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D. Consolidation de l'organisation et renforcement du journal (1976 – 1980)

5. Changement d'imprimeur et finances

Si l'on est globalement satisfait en ce qui concerne l'imprimeur ropress, la nécessité de plier et d'assembler les exemplaires à la main, intensives en travail, ainsi que des volontés de diminution des coûts font que le KO se décide de changer d'imprimeur à la fin de l'année 1977.421 Les militants

optent pour une imprimerie à Berne, Schenker Druck AG,422 chez laquelle les maquettes peuvent être livrées le lundi par « Bahnexpress » et les numéros récupérés le jeudi, également par voie ferroviaire, ce qui diminue les coûts de transport.423 Après un essai pour la RA 24, le changement est définitivement entériné en janvier 1978, d'une part parce que le papier est plus fin, ce qu'ont visiblement apprécié de nombreux lecteurs, et d'autre part, en raison des avantages techniques, tels la possibilité de réceptionner les exemplaires directement à la gare de Brigue424 et la fin des jeudis

soirs425 dédiés à l'assemblage.426 Ce changement incarne également une sorte de modification de paradigme; en effet, par le recours à Schenker, le KO opte pour un imprimeur davantage intégré dans la sphère commerciale que ne l'est ropress, dont le slogan est « Arbeit statt Kapital », et la RA s'éloigne quelque peu de sa « matrice médiatique » puisque, comme évoqué, ropress imprimait toute une série de publications alternatives nées au cours des « années 68 ».

De plus, le KO commande 10'000 enveloppes, afin de réduire les coûts, et rationalise le suivi des abonnés, puisqu'on décide que le journal ne sera plus envoyé à ceux n'ayant pas renouvelé l'abonnement, de même qu'est défini un nouveau mode de paiement stipulant que les abonnés ne seront admis dans le registre qu'après paiement de la facture.427 Ces mesures – dont la concrétisation

421 INFO-Intern 7/77, p. 3 – 5, « VV vom 29.10.1977 ».

422 Pour laquelle on précise qu'elle imprime également les revues Schwarzpeter et Rebell, ce qui semble être perçu comme

une bonne chose, de la sorte que ce ne sont pas que des critères économiques et techniques, même s'ils sont probablement déterminants, qui entrent dans les considérations au sujet du changement d'imprimerie.

423 L'avantage par rapport à ropress est que cet imprimeur plie en quatre les numéros destinés aux abonnés (environ 1200) et

en deux le reste des exemplaires. En outre, les prix sont légèrement plus bas (Fr. 1900.-- à Berne contre Fr. 1998.-- chez ropress, pour 5000 exemplaires à 12 pages). INFO-Intern 7/77, p. 3 – 5. « VV vom 29.10.1977 ».

424 Peu après il sera néanmoins décidé de dédommager à hauteur de Fr. 50.-- le membre qui met à disposition sa voiture pour

le rapatriement des exemplaires depuis Berne. On estime que les coûts de transport sont moindres que par voie ferroviaire et de plus, les numéros parviennent plus rapidement à Brigue et directement au bureau. INFO-Intern 5/78, p. 2 – 4, « Vorstandssitzung vom 27. Juni 1978 im KO-Bureau ».

425 Nous manquons de données sur la sociabilité du groupe, mais nous pouvons imaginer que ces jeudis soirs étaient

l'occasion pour les membres de se retrouver, d'entretenir ou de développer les liens personnels, permettant de se persuader de l'importance de leur activité. Nous ne résistons pas à la tentation de citer la belle phrase de Gaxie: « La camaraderie, les plaisirs des " collages ", des ventes, et des " porte-à-porte ", la solidarité, la cohésion, la communauté des goûts et des sentiments, l'identification à un groupe, les joies de la victoire, les réconforts mutuels dans la défaite ou dans les malheurs individuels, (...) les controverses passionnées (...) l'amitié des militants procurent des joies que l'on peut juger prosaïques ou accessoires, mais qui constituent pourtant un puissant moyen d'attachement au parti. », Gaxie, Daniel, « Économie et rétributions du militantisme », op. cit., p. 137.

426 INFO-Intern 2/78, p. 10 – 11, « Vorstandssitzung vom 20.1.1978 ». Les protocoles ne disent rien sur un éventuel vote à

l'assemblée plénière, toujours est-il que changement il y a eu.

nous est inconnue – en apparence anodines révèlent en réalité un changement significatif dans la perception que se fait le KO de son produit médiatique (et de son activité en général); la RA est maintenant un produit médiatique suffisamment important pour que la gestion de sa distribution et des entrées qui en découlent soit prise au sérieux afin d'assurer sa reproduction, notamment par le fait que les avances sur abonnement permettent ensuite le financement de l'activité.

