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Section I. Les jeunes sans qualification : de l’école à la formation

2. La formation comme réponse aux difficultés d’insertion

2.2. Les entraves

Outre les barrières classiques à l’emploi des jeunes (de tous niveaux de formation), à savoir la crise de l’emploi, le manque d’expérience, l’inadéquation de la formation et l’existence d’un salaire minimum (Lefresene, 2003 : 33), d’autres éléments expliquent les difficultés particulières d’insertion des JSQ : des difficultés sociologiques (2.2.1.), l’absence de diplôme (2.2.2.) et l’accès difficile aux emplois non-qualifiés (2.2.3.).

2.2.1. Des difficultés sociologiques

Les sociologues identifient trois entraves susceptibles d’expliquer à la fois l’échec scolaire et le comportement au travail des JSQ : le capital socioculturel et la situation professionnelle des parents, l’évolution dans un univers clos, la pauvreté des échanges linguistiques. Ces éléments constituent autant d’obstacles à l’insertion.

Le niveau socioéconomique et les habitudes culturelles des parents restent des déterminants de la réussite scolaire de l’enfant (Lautrey, 1984). En effet, le risque d’abandon prématuré du système éducatif se manifeste souvent dans des familles où l’échec scolaire présente un aspect intergénérationnel (Poulet-Coulibando, 2000). Selon le Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion sociale (CERC, 2008), plus d’un sortant sans diplôme sur trois appartient à une famille dont les deux parents ne détiennent aucune qualification. Ainsi, un JSQ sur deux, possède un frère ou une sœur qui se trouvent aussi sans diplôme (Enquête FQP 2003, calculs CERC). De ce fait, les possibilités d’aide aux devoirs scolaires sont limitées. En revanche, l’absence de qualification reste rare chez les enfants d’enseignants et de cadres. Cependant, le CEREQ (2007, enquête Génération 2004) constate qu’elle est plus fréquente chez les enfants d’immigrés nés hors d’Europe. Ces derniers constituent 18 % de l’ensemble des JSQ (ibid.). Poulet-Coulibando (2000) précise que ces jeunes éprouvent plus de difficultés que les autres à réussir leurs études et à s’insérer dans l’emploi en raison de conditions de vie difficiles.

Les difficultés d’insertion professionnelle peuvent s’expliquer aussi par la situation des parents par rapport à l’emploi dont les parcours sont souvent marqués par de longues périodes de chômage et d’inactivité. A titre indicatif, plus de 20 % des pères de JSQ se trouvent sans emploi, contre 8% des pères des diplômés (Enquête FQP 2003, calculs CERC). Force est de constater que la modeste expérience des parents ne permettrait pas la constitution d’un réseau professionnel sur lequel le jeune peut s’appuyer à la sortie de l’école. De plus, la transmission des valeurs essentielles du travail s’avère difficile car, comme le constatent plusieurs auteurs (Bernier, 1986 ; Barling et al., 1998), les éléments constitutifs de la culture du travail (ponctualité, etc.) apparaissent comme le reflet de comportements observés par le jeune dans son milieu familial. De même, ces parents éprouvent des difficultés de les conseiller dans leur choix de métier. Ces constats sont d’autant plus marqués pour les jeunes appartenant à des familles monoparentales dont la mère possède l’entière responsabilité, familles qui cumulent les difficultés dans la mesure où leur situation sur le marché d’emploi reste particulièrement vulnérable (Chardon et al., 2008). L’univers clos est considéré comme le deuxième obstacle pour les JSQ.

Selon Dubet (1987), la plupart des JSQ issus des zones urbaines sensibles (ZUS) évoluent dans un univers clos et entrent très rarement en contact avec les membres des autres générations. Cet auteur rappelle que les relations avec ces derniers semblent déterminantes pour l’insertion sociale. Au fil du temps, cet univers clos peut devenir un facteur d’exclusion. En outre, l’absence d’échanges réguliers avec des adultes conduit au développement d’une culture parallèle au sein de laquelle les normes et les valeurs se situent en complet décalage avec celles en vigueur dans l’entreprise. Ainsi, l’intégration des JSQ au sein des organisations est souvent jugée difficile comme le montre une recherche menée par Sabouné et Duyck (2007, 2008) auprès d’employeurs rochefortais recrutant habituellement des jeunes faiblement qualifiés qui habitent dans des quartiers dits « difficiles ».

Le troisième obstacle concerne la pauvreté du vocabulaire employé par la plupart des JSQ. Bernstein (1971) explique ce phénomène par la faiblesse quantitative et qualitative de des interactions avec des personnes étrangères à leur propre univers qui influe négativement sur leur capacité d’apprentissage. Cette situation s’explique aussi par le fait que certains d’entre eux appartiennent à des familles issues de l’immigration qui maîtrisent mal la langue française. De plus, certains groupes de JSQ tendent à créer leur propre « code linguistique ». Bautier (1995) souligne que dorénavant l’apprentissage de savoir-faire ouvriers s’effectue

rarement par un processus d’observation-imitation. La médiation du langage s’avère donc indispensable.

L’absence de qualification constitue la seconde entrave à l’insertion des JSQ.

