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Les enjeux de la transition

Dans le document Une ergothérapie préventive (Page 14-18)

2 Problématique : cadre exploratoire et théorique

2.1 La transition vers la retraite

2.1.2 Les enjeux de la transition

La retraite est une transition dans la vie qui peut être aisée ou difficile, planifiée ou inattendue.

Étant influencée par des facteurs externes et internes, cette expérience est propre à chaque personne. Les relations sociales, la situation financière et l'état de santé sont fréquemment cités

6Selon l'article L161-17-2 du Code de la sécurité sociale : « L'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite […] est fixé à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1955 » (Ministère de la Santé et des Solidarités, 2011). La réforme en cours vise à inciter les assurés à partir plus tard. Le droit de partir en retraite à 62 ans devrait être conservé, mais l'âge moyen de départ passerait à 63 ou 64 ans. Le rapport préconise de modifier cet âge d'équilibre en fonction de l'évolution de l'espérance de vie.

7 SHARE : Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe : enquête longitudinale, multidisciplinaire et internationale concernant plus de 80 000 européens, réalisée depuis 2004 dans vingt-sept pays européens.

8 IRDES : Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé

9 INPES : Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé

10 Facteur de risque : « Situation sociale ou économique, état biologique, comportement ou

environnement qui est lié, éventuellement par une relation de cause à effet, à une vulnérabilité accrue à une maladie, à des problèmes de santé ou à des traumatismes déterminés » (OMS, 1998, p.20).

comme ayant une incidence sur la retraite (Jonsson, Josephsson et Kielhofner, 2001). Il a été constaté que cette transition modifiait significativement ou interrompait les routines quotidiennes, les relations sociales, les rôles (familiaux et sociétaux), l’estime de soi, les soutiens sociaux et l’emploi du temps (Rosenkoetter et Garris, 1998) (Marlene M. Rosenkoetter, 2001).

On pourrait supposer un sentiment de joie et de liberté à l’idée de quitter le monde professionnel pour ce qui s’apparenterait à de longues vacances. Mais cette période de vie, transition entre vie professionnelle et retraite, est paradoxale dans la mesure où elle induit aussi de profonds remaniements identitaires et bouleverse les rôles sociaux. Le sentiment d’utilité souvent associé au travail et l’identité professionnelle qui s’est construite au fil des années sont alors questionnés (Morel-Bracq, 2015). La retraite correspond à la perte d’un rôle professionnel. Ce rôle reste majeur dans notre société. Ceux qui ne se sentaient exister qu’à travers leur activité professionnelle pourront vivre sa cessation comme une rupture. La « retraite réussie » est ainsi favorisée par l’investissement de centres d’intérêt préexistants. Cette transition implique une réorganisation du temps et des activités (Trivalle, 2008, p.438). En psychologie, la continuité

« se perçoit dans le type de contact maintenu, dans les activités poursuivies, mais aussi, dans les modalités de faire face aux épreuves de la vie. » Cette continuité serait un facteur de protection de la santé mentale. À contrario la rupture, qui « met l’accent sur la coupure d’avec le monde du travail et des statuts qui lui sont affiliés », menace la santé mentale de l’individu. Le passage à la retraite met ainsi en jeu les capacités de résilience du sujet (Bouteyre et Lopez, 2005, p.43).

Malgré l’allongement de l’espérance de vie, la retraite marque le début d’une adaptation progressive à la vieillesse. « Près d’une personne sur cinq associe le fait d’être âgé à la retraite » (Credoc, 2016, p.19). Rappelons qu’une personne âgée peut être qualifiée comme telle à partir de 60 ans de vie selon le critère fixé par l’OMS (2016a).

