considérablement et les développements de la gauche haut-valaisanne dans les décennies suivantes sont fortement empreints de la période ouverte au début des années 1970.

Ce petit bilan, qui clôt la période koïste de la RA, est également l'occasion d'aborder rapidement le destin des autres revues alpines. A Nidwald, un conflit au sein de la rédaction de Steibock donne lieu en 1981 à une scission entre les rédacteurs membres du Parti socialiste et la nouvelle génération de rédacteurs qui ne s'identifient pas au parti et qui plaident pour l'ouverture de la revue à l'ensemble de

l'opposition du demi-canton. Ces derniers décident de créer leur propre association et d'éditer une revue alternative concurrente, intitulée Bockshorn – dont la particularité est notamment de continuer la numérotation, de sorte qu'elle débute avec le n° 39 (février 1981) – tandis que Steibock reste l'organe du Parti socialiste nidwaldien (SPN). Outre les aspects organisationnels et de sensibilité partisane, l'une des causes de cette crise est à chercher du côté de la volonté des jeunes rédacteurs de ne pas exempter le PS de la critique, à l'instar de ce qu'avait connu Viva en 1975 (voir D.11.2).875

Steibock cessera de paraître après le n° 69 (avril 1986) et si la revue n'annonce pas sa disparition

prochaine, il est remarquable qu'elle coïncide avec la défaite du SPN aux élections cantonales et la perte de l'unique siège au parlement, surtout si l'on se souvient que la revue avait précisément vu le jour suite à la perte du seul siège dont le parti disposait en 1974. Quant à Bockshorn, qui donnera l'impulsion en 1982 à la formation du parti écologiste Demokratisches Nidwalden (un siège au parlement dès 1982) et qui s'était étendu en 1983 au demi-canton d'Obwald, son dernier numéro paraît en décembre 1987. Outre l'investissement énorme requis par la publication d'une telle revue, l'arrêt du Bockshorn est notamment justifié par l'enracinement réussi du Demokratisches Nidwalden au sein du paysage politique régional, comme si la mise en place d'une nouvelle force politique avait constitué l'un des objectifs principaux de cette revue – création que la revue avait dès appelé de ses vœux dès sa troisième parution (n° 41).876 D'autre part, avec la concurrence Steibock/Bockshorn (qui

n'étaient pas en très bons termes) et SPN/DN il existait à partir de 1981 une sorte fragmentation de l'opposition de gauche, déjà fortement minoritaire. Selon Ferdi Lerch, à côté de la volonté de se concentrer sur le travail politique, un autre facteur ayant mené à l'arrêt de la revue réside dans le fait qu'il était difficile de collaborer au parlement avec des personnes issues du camp bourgeois critiquées dans la revue.877 Aux élections cantonales de 2014, les deux partis de gauche ont obtenu onze des 60

sièges du parlement – huit pour Grüne Nidwalden (ex-DN) et trois pour les socialistes, soit le meilleur score réalisé lors d'élections de ce type.

Le dernier numéro de Viva (n° 71) paraît en février 1988, après que la fréquence de parution ait drastiquement diminué à partir de 1985, puisque seuls sept numéros sont encore publiés. A l'instar de

Steibock, la nouvelle de la dissolution n'est pas annoncée dans les colonnes de la revue. Après la

scission de 1975 au sein de la rédaction, provoquée par la volonté d'une partie des rédacteurs d'étendre les activités de la revue sur le plan politique et de ne pas exempter de la critique le Parti socialiste, une tentative d'ouvrir la revue à d'autres organisations de sensibilité proche est amorcée en 1982, afin de sortir du modèle d'organe partisan du VIVA-Kollektiv, entré dans la politique institutionnelle lors des élections cantonales de 1980, sans que cette décision soit réellement suivie

875 Furrer, Markus, Die neue Opposition in der Urschweiz, op. cit., p. 239 – 242. 876 Steiner, Peter, « Der Vorhang fällt », Bockshorn, n° 80, décembre 1987, p. 28 – 29.

877 Lerch, Ferdi, « Karrierestart », Klartext – Das Schweizer Medienmagazin, 10.07.2007, http://www.klartext.ch/?

d'effets. Le VIVA-Kollektiv fusionnera avec Alternative Liste Chur en 1984 pour donner naissance au parti Linke Alternative Graubünden, héritier donc de Viva, qui obtiendra un siège au parlement lors des élections cantonales de 1991, siège perdu lors des élections suivantes en 1994. Renommé La Verda, ce parti se dissoudra en 1996.878 Si la revue ne mentionne pas les causes ayant mené à sa

disparition, il semble que celle-ci soit en lien avec l'échec du renouvellement générationnel; le successeur désigné aurait abandonné après la publication de deux numéros.879

Quant à Alternative, elle maintient son existence jusqu'en mars 2000 et son 248ème numéro; ici aussi, sans que la dissolution soit annoncée aux lecteurs. Le Kritisches Forum Uri (KFU), issu en 1983 du Kritisches Uri qui gravitait autour d'Alternative, se dissoudra en 1993 et une partie semble avoir rejoint les socialistes uranais. A ce moment, la revue est reprise par une association de soutien, ce qui a mené, selon Lerch, à une professionnalisation de la revue, qui est notamment passée à l'impression numérique sur papier glacé au cours des années 1990. Lerch cite l'un des fondateurs qui indique deux raisons pour la disparition de la revue; d'une part, la concurrence féroce des quotidiens a réduit l'espace de diffusion pour un journalisme d'investigation alternatif et d'autre part, davantage que l'échec du changement de génération, c'est l'exil des forces vives dans les grandes villes qui a provoqué des problèmes insurmontables pour la reproduction de la revue,880 rappelant en cela les raisons mentionnées par la Glarner Zeitung au moment de son sabordement. Le KFU participe pour la première fois aux élections cantonales en 1988 et obtient trois sièges à celles de 1992, notamment grâce au passage au système proportionnel. En 2016, la fraction SP/GB (Grüne Bewegung) a obtenu neuf des 64 sièges du parlement cantonal.

878 http://www.news.ch/Links+gruene+Partei+La+Verda+in+Graubuenden+aufgeloest/134567/detail.htm, consulté le

19.04.2017.

879 Lerch, Ferdi, « Karrierestart », op. cit.. 880 Ibid.