• Aucun résultat trouvé

A la suite de notre étude, nous avons cherché à identifier une stratégie pharmacologique qui permettrait d’inhiber l’interaction de F508del-CFTR avec les protéines EDEMs. Nous nous sommes alors intéressé au trivalent-DMJ, celui-ci étant le composé le plus efficace de sa famille.

Tout d’abord, nous avons vérifié que le trivalent-DMJ diminue l’interaction de F508del-CFTR avec EDEM1, EDEM2 et EDEM3 dans les cellules Hela F508del-F508del-CFTR. Nous avons également vérifié par western blot que cette diminution n’est pas corrélée à une diminution de leur niveau d’expression protéique. L’équipe de Hebert a cependant démontré qu’EDEM1 lie spécifiquement les protéines mal repliées même en présence des inhibiteurs des mannosidases I (kifunensine et DMJ) et l’inhibiteur de glucosidase (DNJ), et que des mutations sur son site actif de mannosidase ne semblent pas avoir d’effet sur sa liaison aux glycoprotéines mal repliées (Cormier et al., 2009). Cependant, il s’agit d’expérimentations réalisées sur les protéines α1AT et son mutant NHK qui sont toutes les deux des protéines solubles et non membranaires comme CFTR. EDEM1 est présent dans les cellules sous 2 formes, soluble et membranaire. Il a été décrit que la forme soluble serait efficace pour accélérer la dégradation des substrats ERAD solubles, en revanche, la forme membranaire accélèrerait la dégradation de substrats membranaires (Tamura et al., 2011). Ainsi, il semblerait que c’est la forme soluble d’EDEM1 qui interagit avec son substrat de manière indépendante de son activité catalytique. Une comparaison de l’effet du trivalent-DMJ sur l’interaction d’EDEM1 avec une protéine soluble mal repliée telle que l’α1AT et son interaction avec une protéine membranaire mal repliée confirmerait cela.

Par la suite, nous avons confirmé l’effet correcteur du trivalent-DMJ sur F508del-CFTR dans différents modèles cellulaires. Sur des cellules Hela F508del-CFTR traitées avec notre composé, nous avons détecté grâce à la sonde fluorescente Oxonol, une modification de potentiel de membrane CFTR-dépendant. Nous avons également détecté en chambre de Ussing, un courant de court-circuit CFTR-dépendant dans un pseudo-épithélium formé par des cellules CFBE, traitées avec notre composé. De manière plus intéressante, nous avons confirmé l’effet correcteur du trivalent-DMJ sur des cellules épithéliales bronchiques fraichement isolées de patients homozygotes pour la mutation F508del.

160 Seule la bande B correspondante à la forme immature de F508del-CFTR a été observée dans les cellules Hela F508del-CFTR traitées avec le trivalent-DMJ. Nous supposons donc que notre correcteur adresse le canal F508del-CFTR à la membrane plasmique sous sa forme non mature mais fonctionnelle. Cette hypothèse a été confirmée par la technique de biotinylation de surface qui nous a permis de définir le profil de glycosylation de F508del-CFTR, présent au niveau de la surface cellulaire. Il a déjà été identifié que l’état de glycosylation de CFTR, WT ou F508del n’affecte pas sa fonction canal chlorure, et que la forme immature de F508del-CFTR est fonctionnelle si elle est restaurée à la surface cellulaire (Morris et al., 1993; Chang et al., 2008; Gee et al., 2011). Ainsi, deux hypothèses pourraient expliquer l’absence de restauration de la forme mature hautement glycosylée (bande C) de cette protéine (Figure 57) :  La première hypothèse est que le F508del-CFTR est restauré à la membrane cellulaire via la voie non conventionnelle ne passant pas par l’appareil de Golgi. En effet, il a été apporté que l’expression membranaire de F508del-CFTR pourrait être restaurée in vitro et in vivo en la dirigeant vers une voie de sécrétion non conventionnelle GRASP-dépendante, activée par le stress du RE (Gee et al., 2011). Cependant, nous n’avons constaté aucun effet du trivalent-DMJ sur le niveau d’expression protéique de la chaperonne BiP/GRP78 ou du facteur d’initiation de la traduction eif2α phosphorylé, connus pour être surexprimés lors d’une réponse UPR (Harding et al., 1999; Li et al., 2008; Wang et al., 2009; Nishitoh, 2012; Wang and Kaufman, 2014). De plus, nous avons observé que le trivalent-DMJ augmente l’interaction de F508del-CFTR avec les lectines ERGIC53 et VIP36, deux récepteurs localisés principalement dans le compartiment ERGIC et l’appareil de Golgi respectivement, suggérant la sortie de F508del-CFTR du RE et son passage par l’appareil de Golgi. Nous avons également démontré qu’il s’agissait d’une augmentation du taux d’interaction et non pas du niveau d’expression des protéines ERGIC53 et VIP36. Ces résultats suggèrent une restauration de F508del-CFTR à la membrane plasmique via la voie conventionnelle. Néanmoins, il serait intéressant de confirmer ce point, en vérifiant l’effet du trivalent-DMJ sur F508del-CFTR en inhibant par une stratégie de siRNA la voie de sécrétion GRASP-dépendent.