Selon Bernard Hervy, le passage à la retraite détermine notre entrée dans le groupe social

« retraités et personnes âgées » de façon définitive. Cet auteur différencie le vieillissement habituel et le vieillissement difficile des rôles sociaux. Le vieillissement habituel commence généralement une dizaine d’années avant la retraite, lorsque les enfants quittent le domicile familial. Le rôle des parents est alors modifié et le nouveau rôle de grands-parents apparaît souvent ensuite. La retraite implique la transformation du rôle principal de travailleur, mais également de rôles secondaires : collègue, formateur, militant… « Le passage de ces étapes comporte toujours des risques de rupture, des transformations non réussies ou non assumées : il s’agira du « syndrome du nid vide » pour la transformation du rôle de parent, de la montée des suicides dans les deux ans qui suivent la retraite, des dépressions qui suivent le veuvage... » (2008). La transition vers la retraite nécessite une préparation psychologique car, impliquant l’adaptation à une situation nouvelle, elle constitue souvent une période de crise (Delbrouck et al., 2011). Dans le vieillissement difficile des rôles sociaux, le rôle n’est plus seulement transformé mais supprimé. « La disparition des rôles sociaux entraîne aussi la détérioration de

l’image de soi, la perte de l’envie de vivre, et parfois l’apparition de maladies, les aspects physiologiques, psychologiques et sociaux étant en constante interaction » (Hervy, 2008). La question de l’identité occupationnelle est ainsi à prendre en compte. L’emploi dote les personnes d’une identité professionnelle en lien avec l’importance de son poids temporel, mais aussi du statut social et des responsabilités et relations qu’il confère. L’enjeu pour les retraités est de retrouver une temporalité après la vie professionnelle ainsi qu’une nouvelle identité sociale.

Selon le sociologue Vincent Caradec, cette adaptation sera favorisée, par la « désocialisation professionnelle anticipée », « une prise de distance par rapport à l’investissement professionnel au cours des derniers mois ou des dernières années de l’activité professionnelle » (2008, p.164).

L’approche culturelle et sociale est identifiée par Mélissa Petit, docteure en sociologie, comme un des nombreux critères influençant la façon dont la retraite sera abordée. Ainsi, les québécois par exemple sont davantage tournés vers une « interpénétration des temps tout au long du parcours de vie », intégrant notamment le bénévolat dans les activités pratiquées quelle que soit l’étape de leur parcours. Les français quant à eux opèrent une séparation plus tranchée entre les différentes périodes de leur vie. Ce cloisonnement contribue à restreindre la diversité des activités des personnes retraitées (Petit, 2016, p.41). Mais la division dichotomique travail-retraite s’atténue et la transition entre ces deux temps s’opère moins franchement, la retraite étant devenue « un processus qui peut s’étaler sur la longue durée » (Ibid., p.185).

L’organisation du temps lors du parcours de vie antérieur aura également un impact sur la retraite future. Un individu ayant laissé le travail envahir toutes les sphères de sa vie n’abordera certainement pas la retraite de la même façon que celui qui sera parvenu à contenir le travail dans un espace-temps dédié. « Les manières d’organiser son temps pendant la vie professionnelle et principalement celles en fin de carrière ont un impact non négligeable sur l’organisation du temps à la retraite » (Ibid., p.87-88). Cet aspect temporel fait écho à la situation d’appel de cette recherche, celle de Mme M, ayant vécu de nombreuses années selon une temporalité occupationnelle privilégiant très largement son travail et se trouvant en difficulté pour ajuster une nouvelle temporalité à la retraite. Par ailleurs, le temps structuré par le travail lors de la vie active devient une période de temps choisi, instaurant un nouveau rapport au temps que la personne retraitée se trouve libre d’organiser.

Pour les personnes en couple, souvent peu habituées à partager autant de temps au quotidien, la vie à deux doit elle aussi se réorganiser pour retrouver un équilibre.

De même, la retraite ne sera pas vécue de la même façon selon qu’elle aura été subie ou choisie.

L’aspect économique est un autre élément pouvant influencer le vécu de cette transition. Si les retraités sont deux fois moins pauvres que l’ensemble de la population, 12 % des retraités ont un niveau de vie inférieur à 1 140 euros par mois. En 2016, selon l’enquête Emploi de l’Insee plus

d’un retraité sur deux se trouvait en situation de cumul emploi-retraite à 65 ans ou plus et cette tendance s’accroit (Drees11, 2018). La forme de la retraite est ainsi en pleine mutation.

