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Chapitre 5 Durabilité des priorités de conservation face aux changements

5.5. Evaluation de la durabilité des priorités de conservation actuelles

Je viens de montrer que seulement 40% des ZH actuellement prioritaires à protéger le resterait aussi dans les conditions environnementales futures (i.e. 242 ZH sur la base des TOP10% actuels et futurs). Les 60% restants verraient ainsi potentiellement leur intérêt de conservation baisser de manière conséquente. Pour répondre plus précisément à la question posée au début de ce chapitre concernant la durabilité des priorités de conservation actuelles, j'ai analysé la façon dont l’intérêt de conservation des ZH actuellement prioritaires à protéger pourrait évoluer dans le futur. Dans la suite, je me suis donc intéressé à l’évolution des priorités de conservation et du classement des ZH dans le cas du scénario futur « fort », celui- ci semblant induire le plus de changements à la fois dans la distribution spatiale des espèces, dans les valeurs des facettes de la diversité et dans les priorités de conservation. J’ai pour cela évalué le pourcentage des ZH actuellement prioritaires qui se retrouvent classées dans le premier (i.e. TOP25%), second, troisième et dernier quartile des priorités de conservation futures sous ce scénario (Tableau 5.2).

Tableau 5.2. Evolution du classement des ZH actuellement prioritaires dans le cas du scénario futur

fort. Pour chaque fraction de ZH prioritaires (i.e. TOP1%, TOP5%, TOP10%, TOP25% et TOP50% ; en lignes), le pourcentage de ces ZH se retrouvant dans les différents quartiles des priorités futures est indiqué.

Pourcentage des ZH actuellement prioritaires présentes dans les différents quartiles des priorités futures sous le scénario fort

Actuel 1er quartile 2nd quartile

3ème quartile 4ème quartile

TOP1% (soit 64 ZH) 93.7% 4.7% 1.6% 0.0%

TOP5% (308 ZH) 79.6% 12.3% 5.5% 2.6%

TOP10% (610 ZH) 72.9% 16.0% 8.3% 2.8%

TOP25% (1525 ZH) 58.6% 25.0% 12.5% 3.9%

TOP50% (3049 ZH) 45.2% 32.3% 16.2% 6.3%

Parmi les 64 ZH appartenant au TOP1% actuel, 60 (i.e. 93.7%) d’entre elles se maintiendraient dans le TOP25% futur sous le scénario « fort », et aucune ne se retrouverait dans le 4ème quartile des priorités futures (i.e. parmi les 25% des ZH présentant les plus faibles

intérêts de conservation). Ainsi, la grande majorité des ZH actuellement les mieux classées en termes de priorité de conservation pourrait rester relativement bien classée dans le futur, malgré une possible diminution de leur intérêt de conservation. De plus, très peu de ZH se

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retrouvent totalement déclassées, avec par exemple seulement 68 (i.e. 11.1%) des 610 ZH appartenant au TOP10% actuel se retrouvant parmi les 50% des ZH présentant les plus faibles intérêts de conservation futurs (i.e. troisième et dernier quartiles).

Ces analyses suggèrent donc que les zones actuellement les plus intéressantes pour la conservation des assemblages de poissons pourraient rester globalement intéressantes dans le futur, avec une assez grande probabilité. En effet, il semblerait qu’une grande partie des zones que j’ai identifiées comme actuellement prioritaires pour la conservation, telles que les zones situées en altitude ou dans des petits bassins versants côtiers, puissent constituer des refuges climatiques pour un certain nombre d’espèces à fort intérêt de conservation (e.g. les salmonidés). Ces espèces pourraient ainsi potentiellement retrouver dans ces zones des conditions climatiques similaires à leurs préférences climatiques actuelles (Pyke & Fischer, 2005 ; Heino et al., 2009 ; Keppel et al., 2012). De plus, ces zones se situent généralement dans la partie amont de leur bassin versant respectif, et les impacts des changements d’utilisation des terres y seraient par conséquent potentiellement limités. Ceci pourrait expliquer le fait que ces zones semblent concentrer les plus forts intérêts de conservation futurs, selon les prédictions réalisées ici. L’ensemble de ces résultats semble donc indiquer que le fait de ne pas prendre en compte les scénarios futurs de changements globaux pourrait ne résulter qu’en une erreur relativement limitée dans le choix des zones prioritaires à conserver. Ce constat ayant été fait à une échelle spatiale relativement grande, il peut toutefois être intéressant d’examiner de manière fine les priorités de conservation et leur évolution future prédite, car l’influence des changements globaux semble être potentiellement très variable d’une zone à l’autre.

