• Aucun résultat trouvé

4. EXPERIMENTATION ORIGINELLE : EFFET DES PERSONAS SUR L’IDEATION DANS LA

4.4. R ESULTATS

4.4.1. Les performances créatives

L’analyse des résultats présente les données quantitatives puis qualitatives en les mettant en perspective avec nos hypothèses.

4.4.1.1. Analyse quantitative des idées produites

Fluidité

Les résultats obtenus (figure 37) montrent que le nombre d’idées générées est significativement plus important quand les experts ont recours à la méthode des personas. L’analyse de variance pour mesures répétées indique que le nombre d’idées générées en phase 2 est statistiquement différent du nombre évoqué en phase 1 (F (1, 4) = 13,55 ; p = 0,0212). Les participants génèrent 11,6 idées en moyenne (E.T. = 3,6) en phase 1 et 72,0 idées en moyenne (E.T. = 37,1) en phase 2.

Phases Phase 1 (sans méthode) Phase 2 (avec méthode) Concepteur 1 12 31 Concepteur 2 10 77 Concepteur 3 12 38 Concepteur 4 17 117 Concepteur 5 7 97 Moyenne 11,6 72,0 Écart-type 3,6 37,1

Figure 37. Nombre d’idées générées, sans et avec recours à la méthode des personas.

Flexibilité

La figure 38 met en évidence que, selon les analyses de variance pour mesures répétées réalisées sur le nombre d’idées classées selon les fonctions en phase 1 et 2, toutes les fonctions, sauf « Accréditer » et « Affirmer » ont bénéficié de la méthode des personas.

Archiver* Accréditer Analyser* Affirmer Associer* Actualiser* Animer* Conc. Sans Avec Sans Avec Sans Avec Sans Avec Sans Avec Sans Avec Sans Avec

1 5 7 0 4 2 5 2 2 0 5 1 6 2 2 2 6 29 0 12 0 10 0 8 0 9 3 11 1 9 3 5 8 7 5 0 7 0 0 0 11 0 9 0 12 4 5 30 3 6 2 16 2 21 2 21 0 10 3 15 5 3 20 0 16 4 18 0 14 0 16 0 11 0 10 Moy. 4,8 18,8 2,0 8,6 1,6 11,2 0,8 9,0 0,4 12,4 0,8 9,4 1,2 9,6 E.T. 1,1 11,0 3,1 5,2 1,7 5,6 1,1 8,7 0,9 6,2 1,3 2,1 1,3 4,8 F(1, 4) = 8,24 4,13 20,66 4,72 23,23 69,77 14,23 p ,045 ,112 ,010 ,095 ,008 ,001 ,019

Figure 38. Nombre d’idées générées, par fonctionnalité, sans recours aux personas (Phase 1) et avec recours aux personas (Phase 2)12.

Comme l’indique la figure 39, la méthode des personas a non seulement augmenté le nombre d’idées, mais a suscité des idées dans des catégories peu concernées en phase 1. Peu de participants ont en effet évoqué des idées liées aux fonctions « Accréditer », « Affirmer », « Associer », et « Actualiser ». Toutefois, en phase 2, tous les participants suscitent des idées qui concernent toutes les fonctions (sauf Affirmer). Concernant la fonction « Accréditer », des idées telles que « Voir figurer dans chaque document les sources et les références », ou « Disposer d’un label qualité » apparaissent. De même, lors de la phase 1, le fait d’associer d’autres bases de données et de connaissances à la BN avait été abordé par un seul expert sur les cinq. A titre d’exemple, les nouvelles idées suivantes ont émergé : « Bénéficier de la contribution des institutions européennes à la BN », « Etablir des liens avec des Associations ».

12 Les * indiquent que les moyennes sont significativement différentes, avec et sans recours aux personas (p<0,05)

Les experts avaient donc abordé nettement moins de domaines sans personas. Par contre avec les personas et la liste des fonctions proposées (les « 7 A »), la flexibilité des idées créatives augmente significativement.

Archiver Accréditer Analyser Affirmer Associer Actualiser Animer

Phase 1 (sans) 5 2 3 2 1 2 3 Phase 2 (avec) 5 5 5 4 5 5 5

Figure 39. Nombre de participants ayant généré des idées pouvant être classées dans chacune des fonctionnalités, sans recours aux personas (Phase 1) et avec recours aux personas (Phase 2).

4.4.1.2 Analyse qualitative

L’élaboration

Il ressort de la figure 40 que pour tous les concepteurs, une certaine proportion d’idées, entre 8 et 29% émises sans recours aux personas, a ensuite été détaillée sous la forme de plusieurs idées, avec les personas.