Suite à la requête d'une librairie de Berne, se pose aussi la question de la publicité au sein du journal. Le comité élabore ainsi cinq propositions428 à l'intention de l'AG du 13 novembre 1976, lors de

laquelle il est réaffirmé qu'aucune annonce ne paraîtra dans la RA, même si une des propositions se penchait sur l'aspect économique de la question.429 On touche ici à l'un des enjeux centraux des

médias alternatifs. Si Comedia – collectif pour qui les médias alternatifs doivent sortir du « ghetto alternatif » s'ils veulent survivre dans un environnement capitaliste et « connaître le succès » – estime que des techniques managériales davantage calquées sur les pratiques dominantes permettraient d'augmenter les entrées d'un média grâce au recours à la publicité,430 Atton – qui utilise le terme de

alternative public sphere plutôt que celui de ghetto, opérant ainsi un changement de paradigme dans

l'appréciation de ces médias – contredit cette opinion en postulant que le lectorat d'un média alternatif n'est pas suffisamment attractif pour les annonceurs et qu'il n'y a donc pas lieu de tenter cette « sortie ».431 Dans le cas de la RA, on peut décemment imaginer que l'accès à toute une série d'annonceurs lui était barré dans le Haut-Valais, comme pourrait l'illustrer la censure exercée par la Coop de Brigue – suite à un article paru dans la RA 79 – qui a interdit à son kiosque de vendre la RA 80.432 Et en effet, en 1985, alors que l'on réfléchit à une réorientation conceptuelle de la RA, on

estime que le recours à la publicité est impossible pour deux raisons; d'une part, les annonces sont considérées dans le Haut-Valais comme des dons, « man muss bitti und bätti machen, damit man diese bekommt », et d'autre part, la dépendance induite par le recours aux annonceurs est encore exacerbée dans une région isolée telle que le Haut-Valais.433

428 Les membres avaient à choisir entre (1) aucune publicité; (2) autorisation pour les organisations de gauche et leurs

organes, le problème étant l'image confuse de la RA qui en résulterait, si elle publiait des choses pour La Brêche ou le journal des POCH; (3) uniquement des annonces de gauche pour des prestataires de services ( Dienstleistungsbetriebe) n'incarnant pas des tendances spécifiques, mais qui sont représentatifs de l'ensemble de la gauche (librairies, éditeurs); (4) discussion lors de chaque annonce de gauche pour évaluer si elle correspond au cadre de la RA ou non, ce qui présuppose la création d'une instance de décision; (5) admission en principe de toutes les annonces dans une partie spécifique du journal, avec prix à fixer autour de Fr. 50.-- pour 1/8 de page. On constate d'une part que se pose surtout la question pour des annonces « de gauche », et d'autre part, que l'intérêt économique n'est pas totalement absent des réflexions. INFO- Intern 9/76, p. 5, « Betrf: Inserate in der RA ».

429 INFO-Intern 10/76, p. 2 – 4, « Protokoll der ordentlichen Generalversammlng 13.11.1978 ».

430 Comedia, « The alternative press: The development of underdevelopment », in Media, Culture & Socety, vol °6, 1984 p.

100 – 101.

431 Atton, Chris, « A reassessment of the alternative press », op. cit., p. 60 – 61. 432 « Dicke Eier », RA 80, 25.04.1985, p. 2.

Ainsi, si le KO ne voit pas de nécessité à publier des annonces, c'est parce que malgré l'augmentation des coûts engendrée par les investissements réalisés et l'embauche d'une personne à plein temps, il dispose d'une base financière saine. En effet, grâce à l'augmentation des cotisations des membres,434 – condition sine qua non pour ces évolutions – et à l'affirmation toujours plus forte de la RA – qui voit le nombre de ses abonnés passer de 801 à la fin 1976 à 1245 en décembre 1977435 – le KO réalise des exercices 1976 et 1977 bénéficiaires, lui permettant de porter son capital propre à Fr. 8322.40.436

