• Aucun résultat trouvé

Crises de balance des paiements autor´ealisatrices

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 79-83)

Pour ´etudier les crises de balance des paiements auto-r´ealisatrices, nous utilisons dans ce chapitre, ainsi que dans les chapitres 4 et 5, un mod`ele capable de produire des ´equilibres multiples qui diff`erent par le niveau du taux de change r´eel et de l’investissement dans le secteur des biens non ´echangeables.

Lorsque deux ´equilibres stables existent simultan´ement, nous identifions `a une situation de crise l’´equilibre dans lequel le taux de change r´eel est d´epr´eci´e et l’investissement faible, et `a une p´eriode normale celui dans lequel le taux de change r´eel est appr´eci´e et l’investissement ´elev´e.

L’existence de deux ´equilibres, et donc la possibilit´e que des crises auto-r´ealisatrices se produisent, repose sur un double m´ecanisme, repr´esent´e sch´e-matiquement sur la figure 3.1. Nous consid´erons le cas d’un mod`ele `a deux secteurs produisant des biens ´echangeables T et non ´echangeables N 1.

– D’une part, une chute de l’investissement dans le secteur producteur de biens non ´echangeables entraˆıne une d´epr´eciation r´eelle. En effet, lorsque les d´epenses d’investissement consistent `a la fois en biens T et en biens N, une baisse de l’investissement se traduit par une diminution de la demande adress´ee `a chaque secteur. Dans une petite ´economie ouverte

1. Pour un mod`ele de ce type comportant un secteur unique qui produit un bien national imparfaitement substituable avec le bien ´etranger, voir Krugman (1999).

Crises de balance des paiements autor´ealisatrices faisant face `a une demande ´etrang`ere de biens ´echangeables infiniment

´elastique, la baisse de la demande nationale de biens T peut ˆetre en-ti`erement compens´ee par une augmentation des exportations nettes. En revanche, si l’offre est rigide `a court terme dans le secteur produisant des biens N, la baisse de la demande adress´ee `a ce secteur ne peut ˆetre accommod´ee que par une chute du prix relatif des biens N par rapport aux biens T, c’est-`a-dire par une d´epr´eciation r´eelle.

– D’autre part, une d´epr´eciation r´eelle provoque une chute de l’investisse-ment dans le secteur producteur de biens non ´echangeables.

↓Investissement ↓ Demande

T ↑ Exportations nettes

N ↓ D´epr´eciation r´eelle

offre rigide

Fig. 3.1 – M´ecanisme de crise auto-r´ealisatrice.

La conjonction de ces deux m´ecanismes produit un processus cumulatif par l’interm´ediaire duquel un petit choc exog`ene sur l’investissement ou sur le taux de change r´eel provoquein fine une variation importante de ces deux variables.

Si l’effet cumulatif est assez fort, on peut aboutir `a une situation d’´equilibres multiples dans laquelle les deux m´ecanismes se valident mutuellement :

– Dans un ´equilibre correspondant `a une p´eriode normale, un taux de change r´eel appr´eci´e induit un niveau ´elev´e de l’investissement qui sou-tient le taux de change r´eel.

– Dans un ´equilibre de crise, le taux de change r´eel d´epr´eci´e est `a l’origine d’un faible niveau d’investissement qui entraˆıne un taux de change r´eel d´epr´eci´e.

Dans ce double m´ecanisme, la causalit´e qui va de la d´epr´eciation r´eelle vers la chute de l’investissement joue un rˆole central. Or, cette causalit´e ne va pas de soi. Dans un monde de march´es parfaits, les entrepreneurs prennent leurs d´ecisions d’investissement en fonction du rendement futur anticip´e de l’investissement, lequel est justement ´elev´e lorsque le taux de change r´eel est d´epr´eci´e et que l’investissement agr´eg´e du secteur N est faible. En effet,

– les d´epenses d’investissement (mesur´ees en biens T) sont faibles quand le prix relatif du bien N est faible,

– un faible niveau d’investissement dans le secteur N «aujourd’hui» en-traˆıne une faible offre agr´eg´ee de biens N «demain», ce qui se traduit par un prix relatif ´elev´e des biens N par rapport aux biens T«demain». Dans une telle situation, un entrepreneur individuel est en mesure d’investir `a peu de frais pour vendre une production future `a un prix ´elev´e, ce qui devrait l’inciter `a investir. En l’absence d’imperfection de march´e, on obtiendrait ainsi un m´ecanisme inverse en vertu duquel les comportements d’investissement des entrepreneurs permettraient d’amortir l’impact des d´epr´eciations r´eelles et rendraient impossibles les crises auto-r´ealisatrices.

