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2 Adosser un test au Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues

2.5 Usage du CECRL

2.5.2 Les enjeux sensibles de l’usage du CECRL

Les décisions et les mesures prises par le Ministère de l’Éducation nationale sont des indicateurs importants de l’influence toujours croissante du CECRL. L’impact de plus en plus fort de ce document s’explique, bien sûr, par les valeurs idéologiques qu’il représente, mais aussi par la réalité du marché du travail caractérisé par une intégration croissante. Cette dernière implique la migration professionnelle entre les pays au sein de l’Union Européenne rendant indispensables la reconnaissance réciproque des qualifications en langues et, par conséquent, la coopération entre les établissements d’enseignement à travers les différents pays (Byrnes 2007 : 644). Les mesures saisies par les autorités éducatives françaises expriment également la confiance en la fiabilité du CECRL ainsi que les bénéfices à atteindre par l’adossement de la politique éducative nationale à ce document (Byrnes 2007 : 644).

2.5.2 Les enjeux sensibles de l’usage du CECRL

L’influence croissante du CECRL pose la question des rapports de force entre ce document supranational et les politiques éducatives nationales. En effet, les traditions éducatives sont fondamentales pour les identités culturelles et politiques de beaucoup de pays au sein de l’Union Européenne (Byrnes 2007 : 647). Les États membres décident de façon souveraine si et à quel degré le CECRL va aider à déterminer leur politique éducative ainsi que l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation en langues (Little 2007 : 647). Le Conseil de l’Europe ne peut pas intervenir directement dans la politique et la pratique éducatives des États membres de l’Union Européenne, et cette institution ne remet pas non plus en question le rôle déterminant des pays européens dans ce domaine (Van Ek 2001 : 1).

Le Conseil de l’Europe souligne sa fonction d’aide et de soutien aux États individuels qui définissent leurs politiques linguistiques eux-mêmes : « La Division aide les États membres à revoir leurs politiques linguistiques éducatives en vue de promouvoir la diversité linguistique et le plurilinguisme » (Conseil de l’Europe 2009 : 1). Le passage cité montre que l’aide proposée aux États membres a pour but de leur permettre d’adopter des mesures efficaces afin de

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développer le plurilinguisme de leurs ressortissants (Van Ek 2001 : 1). Il n’est donc pas question pour le Conseil de l’Europe d’imposer sa politique linguistique aux États individuels (Van Ek 2001 : 1).

Du fait de la question de la souveraineté des États membres de l’Union Européenne en matière d’éducation, cruciale pour nombre d’entre eux, l’influence croissante du CECRL dans ce domaine constitue un enjeu très sensible. Il est d’autant plus sensible que la pression des responsables dans la Division des Politiques Linguistiques d’intervenir davantage dans les politiques éducatives nationales ne cesse d’augmenter (Byrnes 2007 : 644). Cette question du pouvoir du CECRL peut seulement être résolue par les responsables de la politique éducative au sein du Conseil de l’Europe (Byrnes 2007 : 644).

La question des rapports de pouvoir entre le CECRL et les États individuels n’est pas le seul enjeu sensible lié à l’usage de ce document. L’emploi du CECRL a donné lieu à des effets indésirables qui doivent être analysés de façon critique par les responsables dans le but de corriger les effets pervers décelés. Un défaut courant est l’usage inadapté du référentiel, en rupture avec les intentions originales des concepteurs. Bien que ce document ne soit pas prévu pour tous les publics de manière uniforme, il est utilisé par exemple dans le cas des migrants. Or ce public n’était pas visé par le CECRL à l’époque de sa conception (Krumm 2007 : 667). L’application de ce référentiel à ce public non ciblé a pour effet d’invalider les intentions originales du document de référence (Krumm 2007 : 667).