En complément des précédents apports psychosociologiques, la science de l’occupation permet de mieux comprendre la manière dont les individus abordent leur passage à la retraite. Face aux faibles données retrouvées dans le contexte français, nous nous sommes également penchés sur des études réalisées à l’étranger et dans le cadre plus large de l’Europe. Leurs résultats dépendent d’un contexte économique et social particulier ; ils sont donc à considérer avec une distance critique. Nous nous sommes ainsi référés à une étude suédoise menée par Hans Jonsson (Jonsson, Josephsson et Kielhofner, 2001). Son projet de thèse intitulé « Anticiper, expérimenter et valoriser la transition de travailleur à retraité : une étude longitudinale de la retraite en tant que transition occupationnelle » a donné lieu à cinq études réalisées auprès d’une trentaine de suédois et suédoises suivies depuis leur pré-retraite (à 63 ans) jusqu’à leur retraite établie (à 70 voire 73 ans) (Pierce, 2016). Parmi les résultats de ces études, certains points-clés ont été identifiés :

- Une diminution de la qualité de vie à la retraite a été exprimée par ceux qui n’avaient pas pu substituer aux valeurs liées au travail des valeurs similaires ou nouvelles.

- Le sentiment de satisfaction à l’égard de la vie à la retraite a pu être mis en corrélation avec la présence d’occupations très investies en termes d’engagement. Et inversement.

Le concept d’occupation très investie nommée « engaging occupation » par Hans Jonsson a ensuite donné lieu, en 2006, au projet « Do It Now » en Australie, sous l’égide du Dr Alison Wicks, au Centre Australasien des sciences de l’occupation. Vingt programmes financés par le gouvernement ont été proposés à 171 personnes âgées d’au moins 55 ans. Ce projet visait à favoriser chez ces personnes la prise de conscience de l’importance de se projeter sur leurs futures activités et de rester engagées dans des activités dans la communauté une fois leur retraite établie. Ces programmes ont permis aux participants d’agir de façon positive sur leur mode de vie à la retraite par l’augmentation des activités très investies (Wicks, 2006).

En Europe, les données de l’enquête SHARE 1 ont permis de répondre partiellement à l’effet du maintien en activité sur l’état de santé ultérieur. Un suivi longitudinal à travers de nouvelles vagues de l’enquête devrait apporter des réponses plus fiables en se basant sur une durée d’étude plus importante. La première vague a cependant permis d’identifier l’impact positif des activités professionnelles, extra-professionnelles ou physiques sur la réserve cognitive des personnes de 50 à 65 ans. Cette étude « ouvre des perspectives intéressantes dans le développement de politiques d’activités diverses dans la prévention du vieillissement cognitif. » (Laferrère, 2007, p.9) Par ailleurs, l’enquête SHARE 1 a permis de montrer l’effet de la participation sociale sur l’augmentation du nombre de personnes de 50 ans et plus déclarant être en bonne ou très bonne santé (Sirven et Godefroy, 2009, p.76‑97). « De plus forts taux de participation sociale pourraient

11 DREES : Direction de la Recherche, des Études et de l’Évaluation des Statistiques

améliorer l’état de santé et réduire les inégalités au sein de l’échantillon entier et au sein de chaque pays. Les politiques de vieillissement en bonne santé basées sur la promotion de la participation sociale pourraient donc bénéficier à la population âgée en Europe » (IRDES, 2011, p.40).

Les résultats des recherches menées par Heaven et ses collaborateurs ont également permis de conclure à un effet bénéfique des interventions ciblant les rôles sociaux sur la santé et le bien-être des personnes retraitées (2013).

Finalement, l’enjeu global du passage à la retraite semble être l’évitement de la rupture au profit d’une certaine continuité. Sous l’angle occupationnel, les différentes études évoquées reflètent l’importance du rééquilibrage temporel, de la participation sociale et de l’engagement des personnes retraitées dans des activités signifiantes pour promouvoir leur santé. La prise en compte des activités dans l’anticipation de cette transition semble alors primordiale.

Ce défi suscite des interrogations concernant les moyens préventifs à mettre en oeuvre.

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