Nous pr´esentons `a pr´esent deux m´ecanismes par lesquels une d´epr´eciation r´eelle peut induire une chute de l’investissement dans le secteur producteur de biens non ´echangeables.

Currency mismatch et contrainte d’endettement

Un premier m´ecanisme, introduit par Krugman (1999) et d´ej`a largement utilis´e dans la litt´erature sur les crises de balance des paiements, repose sur l’existence d’une contrainte d’endettement et d’un currency mismatch dans les bilans des firmes du secteur producteur de biens non ´echangeables. Si ce secteur est endett´e en biens ´echangeables, une d´epr´eciation r´eelle diminue les profits des entrepreneurs, qui constituent en partie leurs fonds propres. En raison de la contrainte d’endettement, cette diminution se traduit par une moindre capacit´e d’investir.

Dans cette cat´egorie de mod`eles, l’obtention d’´equilibres multiples n´eces-site une contrainte d’endettement suffisamment faible. En effet, la capacit´e d’investissement des entrepreneurs est proportionnelle `a leurs fonds propres.

Si le coefficient de proportionnalit´e, que nous d´esignons sous le terme de mul-tiplicateur financier, est ´elev´e, l’investissement est tr`es sensible aux variations des fonds propres induites par celles du taux de change r´eel. Alors, le proces-sus conjoint de d´epr´eciation r´eelle et de chute de l’investissement peut aboutir

`a un ´equilibre de crise dans lequel le produit des ventes ne permet plus de couvrir le remboursement de la dette en biens ´echangeables. Les firmes qui produisent des biens non ´echangeables font donc d´efaut dans l’´equilibre cor-respondant `a la crise. Au total, l’existence d’un ´equilibre de crise suppose : 1o un multiplicateur financier suffisamment ´elev´e, ce qui correspond `a une contrainte d’endettement suffisamment faible, 2o l’existence d’une dette en biens ´echangeables dans le secteur producteur de biens non ´echangeables.

Crises de balance des paiements autor´ealisatrices Ce type de m´ecanisme est utilis´e par Krugman (1999) et Schneider &

Tornell (2004) ; nous l’utiliserons nous-mˆeme dans le chapitre 4. Le mod`ele d’Aghion et al. (2004b) repose sur une version dynamique de ce m´ecanisme, dans laquelle des cycles endog`enes sont obtenus de mani`ere ´equivalente aux

´equilibres multiples. Aghion et al. (2004a) et Jeanne & Zettelmeyer (2002) en proposent une version mon´etaire dans laquelle une d´epr´eciation nominale provoque une d´epr´eciation r´eelle en raison de prix rigides 2.

Incertitude et risque d’illiquidit´e

Dans ce chapitre, nous introduisons un m´ecanisme alternatif. Ce m´eca-nisme repose ´egalement sur l’existence d’une contrainte d’endettement, mais ne n´ecessite pas de dette en biens ´echangeables dans le secteur producteur de biens non ´echangeables.

Nous supposons que les projets d’investissement du secteur producteur de biens non ´echangeables peuvent subir un choc de liquidit´e avant de parvenir `a leur terme. Si l’entrepreneur ne r´einvestit pas une certaine quantit´e de biens

´echangeables, le projet est abandonn´e et l’investissement initial est perdu. La rentabilit´e de l’investissement d´epend donc de la capacit´e de l’entrepreneur

`a disposer de la liquidit´e n´ecessaire, en biens ´echangeables, pour faire face `a un choc ´eventuel. Or, en pr´esence d’une contrainte d’endettement, la liquidit´e totale dont peut disposer un entrepreneur est fonction de ses fonds propres.

En cas de d´epr´eciation r´eelle, la valeur en biens ´echangeables des fonds propres diminue et l’entrepreneur peut ˆetre incapable d’emprunter la quantit´e de biens

´echangeables n´ecessaire `a la continuation du projet.

Une d´epr´eciation r´eelle augmente le risque que l’entrepreneur soit oblig´e d’abandonner le projet ex post et diminue de ce fait la rentabilit´e ex ante de l’investissement, de sorte que l’entrepreneur peut avoir int´erˆet `a ne pas investir.

Une hypoth`ese importante est le fait que les projets d’investissement sont indivisibles. Si le projet n’est pas rentable, l’entrepreneur n’a pas la possibilit´e d’en diminuer l’´echelle de mani`ere `a augmenter ses r´eserves de liquidit´e. Il d´ecide alors de ne pas lancer le projet du tout.

2. Dans un mod`ele mon´etaire, l’impact de l’investissement sur le taux de change nominal de la p´eriode courante passe par la production future, la demande de monnaie future et la condition de parit´e des taux d’int´erˆet non couverts.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 79-83)