L’inadaptation du CECRL à évaluer les compétences langagières des migrants s’explique aussi bien par son usage actuel dans plusieurs États membres de l’Union Européenne que par son contenu (Krumm 2007 : 667). Son utilisation contreproductive consiste en son rôle dans la prise de décision concernant le statut des migrants. Ainsi, dans plusieurs pays de l’Union Européenne, le droit de résidence ou la naturalisation sont liés aux obligations de suivre un cours de langues et de passer un examen afin d’attester du niveau de compétence demandé par les autorités administratives (Krumm 2007 : 668). Cette manière d’utiliser le CECRL va à l’encontre des fonctions attribuées à l’apprentissage des langues par le Conseil de l’Europe parce que dans ce cas, l’apprentissage des langues ne remplit pas sa fonction de promotion de la compréhension mutuelle et de l’intégration sociale, mais agit en tant qu’outil de

ségrégation (Krumm 2007 : 668). Un tel rôle assigné à l’apprentissage des langues constitue un risque et peut mener à la démotivation du groupe d’apprenants (Krumm 2007 : 668). Il est évident que l’usage inadapté du CECRL n’est pas seulement un enjeu scientifique ou linguistique, mais qu’il peut créer un grand nombre de problèmes d’ordre politique, social et humain.

A part cet emploi inapproprié du CECRL, le contenu du document lui-même n’est pas adapté aux migrants qui, dans leur majorité, se distinguent nettement des populations autochtones par leur socialisation, leurs habitudes et attitudes culturelles ainsi que par les réalités et les besoins ressentis dans leur nouveau cadre de vie (Krumm 2007 : 668). Or, un grand nombre de descripteurs dans les échelles du CECRL sont très éloignés des contextes sociaux et culturels propres aux migrants qui restent mal connus pour cette partie de la population. Ainsi, les migrants doivent en priorité utiliser la langue de leur nouveau pays de résidence dans des contextes vocationnels et administratifs. Les besoins auxquels cette partie de la population est confrontée ne font actuellement pas partie des échelles de compétences du CECRL. Nous présenterons deux exemples pour comprendre dans quelle mesure certains descripteurs sont inadaptés aux contextes sociaux familiers des migrants. Le premier descripteur définit la compétence au niveau A1 de la sous-échelle « S’adresser à un auditoire », comme un paramètre de la production orale : « Peut lire un texte très bref et répété, par exemple, pour présenter un conférencier, proposer un toast » (Conseil de l’Europe 2005 : 50). Le contexte évoqué par ce descripteur est très éloigné des contextes sociaux et culturels des migrants dans leur grande majorité. Il faut remarquer que même les descripteurs qui évoquent un contexte social plus général que ce dernier sont souvent également détachés des besoins et des capacités des migrants (Krumm 2007 : 668). Ils ont, par exemple, rarement l’occasion de poser des questions informelles aux membres de la population autochtone dans leur nouvelle langue ce qui représente une compétence définie par le descripteur A1 dans l’échelle de compétences « Interaction orale générale » (Conseil de l’Europe 2005 : 50). Ce fait révèle la nécessité d’adapter les descripteurs aux besoins et aux capacités spécifiques des migrants au lieu d’évaluer leur niveau de compétence général (Krumm 2007 : 668). Il est indispensable de le faire non seulement pour reconnaitre les différences multiples des populations concernées et leur accorder avec équité

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des droits civils, mais également au nom de l’égalité dans la société (Krumm 2007 : 668).27 La différence essentielle des migrants qui doit être prise en compte est leur compétence plurilingue. Elle peut seulement être testée en cas d’évaluation de leurs compétences dans plusieurs langues maîtrisées, contrairement aux procédures d’évaluation monolingues courantes à l’heure actuelle (Krumm 2007 : 669).

