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Chapitre 7 Conclusions et perspectives

7.2. Perspectives et améliorations possibles

7.2.2. Améliorer l’évaluation de la composition des assemblages d’espèces

Les priorités de conservation ou de restauration résultant des travaux que j’ai réalisés durant ma thèse reposent toutes sur des prédictions obtenues avec des modèles de distribution d’espèces (SDM). Comme tout modèle, ces outils sont des simplifications de la réalité (e.g. absence de prise en compte des interactions biotiques comme les relations proies-prédateurs), et par conséquent des incertitudes non négligeables subsistent (Barry & Elith, 2006 ; Wiens et al., 2009 ; Buisson et al., 2010b). Cependant, si ces résultats doivent être utilisés pour mettre en place des actions concrètes de gestion impliquant des moyens humains et financiers conséquents, ils se doivent d’être les plus exhaustifs et exacts possible (Ascough et al., 2008 ; Langford et al., 2009 ; Regan et al., 2009). Ainsi, de futurs efforts de recherche pourraient se concentrer sur une meilleure description des assemblages d’espèces prédits par les modèles, afin de caractériser au mieux les différentes facettes de la diversité. Plusieurs pistes sont à explorer.

Premièrement, il paraît important de réussir à modéliser de manière suffisamment robuste la distribution spatiale des espèces rares (Lomba et al., 2010 ; Platts et al., 2014), qui ont dû être écartées de la plupart des analyses réalisées au cours de ma thèse. En effet, les modèles de distribution d’espèces sont connus pour prédire de manière souvent inexacte la distribution spatiale des espèces rares, car elle s’avèrent trop faiblement échantillonnées pour permettre l’identification précise des différentes composantes de leur niche écologique (Stockwell & Peterson, 2002 ; McPherson et al., 2004 ; Barry & Elith, 2006 ; Franklin et al., 2009). A ce jour, les espèces rares ont donc été très peu prises en compte de manière optimale dans les approches de planification de la conservation (e.g. Leathwick et al., 2010 ; Strecker et al., 2011). Pourtant, ces espèces, dont la répartition géographique est limitée dans la zone d’étude considérée, sont soit très probablement vulnérables et sensibles à des perturbations

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environnementales (e.g. la grande alose, l’apron du Rhône, le chabot du Lez), soit au contraire nouvellement introduites et potentiellement invasives (e.g. l’aspe, le gobie demi-lune) (Rodrigues & Gaston, 2002c ; Keith et al., 2011 ; Poulet et al., 2011 ; Platts et al., 2014 ; Toledo et al., 2014). De plus, les espèces rares peuvent avoir un rôle fonctionnel important dans les écosystèmes, en assurant par exemple des fonctions qu’elles seules sont capables de fournir (Mouillot et al., 2013a). Ainsi, la prise en compte de ces espèces dans les approches de planification de la conservation aurait potentiellement un fort impact sur les priorités de conservation obtenues (Wilson et al., 2005 ; Elith & Leathwick, 2009b). Afin d’obtenir des priorisations plus exactes, il sera par conséquent nécessaire de développer des approches statistiques qui traiteront de manière efficace les espèces faiblement représentées dans les jeux de données (Platts et al., 2014). Certaines approches développées récemment dans ce sens semblent prometteuses, avec par exemple l’utilisation conjointe de modèles focalisés sur les espèces, sur les assemblages et sur les habitats (e.g. Ovaskainen & Soininen, 2011 ; McKenna et al., 2013). Une autre solution serait d’augmenter le nombre d’occurrences des espèces rares en utilisant des modèles pour identifier les zones où ces espèces sont a priori susceptibles d’être présentes, avant d’aller directement réaliser des échantillonnages sur place (e.g. Williams et al., 2009 ; Platts et al., 2010 ; Rebelo & Jones, 2010).