Comme pour 1975, l'importance du journal pour le KO se perçoit également dans cette comptabilité, puisque les comptes des résultats de 1976 et 1977 indiquent que la part de la RA s'élève à 62,5%, respectivement 70,9% (croissance induite par la création du poste rémunéré à plein temps) du total des dépenses, et à 76,7% et 71,5% des entrées.437 La répartition des coûts et des produits de 1977

laisse en outre apparaître un bénéfice de Fr. 1666.-- pour la RA seule (sur un bénéfice total de Fr. 1924.10).438 Si l'on compare les revenus de la RA à ceux des autres revues alternatives alpines, le constat est que le journal haut-valaisan engrange davantage d'argent par numéro que ses homologues confédérés. Au 15 novembre 1977, la RA réalise des chiffres de vente s'élevant à Fr. 35'229.95 pour sept numéros (RA 15 – RA 21/22) – soit Fr. 5032.85 par numéro – tandis que les trois autres revues considérées engrangent plus ou moins à la même période moins de Fr. 2000.-- par numéro, alors que le prix de vente – de Alternative et de Steibock – est le double de celui de la RA (Fr. 1.--).439 Ceci peut

toutefois s'expliquer par le tirage bien plus élevé de la RA (5000 exemplaires à partir de RA 13, septembre 1976) par rapport à Alternative qui imprime 1000 exemplaires à la fin 1977, voire peut-être par les marges plus petites que prennent les kiosques haut-valaisans (voir note 442). Néanmoins, par la répartition des coûts, nous constatons que les entrées issues de la revue couvrent entièrement, pour 1977 tout du moins, les dépenses du KO pour la RA (105%), laissant même un bénéfice comme nous venons de le voir. Si Steibock parvient à un équilibre grâce à des petits dons, Alternative et Steibock ne s'en sortiraient pas sans les cotisations de l'association de soutien: dans le cas uranais, les revenus provenant de la vente du journal ne couvrent que 65% des dépenses, tandis que pour la Glarner

Zeitung, ce chiffre monte à 85%. D'ailleurs, le déficit de Fr. 4000.-- des trois premières années

d'existence d'Alternative a été colmaté par le porte-monnaie personnel des rédacteurs (entre cinq et neuf).440 En comparant la part des cotisations dans les entrées totales, celles-ci s'élèvent à 39% pour

434 Entre 1976 et 1977, le montant total des cotisations est passé de Fr. 3963.70 à Fr. 8736.--, sans que le nombre de membres

ait semble-t-il significativement évolué.

435 INFO-Intern 4/78, p. 11, « Rote Anneliese – Entwicklung von 1973 Nr. 1 bis 1978 Nr. 27 ». 436 INFO-Intern 7/77, p. 8, « Kassabericht 1977 per 15 Nov. ».

437 Il est également significatif que sont créés des fonds spéciaux pour les abonnements et la RA (puis réunis dans un seul

fonds en 1978), ainsi que pour les élections et les procès. Il est précisé que « Die Fonds " Rote Anneliese ", " Wahlen " und " Prozesse " sind zweckgebundene Gelder, die nur für den jeweiligen Zweck verbraucht werden können. », inscrivant dans les règles l'importance budgétaire du journal. INFO-Intern 1/79, p. 11, « Fondsspeisung per 31. Dezember 1978 ».

438 Archives ES, Classeur « KO DIV. II 78 – Aug. 78 », « Kostenträgerrechnung ».

439 Alternative (n° 23 – 28, 1977): Fr. 1741.65/numéro; Steibock (n° 17 – 22, juin 1977 – juin 1978): Fr. 1569.90/numéro:

Glarner Zeitung (n° 1 – 14, septembre 1974 – décembre 1976): Fr. 1674.95/numéro.

Alternative et à 31% pour la Glarner Zeitung, tandis que pour la RA, ce chiffre ne se monte qu'à

17,75%. Il faut cependant rappeler que si la RA est part intégrante des activités et de la comptabilité du KO, qu'elle est à proprement parler un organe partisan, les autres revues sont autonomes sur le plan de l'organisation et n'ont d'entrées et de dépenses que celles liées à la production et à la diffusion du produit médiatique. Notons également qu'au moment t de ces comptabilités, la RA est la seule à comporter des dépenses salariales. Sur le plan de la fortune, celle du KO et d'Alternative se monte fin 1977 respectivement à Fr. 10'246.50 et Fr. 1299.--, alors que la Glarner Zeitung dispose d'un capital propre de Fr. 4493.90 à la fin de l'année 1976.