161 Figure 57 : Hypothèses de la restauration de F508del-CFTR à la membrane cellulaire sous sa

forme immature par le trivalent-DMJ.

 La deuxième hypothèse, la plus plausible, est que le trivalent-DMJ inhibe le processus de maturation de F508del-CFTR à l’origine de son envoi à la membrane cellulaire sous sa forme immature. En effet, ce composé est un dérivé du DMJ qui est un inhibiteur de l’activité mannosidase. Il serait donc possible qu’il puisse inhiber l’activité des mannosidases de l’appareil de Golgi, impliquées dans le processus de sa maturation. Cette hypothèse est soutenue par l’étude de Morris et ses collaborateurs montrant que le traitement avec le composé DMJ d’une ligné cellulaire du côlon humain (HT-29) polarisée ou non, réduit la masse moléculaire de la forme mature du WT-CFTR par 30 kDa, générant ainsi une forme à 140 kDa, correspondante à la forme immature de CFTR. De manière intéressante, la localisation membranaire de CFTR ainsi que le courant chlorure transepithelial n’ont pas été affectés (Morris et al., 1993). Notre hypothèse est également soutenue par une autre étude montrant que le DMJ inhibe la conversion du motif oligosaccharidique de type mannose élevé vers un motif complexe (Fuhrmann et al., 1984). Cette étude a démontré en effet, que les immunoglobulines IgM et IgD des cellules traitées avec le DMJ, présentaient des niveaux élevés de mannoses et que cela n’a pas empêché leur sécrétion dans le milieu de culture cellulaire. Les auteurs ont

162 suggéré qu’en présence du DMJ, les modifications terminales ne peuvent pas avoir lieu en raison de la présence des résidus mannose n’ayant pu être clivés.

Bien que cette hypothèse semble être la plus probable, il serait intéressant de mesurer l’effet du trivalent-DMJ sur l’activité enzymatique des mannosidases de l’appareil de Golgi impliquées dans la maturation de CFTR.

Dans un deuxième temps, nous avons cherché à explorer le mécanisme d’action du trivalent-DMJ mis en place pour la restauration de F508del-CFTR à la membrane cellulaire.

Pour cela, nous avons regardé l’effet du trivalent-DMJ sur les principaux acteurs impliqués dans le repliement et/ou la dégradation de F508del-CFTR. Les résultats obtenus n’ont montré aucun effet de notre composé sur le niveau d’expression protéique de la calnexine, Hsp70 ou Hsp90. De même, aucun effet n’a été observé sur leur interaction avec F508del-CFTR, suggérant que l’effet correcteur du trivalent-DMJ ne ciblerait pas ces protéines.

