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Equilibres multiples et crises auto-r´ealisatrices

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 35-38)

1.2 Faits stylis´es

1.3.2 Equilibres multiples et crises auto-r´ealisatrices

Pour mod´eliser les crises de balance des paiements, les chapitres 3, 4 et 5 ont recours `a l’existence d’´equilibres multiples. Pendant une p´eriode tempo-relle donn´ee (ou, en temps continu, `a un instant donn´e), deux ´equilibres stables peuvent exister simultan´ement, dont l’un correspond `a une situation normale et l’autre `a un ´etat de crise de balance des paiements, conform´ement aux crit`eres ´enonc´es dans la section 1.3.1.

Cette multiplicit´e d’´equilibres permet de mod´eliser les crises de deux ma-ni`eres, selon la structure temporelle du mod`ele consid´er´e. Le chapitre 3 utilise un mod`ele `a deux p´eriodes, de nature statique, dans lequel la multiplicit´e d’´equilibres n’est possible que pendant la premi`ere p´eriode. L’´economie est en crise ou n’y est pas, mais elle n’entre pas en crise. On d´ecrit alors l’´equilibre de crise en le comparant `a l’´equilibre normal, dans un exercice de statique compa-rative, mais cette comparaison ne doit pas ˆetre confondue avec une description dynamique 18. Au contraire, dans les mod`eles dynamiques des chapitres 4 et 5, on peut d´efinir un ´episode de crise comme le passage, d’un instant `a l’autre, de l’´equilibre normal `a l’´equilibre de crise. Ce changement d’´equilibre a lieu le long d’une trajectoire dynamique et les descriptions dynamiques sont cor-rectes.

Lorsque plusieurs ´equilibres existent, l’´equilibre dans lequel se trouve l’´eco-nomie est enti`erement ind´etermin´e si l’on ne dote pas les agents de croyances leur permettant de se coordonner. Une croyance du type«l’´economie se trouve

18. Ainsi, par exemple, parler de«chute de l’investissement pendant une crise» est une facilit´e de langage. Au sens strict, on devrait dire que«l’investissement est plus faible que ce qu’il serait si l’´economie n’´etait pas en crise».

Choix de mod´elisation dans l’´equilibre de crise lorsque la valeur prise par la variableSse trouve dans le sous-ensemble E », o`u S est une variable quelconque (la fameuse variable de tˆaches solaires) et E un sous-ensemble de son domaine de d´efinition, est r´ealis´ee par le seul fait que les agents y adh`erent. La crise a alors un caract`ere auto-r´ealisateur.

Ce type de mod`ele a une longue histoire derri`ere lui. Les premiers exemples de mod`eles d’´equilibre g´en´eral dans lesquels les variables endog`enes d´ependent de croyances auto-r´ealisatrices datent de la fin des ann´ees 1970 et ont donn´e lieu `a de nombreux travaux (Cass & Shell 1983, Azariadis 1981, Azariadis &

Guesnerie 1986, Farmer & Woodford 1997, etc.). La plupart de ces travaux construisent des ´equilibres `a tˆaches solaires (sunspot equilibria) en exploitant l’existence de cycles p´eriodiques d´eterministes ou d’un continuum de trajec-toires d’´equilibres convergeant vers un mˆeme ´etat stationnaire. Plus r´ecem-ment, Cooper & John (1988) ont montr´e comment l’existence d’une compl´e-mentarit´e strat´egique permet de produire de mani`ere g´en´erique des ´equilibres multiples 19.

Les ´equilibres multiples ont fait leur apparition dans la litt´erature sur les crises de change `a partir des mod`eles dits de seconde g´en´eration (´egalement appel´esescape-clause models) inspir´es par les attaques sp´eculatives sur le Sys-t`eme Mon´etaire Europ´een en 1992-1993. Parmi les nombreux travaux th´eo-riques qui ont suivi la crise asiatique de 1997, plusieurs reposent ´egalement sur l’existence d’´equilibres multiples, et c’est dans cette derni`ere cat´egorie que s’inscrivent nos mod`eles. Pour plus de d´etails sur les diff´erents types de mod`eles de crises financi`eres, et en particulier sur les mod`eles de crises auto-r´ealisatrices, le lecteur pourra se r´ef´erer `a Cartapanis (2004), Jeanne (2000a) ou Masson (1999). Parmi l’ensemble foisonnant des m´ecanismes de crises pro-pos´es par cette litt´erature, Boyer, Dehove & Plihon (2004, chapitre II) iden-tifient un petit nombre de m´ecanismes ´el´ementaires qui, combin´es entre eux, produisent les diff´erents types de crises observ´ees empiriquement.