L’évaluation d’un niveau de compétences général, contreproductive pour les raisons évoquées, se manifeste également par le fait que dans la plupart des tests destinés aux migrants, un même niveau doit être atteint dans toutes les compétences évaluées. L’attente véhiculée par ce genre de tests empêche, premièrement, d’intégrer des personnes qui pourraient l’être, tout en attestant de niveaux variés dans les différentes compétences langagières (Krumm 2007 : 668). Deuxièmement, ce procédé contredit le principe de la « compétence partielle » évoqué dans le CECRL (Krumm 2007 : 668). Cette compétence partielle est un fait accepté dans l’apprentissage des langues et qui, de plus, remplit des fonctions attribuées par rapport à un objectif qu’on se fixe :

[…] il ne s’agit pas de se satisfaire, par principe ou par réalisme, de la mise en place d’une maîtrise limitée ou sectorisée d’une langue étrangère par un apprenant, mais bien de poser que cette maîtrise, imparfaite à un moment donné, fait partie d’une compétence plurilingue qu’elle enrichit. Il s’agit aussi de préciser que cette compétence dite « partielle », inscrite dans une compétence plurielle, est en même temps une compétence fonctionnelle par rapport à un objectif délimité que l’on se donne. (Conseil de l’Europe 2005 : 105).

Pour faire cesser ces dérives dans l’usage du CECRL, il est urgent d’adapter ce document au contexte de migration et de développer son potentiel d’évaluation des compétences plurilingues et partielles. Le Conseil de l’Europe a établi un groupe de travail en 2006 qui se penche sur les politiques linguistiques pour l’intégration des adultes issus d’immigration (Krumm 2007 : 669). En se focalisant sur cet enjeu sensible, le Conseil de l’Europe manifeste ainsi sa volonté de transformer le CECRL, jusqu’alors instrument privilégié et uniforme, en un outil adapté à des profils linguistiques très variés au sein de toutes les populations de l’Union Européenne (Krumm 2007 : 669).

2.5.2.1 La question de la validité

Le problème de la validité est un autre enjeu sensible qui doit être résolu par le CECRL. En effet, la question de la validité est pertinente pour tout cadre commun

de référence, utilisé comme un document générique inspirant des applications locales spécifiques (North 2007 : 658). Les échelles de compétences du CECRL doivent, d’une part, être détachées du contexte afin de pouvoir fournir des paramètres généralisables à différents contextes spécifiques, mais, d’autre part, les descripteurs au sein des échelles doivent être transférables dans tous les contextes pertinents ainsi qu’appropriés aux fonctions remplies par ces contextes. En termes pratiques, cette condition implique, en premier lieu, que le schéma descriptif du CECRL et les descripteurs se réfèrent à la répartition de la compétence en catégories, entreprise par les théories de la compétence langagière. Or, les théories qui existent ne sont pas adéquates pour fournir une base à cela (North 2007: 658). En deuxième lieu, le schéma descriptif et les descripteurs doivent convenir aux contextes des apprenants cibles malgré l’impossibilité de les prédire avec certitude. En troisième lieu, ils doivent être faciles à comprendre par les praticiens dans les domaines d’enseignement et d’évaluation langagière (North 2007: 658). Les descripteurs des échelles illustratives du CECRL essaient de satisfaire à ces critères, mais selon North, ils remplissent les conditions évoquées seulement en combinaison avec les descripteurs adaptés aux contextes spécifiques inclus dans la banque d’items développée pour le Portfolio Européen des Langues (North 2007 : 658).

Le deuxième enjeu de validité, central pour le CECRL, est l’hypothèse du niveau de difficulté identique des éléments langagiers situés à un même niveau sur l’échelle de compétences. Cette hypothèse est liée à l’enjeu de la validité de l’échelle globale de compétences. Or, cette qualité n’a pas encore été démontrée de façon empirique en raison du manque de résultats provenant de la recherche en acquisition de la langue seconde (North 2007 : 658). En revanche, la plupart des descripteurs au sein des échelles illustratives sont empiriquement validés. Cela implique que les descripteurs concernés ont le même niveau de difficulté, quels que soient les langues cibles, les communautés linguistiques et les secteurs éducatifs (North 2007 : 658).

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