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Deuxième partie : Enseigner au primaire au Burkina Faso : une photographie actualisée du métier d’instituteur

I. Enseignant du primaire : un métier qui s’adapte au temps

Dans une tribune intitulée Une profession parmi les plus nobles, L. Dumas, nostalgique du métier décrit l’enseignement du primaire à travers l’instituteur en ces termes :

L’organisation moderne de la plupart des métiers tend à la fragmentation, à la spécialisation, et à la stricte subordination à la direction.

Alors s’est créé l’esclavage technique d’un personnel qui reçoit des consignes formelles, sans participer à leur élaboration et qui travaille à une œuvre sans y être associé. Subalterne, l’ouvrier de ces entreprises ne coopère pas ; il obéit. Aussi se désintéresse-t-il d’un travail dont les tenants et les aboutissants lui échappent. L’agent d’exécution ainsi frustré de la fierté légitime de l’artisan en face d’un objet créé par lui, perd dans cette humiliation, l’amour d’un métier qui lui permet de vivre, mais ne donne pas de sens à sa vie. C’est là un des aspects les plus pénibles de la condition ouvrière.

Mais toi instituteur, maître d’une école ou maître d’une classe, ta profession reste merveilleusement humaine. Tu reçois des enfants. Tu les élèves sous ta responsabilité, selon tes plans, selon tes méthodes, ta technique et tes instruments.

Tu n’es l’agent d’exécution ni de ton directeur, ni de ton inspecteur. Le contrôle discret et intermittent qui s’exerce sur toi au nom de la nation, ne la transforme, à aucun titre, sous aucun aspect, en outil animé, obéissant à des consignes formelles d’un bureau de direction.

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Ta condition reste celle d’un homme libre. Tu trouves dans ton activité professionnelle, elle-même, la joie de créer, le moyen de satisfaire ton besoin de culture, la certitude de participer directement à une tâche sociale essentielle.

Ton métier n’est pas la corvée d’accomplir le geste fastidieux et vide d’un automate, mais une des raisons d’être de toute existence une source intérieure où s’alimentent enthousiasme et le dévouement qui caractérisent la jeunesse. »89

Le métier d’instituteur ou d’enseignant du primaire, loin d’être un métier de dépendance, de soumission ou d’aliénation, est de fait, un métier de responsabilité, d’autonomie et d’expertise par essence. Il puise ainsi sa dynamique dans sa capacité à organiser et à assumer de façon autonome l’exécution de ses tâches.

Aussi, le métier d’enseignant du primaire exige-t-il au regard de sa complexité aussi bien des capacités intellectuelles qu’humaines. Etre au faîte de l’actualité et de la connaissance, s’engager sur le sentier de la vertu et de la justice, concilier séduction et répression, savoir s’ouvrir aux autres tout en préservant leurs confidences, vivre au quotidien entre les dilemmes éthiques et les urgences sociales, s’exposer aux émotions en toutes circonstances rythment entre autres la fonction d’enseignant du primaire. Tout cela fait du métier d’instituteur un métier de haute nécessité et d’utilité sociale.

Cette représentation de la fonction d’enseignant notamment du primaire est cependant atténuée par GAUTHIER G. qui estime qu’avec la massification de la fonction, avec l’augmentation considérable du nombre d’enseignants, l’enseignement a perdu beaucoup de son prestige. Ainsi, estime-t-il que, l’enseignant est rattaché au monde urbain et moderne et « se nourrit de conflits, de fantasmes sexuels, de crises, de rêves de jouvence. »90

Aussi, l’enseignement et plus précisément le métier d’instituteur apparait comme toutes les fonctions sociales qui, en tant que telles, évoluent dans un contexte social mouvant avec ses qualités et ses insuffisances. Cette ambivalence de la fonction est également relevée par Anne BARRERE quand elle note que « L’opinion publique possède bien des images du travail enseignant. Des images brouillées cependant, et toujours contradictoires. Celle du "métier impossible" de l’enseignant en première ligne des fractures sociales. Celle du fonctionnaire à

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DUMAS L., Au pied du mur, extrait de Notre beau métier de MACAIRE, F., (1980), Les classiques Africaines, éd. Saint Paul, Paris, p. 47

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GAUTHIER G., La représentation des enseignants dans le cinéma français 1964-1994, Recherche et formation

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l’abri des aléas du chômage, de la concurrence économique et de l’obligation de rentabilité. Celles de l’éveilleur de vocations, du dépressif convalescent, de l’enseignant "proche des jeunes" et bien dans sa peau. »91

Ces images contradictoires attribuées à la fonction enseignante notamment du primaire révèlent sa complexité. Si l’enseignant doit incarner la vertu, le modèle, le guide dans la société, il ne faut pas perdre de vue qu’il est lui-même un agent social. A cet effet, nous sommes fondé à dire que le procès qui est fait à l’enseignant est lié à l’importance de ce que la société attend de lui.