Deuxièmement, il est probable que les caractéristiques écologiques et biologiques de certaines espèces n’aient pas permis de modéliser leur distribution spatiale de manière optimale (McPherson & Jetz, 2007 ; Grenouillet et al., 2011). Parmi ces caractéristiques, le comportement migratoire des espèces ressort comme l’un des facteurs pouvant significativement affecter la robustesse des prédictions obtenues avec les SDM (McPherson & Jetz, 2007). En effet, les protocoles d’échantillonnage utilisés ne permettent généralement d’obtenir qu’une description partielle de la niche écologique des espèces les plus mobiles (e.g. en ne détectant la présence des espèces que dans des zones de transition le long de leur trajet migratoire) (Runge et al., 2014), ce qui peut générer des biais dans les modèles statistiques (Comte & Grenouillet, 2013b). Par ailleurs, plusieurs études ont montré que la répartition des grandes espèces migratrices (e.g. la lamproie marine, le saumon atlantique) est fortement influencée par le degré de fragmentation du réseau hydrographique (e.g. Pringle et al., 2000 ; Joy & Death, 2001 ; Fullerton et al., 2010 ; Liermann et al., 2012). L’intégration dans les modèles d’une variable comme le nombre cumulé d’ouvrages hydrauliques en aval de chaque zone pourrait permettre de mieux rendre compte de l’accessibilité des différentes zones considérées pour ces espèces migratrices (e.g. Garcia de Leaniz, 2008 ; Lassalle et al., 2009).

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Ceci est d’autant plus important que les espèces migratrices de poissons présentent généralement un fort intérêt patrimonial et halieutique (Lassalle et al., 2008, 2009 ; Fullerton et al., 2010).

Troisièmement, pour évaluer les priorités de conservation futures sous divers scénarios de changements globaux (cf. chapitre 5), j’ai dû conserver le même pool d’espèces que celui observé actuellement. En effet, il n’existe pas, à ma connaissance, de scénarios de colonisation pour les espèces de poissons pouvant être introduites sur le réseau hydrographique français dans les décennies à venir, comme cela a pu être observé par le passé (Poulet et al., 2011). Ces nouvelles espèces présentent pourtant un caractère potentiellement invasif et peuvent ainsi fortement perturber le fonctionnement actuel des écosystèmes (Dudgeon et al., 2006 ; Leprieur et al., 2008 ; Walther et al., 2009 ; Strayer, 2012 ; Hassan & Ricciardi, 2014). Par conséquent, leur prise en compte dans une approche de priorisation comme celle proposée dans cette thèse aurait certainement une influence non négligeable sur l’évaluation des priorités de conservation futures. Pour limiter ce problème, j’ai déjà pu prendre en compte la distribution spatiale future potentielle des espèces invasives actuellement observées en nombre suffisant dans les cours d’eau français (e.g. l’aspe, la gambusie, le pseudorasbora). Toutefois, afin d’intégrer d’autres espèces exotiques (i.e. celles encore absentes ou actuellement trop rarement observées sur le réseau hydrographique français) dans une planification durable de la conservation des assemblages de poissons, une des approches possibles consisterait à modéliser la distribution spatiale des espèces identifiées comme présentant un risque d’invasion, en calibrant les modèles sur leur aire de répartition native avant de réaliser des projections sur la zone d’étude (e.g. Thuiller et al., 2005 ; Jeschke & Strayer, 2008 ; Guisan et al., 2014). Mais à ce jour, la prise en compte de la dynamique des espèces les plus mobiles, telles que les espèces invasives ou migratrices, reste un enjeu majeur en planification de la conservation (Pressey et al., 2007 ; Mokany et al., 2012 ; Runge et al., 2014).

Finalement, l’évaluation de la diversité des assemblages pourrait être améliorée en y intégrant des métriques basées sur l’abondance des différentes espèces, et plus uniquement sur des données de présence-absence. En effet, ce type de données est souvent requis pour estimer la viabilité des populations considérées (mais voir Araújo & Williams, 2000 pour une méthode alternative pouvant s’appuyer sur des données d’occurrence). La viabilité d’une population traduit sa capacité à se maintenir dans un écosystème sur le long terme (Boyce, 1992). Son évaluation permet notamment de quantifier la différence qu’il peut exister entre un

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assemblage composé de reliquats d’espèces (i.e. faibles abondances des différentes populations) et un assemblage constitué d’espèces dont les individus sont nombreux et répartis dans plusieurs classes d’âges (i.e. populations viables). Suivant les objectifs de l’étude, il peut sembler préférable de préserver un assemblage constitué de populations viables (et ainsi de limiter les risques d’échec des mesures de gestion) (e.g. Early & Thomas, 2007), ou au contraire de chercher à sauvegarder les assemblages résiduels, qui sont par définition particulièrement vulnérables (e.g. Chiarello, 2008). Quelle que soit l’option retenue, la prise en compte de la viabilité des populations en planification de la conservation présente un intérêt certain (e.g. Cabeza & Moilanen, 2001 ; Nicholson et al., 2006 ; Nel et al., 2011), à condition de disposer de données d’abondance exhaustives et comparables entre les zones étudiées.

7.2.3. Tenir compte des coûts de mise en place des mesures de gestion