L’utilisation de mod`eles `a ´equilibres multiples pr´esente deux int´erˆets prin-cipaux. Le premier est d’ordre empirique. Puisque ces mod`eles produisent des crises auto-r´ealisatrices, ils permettent de rendre compte des ph´enom`enes de contagion, des paniques subites sur les march´es financiers et des retournements d’anticipations qui ne paraissent pas justifi´es par des changements dans les

19. Chatterjee, Cooper & Ravikumar (1993) utilisent cette strat´egie pour construire un exemple d’´equilibre stationnaire `a tˆaches solaires.

fondamentaux. Plusieurs travaux ont montr´e l’importance empirique de ces ph´enom`enes 20.

A nos yeux, le principal int´erˆet des mod`eles `a ´equilibres multiples r´eside` cependant dans le fait qu’ils permettent de rendre compte des crises de grande ampleur. Les crises financi`eres peuvent en effet ˆetre tr`es violentes et provo-quer, en un laps de temps assez court, un v´eritable effondrement de l’´economie.

Par exemple, la figure 1.2 montre l’´evolution tr`es marqu´ee des principales va-riables macro´economiques pendant la crise argentine : entre 2001 et 2002, le PIB chute de 11 %, l’investissement de 36 % et le taux de change r´eel de 47 %.

Un mod`ele `a ´equilibre unique n´ecessiterait un choc exog`ene important pour d´eplacer l’´equilibre de mani`ere `a reproduire de telles ´evolutions. Au contraire, dans un mod`ele `a ´equilibres multiples, un petit choc sur une variable exo-g`ene peut provoquer la disparition de l’´equilibre normal et faire ainsi basculer l’´economie dans l’´equilibre de crise. Comme les deux ´equilibres peuvent ˆetre tr`es distants l’un de l’autre, ce m´ecanisme permet d’expliquer comment de petites causes produisent de tr`es grands effets 21. Nous explorons cette possi-bilit´e dans le chapitre 4. Par ailleurs, comme le souligne Woodford (1987), un petit choc sur un fondamental peut faire office de variable de tˆaches solaires et d´eclencher le renversement des croyances et le basculement d’un ´equilibre

`a l’autre.

D`es lors, on peut admettre que les crises concr`etes puissent ˆetre d´eclen-ch´ees par toutes sortes de chocs et choisir n´eanmoins d’´etudier des crises auto-r´ealisatrices. L’int´erˆet th´eorique de la crise auto-r´ealisatrice provient alors de ce qu’elle constitue une formepure de crise, ind´ependante de tout choc, ce qui

20. Voir Cartapanis, Dropsy & Mametz (2002) pour l’importance des effets de contagion dans la crise asiatique. Les travaux de Jeanne (1997) et Jeanne & Masson (2000) sur la crise du franc fran¸cais du d´ebut des ann´ees 1990 montrent que les mod`eles ´econom´etriques qui incluent des croyances auto-r´ealisatrices donnent de meilleurs r´esultats que les mod`eles traditionnels.

21. La litt´erature sur les imperfections de march´es financiers met en ´evidence des m´e-canismes amplificateurs qui permettent ´egalement d’expliquer comment de petits chocs produisent de grands effets (Bernanke & Gertler 1989, Kiyotaki & Moore 1997). Mais, dans cette litt´erature, le changement continu d’une variable exog`ene provoque en g´en´eral un d´e-placement continu de l’´equilibre. Dans un mod`ele `a ´equilibres multiples, au contraire, le changement continu d’une variable exog`ene peut provoquer une bifurcation et un change-ment discontinu d’´equilibre. Ces deux types de mod`eles ne sont cependant pas enti`erechange-ment

´etrangers l’un `a l’autre. Comme le montrent Cooper & John (1988) une compl´ementarit´e strat´egique donne lieu `a un m´ecanisme amplificateur lorsque son intensit´e est faible, et produit des ´equilibres multiples si elle est suffisamment forte.

Choix de mod´elisation permet de concentrer l’analyse sur les causes structurelles de fragilit´e,

c’est-`a-dire sur les m´ecanismes qui sous-tendent l’existence de plusieurs ´equilibres.

Si les fondamentaux ne d´eterminent pas directement le d´eclenchement de la crise, ils d´eterminent en revanche lafragilit´e financi`ered’une ´economie, d´efinie comme l’existence de l’´equilibre de crise. Plus que des mod`eles de crise, les mo-d`eles `a ´equilibres multiples sont donc des momo-d`eles de fragilit´e financi`ere. Les chapitres 4 et 5 ´etudient ainsi la fragilit´e financi`ere d’une ´economie ´emergente le long d’une trajectoire d’´equilibre. Ils permettent par exemple de d´etermi-ner si la fragilit´e financi`ere concerne uniquement les phases de dynamique transitoire ou si elle peut ´egalement ˆetre une propri´et´e de l’´etat stationnaire.

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