Nous avons alors suite à ces résultats cherché à savoir si le trivalent-DMJ diminuait l’interaction de F508del-CFTR avec l’ubiquitine ligase CHIP, celle-ci, identifiée pour être impliquée, en complexe avec Hsc70, dans la dégradation de F508del-CFTR (Meacham et al., 2001a; Alberti et al., 2004; Younger et al., 2006; Grove et al., 2009). En effet, CHIP est une co-chaperonne de Hsc/Hsp70 et Hsp90 et semble agir de manière post-traductionnelle sur le CFTR (Younger et al., 2006). Son association avec Hsc/Hsp70 et Hsp90 détourne ces chaperonnes de la voie de repliement vers la voie de dégradation en liant aux substrats associés des molécules d’ubiquitine (Figure 58). CHIP semble également jouer un rôle majeur dans la dégradation de F508del-CFTR restauré à la surface cellulaire ; en revanche elle n’affecte pas la demi-vie du WT-CFTR (Fu et al., 2012, 2015), suggérant que l’ubiquitinylation médiée par CHIP permettrait la dégradation sélective du F508del-CFTR mal replié, restauré à la membrane cellulaire.

163 Figure 58 : Principales protéines impliquées dans le repliement et/ou la dégradation de CFTR.

(Modifié d'après Kim and Skach, 2012)

Nous avons constaté dans notre étude encore préliminaire que le trivalent-DMJ n’aurait pas d’effet sur l’interaction de F508del-CFTR avec cette ligase. Ceci n’est pas étonnant, dans la mesure où une étude menée par Morito et ses collègues a suggéré que la dégradation de F508del-CFTR se fasse par au moins deux voie indépendantes (Morito et al., 2008) : une voie médiée par CHIP et une voie médiée par la coopération de RMA1-Gp78, d’autres ligases impliquées dans l’ubiquitinylation de F508del-CFTR. RMA1/RNF5 est une E3 ubiquitine ligase ancrée à l’extérieur de la membrane du RE et semble reconnaitre les défauts de repliement de CFTR de manière co-traductionnelle ; GP78 quant à elle présente à la fois une activité E3 et E4 ubiquitine ligase (Vij et al., 2006; Younger et al., 2006; Morito et al., 2008). Sur des cellules HEK293 sur-exprimant transitoirement F508del-CFTR, cette équipe avait constaté que le Gp78 favorise l’ubiquitinylation de F508del-CFTR dans les cellules CHIP-knockdown, mais pas dans les cellules RMA1-knockdown. De plus, le knockdown de Gp78 altère l’ubiquitinylation de F508del-CFTR et provoque un retard dans sa dégradation. Ce délai de dégradation est plus prononcé suite à la diminution de l’expression protéique de RMA1. De plus, le knockdown simultané de Gp78 et de RMA1 n’a pas montré d’effet additif sur le retard de la dégradation de F508del-CFTR. Ainsi, cette équipe suggère que RMA1 est spécifiquement requis en tant qu’enzyme E3 en amont pour l’activité E4-like de Gp78 et propose un transfert

164 direct de F508del-CFTR d’E3 à E4 dans le même complexe (Figure 59). Les auteurs ont démontré que la diminution du taux d’expression de la protéine CHIP a provoqué un retard dans la dégradation de F508del-CFTR, comparable à celui provoqué par Gp78-knockdown, et suggèrent que la voie de dégradation de F508del-CFTR médiée par CHIP serait indépendante de celle médiée par RMA1-Gp78.

Figure 59 : Modèle d’ubiquitinylation séquentielle de F508del-CFTR par des complexes contenant RMA1/RNF5 et Gp78.

(Modifié d'après Morito et al., 2008)

Afin de vérifier que le trivalent-DMJ n’a pas d’effet sur l’ubiquitinylation médiée par la ligase CHIP, il serait alors intéressant de regarder son effet sur l’interaction de Hsc/Hsp70 avec les co-chaperonnes productives à savoir, Hdj-2 et plus particulièrement HspB1, connue pour inhiber l’activité ubiquitine ligase de CHIP, et BAG-1, connue pour coopérer avec CHIP afin de déplacer l’activité de Hsc/Hsp70 du processus de repliement vers la dégradation (Demand et al., 2001; Alberti et al., 2004). Il serait aussi intéressant de comparer par co-immunoprécipitation, l’état du complexe protéique formé avec F508del-CFTR avant et après le traitement cellulaire par le trivalent-DMJ. Cela nous permettrait de caractériser les protéines qui s’associent ou qui se dissocient du CFTR après traitement avec notre composé.