Proportion d'idées (en pourcentage) :

Émises sans personas et détaillées lors de l’idéation avec personas sous la forme de plusieurs idées

concepteur 1 8

concepteur 2 20

concepteur 3 8

concepteur 4 18

concepteur 5 29

Figure 40. Proportion d’idées produites spontanément (sans persona) et détaillées ensuite avec la méthode des personas.

La figure 41 montre qu’au niveau des idées produites avec persona, entre 4% et 34% détaillent des idées qui avaient déjà été produites, sans personas.

Proportion d'idées (en pourcentage) :

Émises lors de l’idéation avec personas et détaillant une idée déjà produite sans la

méthode des personas

concepteur 1 23

concepteur 2 34

concepteur 3 10

concepteur 4 28

concepteur 5 4

Figure 41. Proportion d’idées produites avec la méthode des personas et détaillant une idée déjà produite sans la méthode des personas.

Les concepteurs utilisent donc des idées générées sans personas en les réélaborant pour tel ou tel persona. Un processus d’élaboration a donc bien été observé. Il a consisté pour les concepteurs à préciser, avec les personas, un certain nombre

d’idées qui avaient déjà été générées. Mais qu’il s’agisse des idées générées spontanément ou des idées produites avec personas, la proportion d’idées liées au processus d’élaboration est inférieure à 34%. Nous sommes donc bien en présence d’idées qui sont, en majorité, nouvelles.

L’originalité

Les données du tableau 12 indiquent que pour tous les concepteurs, plus de 50% des idées produites avec personas sont nouvelles, par rapport aux idées qu’ils avaient générées spontanément. La majorité des idées émises avec la méthode des personas peut donc être considérée comme originale, en comparaison des idées produites sans la méthode.

Au niveau des idées émises sans personas (tableau 13), il ressort que pour 4 experts sur 5, certaines idées produites à l’origine n’ont pas été évoquées de nouveau avec la méthode des personas. Cette proportion se situe entre 10 et 67%.

Proportion d'idées (en pourcentages) Reprenant une idée

émise sans persona de manière similaire ou

identique

Détaillant une idée émise sans persona en la faisant évoluer Idées complètement nouvelles Total concepteur 1 16 23 61 100 concepteur 2 13 34 53 100 concepteur 3 5 10 85 100 concepteur 4 11 28 61 100 concepteur 5 3 4 93 100 Moy. 9.6 19.8 70.6

Tableau 12. Catégorisation des idées générées sur base des personas, selon qu’elles reprennent une idée produite sans persona, détaillent une idée également produite sans persona ou soient

complètement nouvelles.

Proportion d'idées (en pourcentage) Reprise lors des

personas Détaillée avec les personas Abandonnée avec les personas Total concepteur 1 67 8 25 100 concepteur 2 70 20 10 100 concepteur 3 25 8 67 100 concepteur 4 64 18 18 100 concepteur 5 71 29 0 100 Moy. 59,4% 16,6% 24,0%

Tableau 13 : Catégorisation des idées générées sans personas, selon le fait qu’elles soient ensuite reprises avec la méthode des personas, détaillées ou abandonnées

4.4.2. Le ressenti des concepteurs

Les entretiens menés avec les participants ont donné lieu à une analyse qui a permis de dégager trois éléments essentiels :

- un jugement globalement positif de la méthode par les participants ; - l’importance des contraintes dans l’expression d’idées créatives ; - une lourdeur ressentie et liée aux contraintes.

4.4.2.1. L’expression du jugement évaluatif

Trois experts sur cinq ont évalué l’effet de la méthode comme positif. Les personas sont alors envisagés comme des éléments médiateurs, permettant d’accéder à un utilisateur moyen : « C’est comme si on avait un représentant des utilisateurs finaux, qui vient vous dire en fait ce dont ils ont besoin, ou qui ils sont ». Ils sont également associés à la capacité à se mettre « dans la peau d’autres personnes », « dans la peau d’un personnage lorsqu’on joue au théâtre. » Au niveau des éléments déclencheurs des idées, les personas ont été assimilés par un participant à des stéréotypes, qui ont servi de base aux idées produites : « en fait, souvent, je me suis contenté d’utiliser mes stéréotypes ». Les deux autres experts ont trouvé les personas crédibles, mais ne sont pas en mesure d’identifier un ou plusieurs éléments précis, dans la description des personas, qui auraient présidé à la génération des idées. Il s’agirait plutôt d’un contexte général produit par l’ensemble des éléments descriptifs : « Ce n’est pas forcément les informations prises individuellement qui sont importantes, mais plus l’espèce d’ambiance ou de contexte que cela induit qui est intéressant, en fait, pour la génération des idées ». De plus, les personas permettent de générer des idées, non seulement par leurs contenus, mais aussi par leur capacité à faciliter un raisonnement par analogies. Ils « font penser » à des personnes que les experts ont pu connaître, ce qui aboutit à des idées supplémentaires.