Ainsi, l'augmentation du tirage de la RA à 5000 exemplaires permet également des ventes accrues dans les kiosques et dans la rue.441 En effet, alors que la RA 10 est encore éditée à 2500 exemplaires, la RA 11 annonce une augmentation de 20%, étant donné que le numéro précédent s'était vendu en deux jours seulement,442 augmentation qui ne sera pas suffisante puisque cette RA s'écoule également

en deux jours, provoquant une nouvelle croissance pour la RA 12, à 4000 exemplaires.443 Enfin, la RA

13 affirme que « wir die Auflage auf die OGA [Oberwalliser Gewerbeausstellung] hin auf 5'000 erhöht haben. (25%) »444, montrant que le KO fait dépendre la parution du journal, ainsi que le tirage,

également en fonction des événements importants du Haut-Valais.

Suite aux rumeurs persistantes voulant que le KO soit financé par Moscou ou d'autres régimes communistes d'Europe de l'Est,445 le groupe décide de publier sa comptabilité au 30 octobre 1976

dans la RA 17. En effet, preuve de la diffusion de ces ragots, plusieurs lecteurs semblent avoir fait part lors de la vente dans la rue de leur étonnement quant à la possibilité de financer un journal vendu Fr. 1.-- seulement. Et le KO d'expliquer que ce n'est possible qu'en raison du bénévolat des militants tant pour la rédaction que pour la distribution. Tout en affirmant être conscient qu'une comptabilité peut aisément être falsifiée, le KO se déclare prêt à soumettre son bilan financier à une fiduciaire neutre, si les partis C en font de même. Ainsi, le groupe ne se contente pas de désamorcer la rumeur, mais passe à l'offensive en appelant les partis bourgeois à présenter les sources de leur financement.

441 Alors que la distribution hors abonnement avait rapporté Fr. 4754.-- au 21 janvier 1976, ce chiffre s'élève à Fr. 18'560,10

au 30 octobre 1976, et à Fr. 21'750,95 au 15 novembre 1977, ce qui s'explique également par un nombre plus élevé de numéros vendus (2 en 1975, 5 en 1976 et 7 en 1977). Nous n'avons pas de chiffres précis sur la marge des kiosques, mais il semble que le KO touche 80% du prix du numéro. Par comparaison, Alternative tente régulièrement d'inciter ses lecteurs à souscrire à un abonnement et à ne plus acquérir la revue auprès des kiosques qui ne reversent que 50% du prix du numéro, (« liebe leser », Alternative 31, juin 1978, p. 2.), pourcentage identique pour Tout Va Bien (Porret, Michel, « Tout

Va Bien », op. cit., p. 50).

442 « Wussten Sie schon... », RA 11, mai 1976, p. 1. 443 « Wussten Sie schon... », RA 12, juin 1976, p. 1.

444 « Wussten Sie schon... », RA 13, septembre 1976, p. 1. A ce sujet, l'INFO prévoit un solde de 200 à 300 invendus pour la

RA 13, soit entre 4 et 6% du total. INFO-Intern 7/76, p. 1, « Editorial ».

445 Ainsi, dans une contribution qui ambitionne de décrypter le KO, un certain L.T. pose franchement la question: « Kann das

KO finanzielle Unterstützung aus marxistisch-östlicher Richtung gänzlich in Abrede stellen? », L.T., « Kritik am Kritischen Oberwallis », WV du 28.11.1976, p. 10.

La revue Alternative, également régulièrement soupçonnée de tirer ses revenus de subventions soviétiques, publie son bilan pour les années 1975, 1976 et 1977, reprenant pour cette dernière année le slogan de la RA – « Wir legen unsere Karten offen auf den Tisch » – ainsi que l'appel aux journaux bourgeois de publier leur bilan financier.447 Steibock publie également sa comptabilité pour les n° 17

à 22 (juin 1977 – avril 1978), tandis que le n° 15 (p. 3) de la Glarner Zeitung expose à ses lecteurs son bilan financier depuis la fondation du journal, toutes ces revues prenant la suite de Viva qui informe sur sa situation économique dès le n° 6 (p. 2). Le KO répète l'opération pour 1977 à l'occasion du n° 24, relevant avec ironie que son appel adressé aux partis majoritaires est resté sans suite.448 Ceci ne suffit toutefois pas à faire taire les rumeurs, puisque lors d'une manifestation du CVP

de Naters, un individu affirme pouvoir prouver la source étrangère de l'argent koïste.449 La RA 36 (p.

8) publiera quant à elle la comptabilité de 1978.