2.2.2. L’absence de diplôme

D’après Vincens (1997), l’élévation générale du niveau de formation associée à un taux de chômage élevé, accroissent les difficultés d’insertion des JSQ. Le risque de chômage, comme la qualité de l’insertion professionnelle, dépendent étroitement du niveau de formation (Rose, 2005). Comme le souligne de nombreux auteurs et organismes (Lefresne, 2003 ; Nicole-Drancout, Roulleau-Berger, 2006 ; Pôle emploi, 2009 ; CEREQ, 2011), l’absence de diplôme constitue un handicap majeur pour les jeunes sur le marché du travail, notamment en période de récession. En outre, les évolutions des modes de gestion de l’entreprise et d’organisation du travail nécessitent de disposer des salariés diplômés : « en assistant au passage d’une

organisation hiérarchisée avec du personnel peu qualifié, à une organisation en réseaux […] le travail n’implique plus l’exécution pure et simple mais une intelligence de la tâche. L’homme de métier cède la place à l’homme de savoir professionnel de formation générale […] Les besoins en compétences se caractérisent par une diminution des aptitudes gestuelles, par une augmentation des aptitudes à raisonner, à communiquer […] » (Mahé de

Boislandelles, 1998).

Par ailleurs, l’étude de l’effet du diplôme sur l’insertion renvoie à la théorie du signal développée par Spence (1973). Cette théorie postule que le recruteur éprouve des difficultés à estimer la productivité de la personne qu’il va embaucher. Cependant, il connaît certains éléments qui sont, soit supposés inaltérables (date de naissance, sexe par exemple) appelés « indices », soit supposés contrôlables par la personne (expériences, diplômes par exemple) appelés « signaux ». Le recruteur, grâce à ses expériences de recrutement antérieures, se trouve souvent en mesure d’associer des combinaisons d’indices et de signaux à des niveaux de productivité. En ce sens, le diplôme peut fournir : « une information à l’employeur qui

Il convient de préciser que l’entrée de certains JSQ dans la vie active s’effectue parfois par un « portail particulier ». L’absence de diplôme est souvent tolérée par :

 des entreprises confrontées à des difficultés de recrutement, en particulier celles de BTP, d’Hôtellerie-restauration et de Propreté (Sabouné, 2006) ;

 des chefs des PME et des TPE sensibles à l’insertion des « publics fragiles » (Angotti

et al., 2008).

Néanmoins, l’accès des JSQ à des emplois dits « non qualifiés » ne s’opère pas de manière automatique.

2.2.3. Les jeunes sans qualification face à l’emploi non qualifié : un accès précaire et concurrencé

Les années 1950 et 1960 ont été des périodes fortes pour l’emploi, y compris celui des JSQ, du fait d’une main d’œuvre rare, de nombreux emplois, principalement dans le secteur industriel, ne nécessitaient aucun diplôme. Au début des années 1970, les besoin en qualification du système de production commencent à accroître. Pour tenter d’y répondre, des politiques d’« absorption des jeunes » ont été donc mises en place par l’Etat (OCDE, 1984 : 40). Leur objectif consistait à adapter au mieux les qualifications des jeunes et le coût de leur embauche aux exigences des firmes. Au cours de ces mêmes années, la réduction de l’emploi, causée principalement par les crises pétrolières de 1973 et de 1977 et le progrès technique, a concerné en premier lieu les secteurs d’activité et les professions qui recrutent habituellement une forte proportion des JSQ (ibid. : 50). D’après l’INSEE (2001, 2009), la baisse de l’emploi non qualifié (désormais ENQ) s’est poursuivie pendant les années 1980 et jusqu’en 1994. Ce phénomène s’explique surtout par le déclin de l’emploi industriel : entre 1980 et 2001, près d’un million de postes non qualifiés ont disparu (INSEE, 2001). Ainsi, selon un rapport de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique (DGTPE)8, l’industrie française a perdu de l’ordre de deux millions emplois (qualifiés et non qualifiés) entre 1980 et 2007 du fait notamment de la concurrence internationale.

L’INSEE (2001, 2009) constate que, entre le milieu des années 1990 et 2001, le ratio des ENQ a considérablement augmenté pour retrouver le même niveau qu’il y a 20 ans. Cet institut souligne que cette augmentation est due notamment au développement de l’ENQ dans le secteur tertiaire, plus précisément dans les secteurs de commerce, des services aux personnes et des services aux entreprises. Ces emplois ont au moins partiellement compensé le recul de l’emploi industriel. Burnod et Chenu (2001) notent que ces emplois restent les moins valorisés socialement et les plus mal payés. De plus, ils se caractérisent par des conditions de travail et d’emploi (contrats précaires) difficiles (ibid.).

Cependant, Minni et Poulet-Coulibando (2001) constatent que les JSQ ont très peu bénéficié du développement des ENQ. De facto, même si l’exercice des ces derniers n’exige aucune qualification, ils sont souvent occupés provisoirement par des jeunes diplômés (Maisonneuve, Girardeau, 2011). A titre d’exemple, la politique de recrutement des réseaux de restauration rapide Quick et McDonald’s tendent à privilégier l’embauche des étudiants pour des postes de « serveur » ou d’« équipier polyvalent ». Béduwé (2004) note que le passage par un ENQ dans les premières années de vie active demeure « quasi obligatoire pour

quatre jeunes sur dix issus de tous niveaux de formation ». Elle constate aussi que l’ENQ :

correspond à un passage pour les sortants du supérieur ;

 constitue une situation qui tend à se stabiliser pour les titulaires d’un CAP, d’un BEP ou d’un baccalauréat professionnel ;

s’agit souvent d'un emploi précaire qui permet d'échapper temporairement au chômage pour les JSQ, mais pourtant « ces jeunes encourent tous les risques de

retours prolongés vers le chômage » (ibid.).

L’ensemble de ces entraves ont conduit les pouvoirs publics à retenir cette « population

désavantagée » (Giret, Lopez, 2005 : 31) comme cible de nombreuses mesures d’emploi et de

formation.