De ce qui précède, on constate une évolution de la fonction et de l’image de l’instituteur. D’un prestige inégalé, le métier d’instituteur apparait de plus en plus comme une fonction controversée. Les mutations constatées dans toutes les sphères de la société ces dernières décennies ne sont pas étrangères à cette situation. En effet, les changements socio-économiques, culturels, technologiques et scientifiques ont contribué à transformer la fonction qui, dans un passé récent encore, se voulait dans son action, un indicateur social de sagesse, de rigueur de bons exemples etc.

Cependant, Jean-Pierre OBIN, estime que ni la massification du corps, ni l’évolution de la société ne nuisent à l’image du métier. Bien au contraire, pour lui, « La position occupée dans la société par les enseignants est centrale. Il y a certes à cela une raison numérique. Mais leur importance est loin de se réduire à leur poids démographique, surtout dans une période où les évolutions culturelles et la crise économique ont considérablement développé les attentes vis-à-vis de l’école. Car tout montre que l’éducation est le facteur le plus important de la croissance économique et de la vitalité d’une nation »92

La société, avec le temps, n’attend plus seulement de l’instituteur l’instruction des jeunes et la formation intellectuelle des apprenants, mais elle attend surtout de lui une contribution active à leur socialisation, à la réduction des inégalités sociales à travers l’insertion professionnelle. Pour Jean-Pierre OBIN, les parents de nos jours attendent de l’instituteur qu’il « outille, cultive, épanouisse et socialise leurs enfants et leur ouvre une bonne situation sociale »93. A ce propos, « outre la mise en œuvre de ses connaissances disciplinaires, l’enseignant doit être à même de "construire des situations d’enseignement et d’apprentissage", "communiquer

91BARRERE A., Les enseignants au travail, L’Harmattan, Paris, 2002, p.11

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OBIN J-P, Etre enseignant aujourd’hui, les paradoxes de l’enseignement français, Hachette, 2011, P. 33

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l’envie d’apprendre", "favoriser les situations interactives", "s’adapter à des situations inattendues sur le plan didactique, pédagogique, éducatif". »94

Toutefois, contrairement à ce que véhicule le mythe, le métier d’enseignant au niveau primaire de l’école publique est un métier relativement récent, issu de la modernité politique et industrielle du 19èmesiècle. Il est aussi, de l’avis de NIQUE, (1991) et BAGNOUD, (2003) un métier dont le prestige n’est historiquement pas celui que lui attribue les « images d’Epinal » que se plaisent à évoquer les nostalgiques de l’âge d’or de l’instituteur.

Depuis qu’il existe ce métier a toujours été en évolution et soumis aux exigences politiques des élites gouvernantes.

Le XIXème siècle est pour l’Occident, le siècle des révolutions industrielles. Pour l’Afrique, c’est le siècle de la colonisation européenne, de la soumission et de la fin des anciennes structures géopolitiques.

L’instituteur du XIXème siècle « appartient à un milieu professionnel de plus en plus structuré…il est condamné à avoir une destinée individuelle…c’est souvent dans la solitude qu’il affronte le problème de carrière et les conflits auxquels expose, à ce siècle, ce métier. »95 Ainsi du temps des instituteurs régents payés à la tâche et selon leur capacité à savoir lire seulement, ou lire et écrire (Prost, 1968; Mayeur, 1981/2004) et rétribués souvent encore en nature (Boucard, 1938) on évolue vers un corps de professionnels formés dans les instituts. Cette évolution se fera peu à peu selon l’évolution industrielle et la demande sociale. Aussi, l’école primaire publique et les institutions qui en dépendent verront se modifier les attentes envers leurs buts et missions au fur et à mesure que les attentes sociales évolueront.

Le XXèmesiècle se caractérise par des guerres d’envergure mondiale (guerres de 1914-1918 et 1939-1945), la création de l’Organisation des nations unies (ONU), des crises institutionnelles et financières et la nécessité de la décolonisation. La tendance est à une gouvernance mondiale avec l’avènement de concepts fédérateurs comme « la mondialisation » (processus d'intégration des marchés qui résulte de la libéralisation des échanges , de l'expansion de la concurrence et des retombées des technologies de l'information et de la communication à l'échelle planétaire).