De manière assez surprenante - car les résultats quantitatifs démentent leurs points de vue -, deux participants déclarent que les personas n’ont pas eu d’effet sur la production de leurs idées, qui aurait été quasiment identique sans le recours à la méthode : « je suis persuadé qu’on aurait presque pu faire la même chose sans avoir le profil du persona ». L’un dit même : « Pour moi, les trois – quarts des persona ne voulaient strictement rien dire ». Une contrainte de nature quantitative aurait eu, selon un expert, le même effet en termes de nombre d’idées émises. La description des personas est également assimilée à un élément de décoration : « moi, la description pour moi, elle n’est pas essentielle. « (…) C’est quelque chose en plus, qui vient en quelque sorte décorer ». Dans ces deux cas, la description des personas est comparée à une « description stéréotypée » qui pourrait s’appliquer à un nombre important de personnes, indépendamment du métier exercé. De ce fait, elle est vue comme très peu utile. La description des personas ne comporterait pas les éléments nécessaires à la conception, car elle n’intègre pas de descriptions de tâches. « Donc, voilà, si je dois conclure, j’ai pas besoin d’une description, enfin, à mon avis, pour réfléchir aux fonctionnalités. Ce dont j’aurais eu besoin, c’est de connaître de façon plus précise le travail qu’il fait, ses tâches et ses activités. (…) »…

Pas de consensus sur l’utilité perçue. Les personas comme supports informationnels légitimes ou éléments de décoration.

4.4.2.2. L’expression de l’importance des contraintes

De manière unanime, les participants mentionnent la notion de contrainte. D’une part, ils estiment avoir produit des idées au sein d’un cadre strict, mentionnant des « cases », des « trous » à remplir : « J’ai une matrice, j’ai des cases, il faut les remplir. Donc, je le fais.». L’idéation est alors considérée comme « contrainte et forcée ». Comme convenu par la méthode, les participants estiment que le cadre donné a orienté le sens des idées proposées, en particulier la description des personas qui a induit des idées : « Ce cadre-là m’a entre guillemets obligé à aller dans une certaine direction » ; « Je dirais que si c’est mis tel quel, si on nous dit quelques pistes, la personne qui lit risque de même pas imaginer d’autres pistes. Puisque c’est là. Peut-être que ça…J’en sais rien, mais peut-être que ça l’enferme ».

De même, les fonctionnalités proposées ne correspondent pas nécessairement à la manière dont les experts auraient appréhendé la problématique : « Ca nous oblige à réfléchir dans un cadre qui est le cadre de quelqu’un d’autre, du coup ». Les participants se rejoignent également sur la stratégie adoptée pour générer les idées : ils cherchent à produire des idées, persona par persona, et non pas fonctionnalité par fonctionnalité, ce choix étant motivé, selon eux, par la volonté d’éviter de constants va-et-vient entre les personas… Ils tendent ainsi à se mettre dans le rôle du persona et à identifier toutes les idées pour ce persona, avant de passer à un autre. Plus que de se centrer sur les fonctions, ils déclarent se centrer sur les utilisateurs !

4.4.2.3. Les impressions des participants

Le travail réalisé a suscité des réactions variées. Qualifié de « pénible » et « fastidieux », l’exercice a pu susciter un sentiment de « saturation ». La méthode a

été en effet considérée comme très consommatrice en temps. En moyenne, les experts ont déclaré consacrer 10 heures à l’exercice, la durée variant de 4 heures à une vingtaine d’heures. Le nombre de personas est également jugé comme important. Certains experts s’accordent sur le fait que parmi les onze personas, certains auraient pu être fusionnés. Cependant, d’après un expert et compte tenu de la nature des contenus du site, le nombre de personas aurait même pu être plus élevé. La méthode est également considérée comme « compliquée » et « difficile ». Enfin, le manque de conviction quant à la pertinence des réponses a également amené à une position inconfortable : « On peut imaginer tout un ensemble de choses concernant ces gens-là mais rien ne nous dit qu’on n’est pas complètement à côté de la question. Et ça, ça me dérangeait énormément. »

Cette manière d’appréhender l’exercice n’a pourtant pas été partagée par tous ; un expert donne un retour positif, qualifiant la méthode d’ « amusante » et « très ludique » et faisant référence à des jeux de rôles qu’il chercherait à orchestrer pour définir les futures utilisations de la bibliothèque numérique.