Ces conclusions paraissent cohérentes avec la littérature. En effet, plusieurs études ont mis en évidence que la répartition spatiale de nombreuses espèces aquatiques pourrait être fortement modifiée en réponse aux changements globaux (e.g. Buisson et al., 2008b ; Heino et al., 2009 ; Mantyka-Pringle et al., 2014 ; Markovic et al., 2014), mais que la répercussion de ces modifications sur les zones actuellement les plus prioritaires pour la conservation pourrait être relativement faible (e.g. Bond et al., 2014). Globalement, très peu d’études se sont à ma connaissance intéressées à la durabilité des priorités de conservation actuelles face à des changements environnementaux futurs. En effet, la plupart des recherches dans ce domaine se sont focalisées sur des questionnements méthodologiques concernant l’intégration des changements globaux dans les approches de planification de la conservation (e.g. Groves et al., 2012 ; Faleiro et al., 2013 ; Hamann & Aitken, 2013) ou sur l’impact des changements

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globaux sur les zones actuellement protégées (e.g. Hole et al., 2009 ; Wiens et al., 2011 ; Iacona et al., 2014 ; Leroy et al., 2014). Quelques études ont toutefois commencé à explorer la question. Par exemple, Junker et al. (2012) ont étudié l’évolution sur deux décennies des conditions environnementales favorables pour neuf espèces de primates en Afrique. Ils ont ainsi constaté une contraction des zones favorables relativement forte étant donné la courte période temporelle considérée, mettant par conséquent en évidence les risques représentés par le fait de ne pas prendre en compte les changements environnementaux, même à court terme, en planification de la conservation. Carvalho et al. (2011) ont quant à eux évalué les priorités de conservation actuelles et futures pour les amphibiens et les reptiles de la péninsule ibérique, sous différents scénarios de changements climatiques. Ils ont ainsi identifié les zones présentant un caractère prioritaire pour la conservation de cette biodiversité simultanément sous tous les scénarios et pour toutes les périodes étudiées. Le nombre de ces zones s’étant avéré très limité, ils ont complété cette sélection avec les zones potentiellement prioritaires dans le futur, privilégiant ainsi une approche proactive. Iwamura et al. (2013) ont de leur côté mesuré la robustesse face aux changements globaux des zones de conservation prioritaires à l’échelle mondiale en évaluant leur stabilité climatique (i.e. gamme similaire de conditions climatiques actuelles et futures ; Iwamura et al., 2010 ; Watson et al., 2013). Ils ont pu mettre en évidence que les « hotspots » de la biodiversité à l’échelle mondiale (Myers et al., 2000) semblaient particulièrement robustes face aux changements climatiques.

Il existe aussi d’autres approches proactives pour la conservation durable de la biodiversité dans le contexte des changements globaux que celle que j’ai choisie d’appliquer dans ce chapitre. A la place de s’intéresser à l’intérêt de conservation des assemblages présents dans les zones étudiées, il est par exemple possible d’identifier comme prioritaires à protéger les zones qui couvrent ensemble une large gamme de conditions climatiques (e.g. Pyke & Fischer, 2005). Le réseau de réserves ainsi créé pourrait permettre de proposer, au sein de chaque bassin versant étudié, des zones refuges qui soient adaptées aux préférences climatiques des différentes espèces ciblées (Heino et al., 2009 ; Hannah et al., 2014 ; Tingley et al., 2014).

Enfin, il pourrait aussi être intéressant d’évaluer l’influence marginale et combinée des différentes composantes des changements globaux (Nelson et al., 2009b ; Mantyka-Pringle et al., 2014). En quantifiant l’influence relative de chacune des composantes des changements globaux, ainsi que leur effet synergique potentiel, il serait possible d’identifier plus précisément les mesures d’atténuation qu’il serait urgent de mettre en place à l’échelle globale

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(Jetz et al., 2007 ; Nelson et al., 2009b). En effet, il ne faut pas oublier que la mise en place de réserves, même si elles tiennent compte des changements environnementaux à venir, ne représente pas la seule solution efficace face aux problèmes générés par les changements globaux (Hannah et al., 2007). Dans l’idéal, la création de nouvelles réserves devra être accompagnée de la multiplication des efforts visant à réduire drastiquement les pressions d’origine anthropique, afin de protéger efficacement et durablement les écosystèmes présentant les plus forts intérêts écologiques (Heller & Zavaleta, 2009 ; Bellard et al., 2012).

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