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TROUSSON A., Op. Cit., p.83

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Dans ce contexte, l’éducation et la formation (facteurs d’amélioration des rendements par le renforcement des compétences) connait une vitalité particulière et la tendance est à « formation tout au long de la vie »

Dans une analyse anticipatrice du XXIème siècle, Jean La Fontaine dresse un portrait en trois dimensions : La question de la mesure, la question de la diversité et la question de la volupté d’être un sujet humain. « La question de la mesure fait selon l’auteur recours aux discours sur l’économie, le climat, la consommation, la santé, les proliférations culturelles…Celle de la diversité est posée par les anéantissements de multiples sociétés humaines et d’espèces vivantes, par les racismes, les intégrismes, le village planétaire, les langues de bois, et le chaos visible, et monotone, des existences…La question de la volupté d’être un sujet humain, qui rassemble et active les deux précédentes, se pose chaque fois qu’on nie le sujet, parfois au nom du citoyen, du consommateur, du client, du fidèle, et que s’affiche les publicités, le spectacle, le corps conforme, chaque jour, chaque nuit, de plus en plus sur la planète, tout au moins en sa partie bien câblée, là où le sujet s’exalte et s’abolit, dans l’expression, sous pression ».96

C’est dire combien le XXIème siècle tout en étant le siècle de la modernisation et du dépassement de soi par excellence, renferme en même temps les germes de l’individualisme exacerbé, de l’exclusion et de la controverse.

Le métier d’instituteur au XXIème siècle relève du fait du contexte, d’une expertise complexe. Il requiert des savoirs et des compétences énormes et remis à niveau qui ne relèvent pas seulement du sens commun mais d’une formation didactique et pédagogique élaborée. En effet, au-delà de l’image traditionnelle qui fait de l’enseignant une courroie de transmission de connaissances à tout point de vue, l’instituteur quels qu’en soient sa posture et son niveau doit être et demeure un éducateur qui s’adapte aux exigences de son époque.

A ce sujet et pour être davantage à l’aise dans sa fonction dans un contexte de « mondialisation » accélérée où les savoirs et connaissances sont vite dépassés, l’instituteur doit travailler à dominer les questions aux yeux de ses élèves afin de mieux tenir son rôle. En effet, « l’enseignant n’a plus le monopole de l’information et doit adapter ses cours pour des élèves surinformés ; on attend des enseignants qu’ils compensent le manque de disponibilité

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Jean La Fontaine, un auteur pour le XXIèmesiècle? Texte publié sur le site

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des parents pour des tâches d’éducation ; les objectifs de l’école sont de moins en moins l’objet d’un consensus social ; l’enseignant doit dès lors se positionner dans des conflits de valeur. »97

Dans cette nouvelle approche de l’enseignement et plus spécifiquement en ce qui nous concerne, de la mission des instituteurs, Samir EL HOYEK estime que « si apprendre consiste à construire les savoirs en interaction avec autrui, il revient à l’enseignant de créer un milieu de travail favorisant en premier lieu les échanges entre élèves d’une part, et entre élèves et enseignants de l’autre. Ceci implique, au plan de la vision et de l’exercice du métier, un certain nombre de ruptures : instituer entre les élèves des relations de coopération non de concurrence, abandonner la vision magistrale de l’enseignement au profit d’une vision plus collégiale et rattacher l’apprentissage scolaire au vécu des élèves.»98Cette rigueur, plus exigible aujourd’hui qu’hier, indique la nécessité pour les instituteurs de s’accommoder à leur époque en harmonisant leurs démarches et leurs méthodes à un monde multiculturel et moderne où les politiques et les approches des apprentissages semblent dictés par l’économie et le marché.

Ainsi, le rôle de l’instituteur se complexifie davantage avec l’évolution de la société et des attentes sociales. Aussi, la pression sociale sur l’école, et en particulier sur les instituteurs ne fait que s’accroître. Elle prend, selon Jean-Pierre OBIN, dès aujourd’hui, des formes plus diverses comme la mise en place d’un accompagnement personnalisé et de parcours individualisés, la contestation des sanctions ou des règlements par les parents, les protestations et tentatives de révision des notes par les élèves, etc. (OBIN, 2011).

De ce qui précède, le rôle de l’instituteur apparait de plus en plus alambiqué avec l’évolution. La mutation constante des besoins sociaux modifie la nature des demandes et exige des plus anciens une actualisation des connaissances et des jeunes instituteurs davantage de compétences.

En effet, outre le rapport pédagogique, la gestion et le rapport à l’environnement (on ne peut plus complexes dans un contexte de mondialisation) relèvent de la responsabilité de l’instituteur et suppose la mise en commun de composantes essentielles que sont entre autres

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PAQUAY L., Vers un référentiel des compétences professionnelles, Recherche et Formation N°16, INRP, Paris, 1994, p.26

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EL HOYEK Samir, représentations identitaires et rapport à la formation continue, Thèse de doctorat, dir. Raymond BOURDONCLE, université Lille 2, 2004, p. 255

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la chaleur humaine, l’empathie, la compréhension, l’ouverture d’esprit, le sens de l’humour, la disponibilité et l’habileté. Tout cela fait dire à Mireille CIFALI, qu’on ne peut pas nommer n’importe qui à ce métier. En effet, pour elle, « on ne peut pas vraiment exercer ce métier comme une fonction extérieure, il demande un engagement personnel, de l’implication.»99 Au regard de cette nécessité pour l’enseignement et l’enseignant du primaire de s’adapter aux exigences et aux mutations sociales, qu’en est-il du travail de l’instituteur du XXIème siècle ?