Une autre étude a démontré que CHIP et RMA1/RNF5 agissent en séquentiel dans la membrane du RE et le cytosol respectivement, pour détecter et contrôler l’état de repliement de CFTR (Younger et al., 2006). Nous avons alors regardé l’effet du trivalent-DMJ sur l’interaction de F508del-CFTR avec RMA1/RNF5, et de manière surprenante, une augmentation importante (~ 80%) est apparue dans les cellules traitées avec notre correcteur. Deux hypothèses peuvent être envisagées pour expliquer cette augmentation :

165  La première hypothèse est que le trivalent-DMJ en diminuant l’interaction de F508del-CFTR avec les protéines EDEMs, empêche l’envoi de F508del-F508del-CFTR vers le récepteur SEL1L, un récepteur des substrats mal repliés au niveau du complexe de retrotranslocation HRD1/Gp78 et par conséquent favorise son envoie vers le complexe RMA1 (Figure 60). Cette hypothèse repose d’une part, sur le fait que les deux ligases HRD1/Gp78 et RMA1/RNF5 ont été identifiées pour être impliquées dans la dégradation de F508del-CFTR, et d’autre part, sur la nécessité du domaine mannosidase d’EDEM1 pour son interaction avec SEL1L (Cormier et al., 2009). Afin de vérifier cette hypothèse, il serait intéressant de vérifier l’effet du trivalent-DMJ sur l’interaction de F508del-CFTR avec les acteurs du complexe HRD1/Gp78. Une co-immunoprécipitation permettrait également de distinguer quels acteurs du complexe de rétro-translocation précipiteraient avec F508del-CFTR.

Figure 60 : Les trois principales ligases identifiées chez les mammifères.

Chaque ligase (en orange claire) fait partie d’un complexe avec une enzyme E2 ubiquitine-conjugué (en vert) et d’autres facteurs. Les substrats (en rose) sont ubiquitylés, extraits dans le cytoplasme par AAA+ATPase p97 et enfin dégradés par le protéasome (Modifié d'après Houck et al., 2012).

 La deuxième hypothèse est que le trivalent-DMJ inhibe la voie de dégradation de F508del-CFTR en aval de RMA1/RNF5, bloquant ainsi sa rétrotranslocation vers le cytosol et induisant son accumulation au niveau du complexe de rétro-translocation RMA1/RNF5. Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons regardé l’effet du trivalent-DMJ sur le protéasome, la voie dominante pour l’élimination du CFTR mal replié dans les cellules de mammifères (Gelman et al., 2002). Contre toute attente, une diminution de l’activité enzymatique du

166 protéasome intracellulaire et du protéasome purifié a été observée suite au traitement avec le trivalent-DMJ. Cela suggère que notre correcteur, connu comme un inhibiteur des α 1,2-mannosidases du RE inhibe de manière directe l’activité enzymatique du protéasome 20S. A notre connaissance, nos résultats seraient les premiers à démontrer un effet inhibiteur de la série DMJ sur l’activité enzymatique du protéasome. Cependant, l’origine de cet effet inhibiteur reste inconnu : s’agit-il de la présence d’un site catalytique dans le composé DMJ, ou bien, d’une conséquence des modifications chimiques, nécessaires pour la synthèse des composés multivalents ? Là encore, c’est un tout nouveau domaine à explorer.

L’ensemble de ces résultats nous laisse penser que le mécanisme d’action du trivalent-DMJ serait dépendant de la famille des protéines EDEM mais également du protéasome cellulaire.

D. A la recherche d’une autre cible thérapeutique pour la mucoviscidose :