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1. Objet de la thèse

1.4. Les enjeux de la recherche

Le mouvement de rationalisation des systèmes de production pose question à la prévention des risques professionnels depuis de nombreuses années maintenant. Les formes qu’a pris celui-ci sont nombreuses : juste-à-temps, lean, lean production, lean manufacturing, lean, production au plus juste, production transversale, production à valeur ajoutée, re-

engineering, système de production avancé, système de production haute performance, etc.

Par ailleurs, les différents auteurs décrivent ce mouvement en lui donnant divers noms : post ou néo-fordisme, post ou néo-taylorisme, toyotisme, ohnisme, école japonaise d’organisation, système japonais de management, nouvelle productivité ou encore organisations innovantes du travail. Toutes ces descriptions semblent être porteuses d’interprétations différentes de formes de rationalisation qui font partie de la même évolution, cherchant à repenser les systèmes de production en conservant les objectifs de coût et de qualité, tout en ajoutant ceux de délais et de flexibilité.

De ce fait, plusieurs inquiétudes se font jour dans la communauté des préventionnistes et en particulier parmi les ergonomes :

l’identification et la suppression des risques et des dangers dans le travail, semble moins bien fonctionner dans les questions d’organisation du travail (Maline et Guérin, 2009). On remarque, notamment, que les « petites » transformations, par exemple : l'ajout de tâches de reporting, de contrôle qualité, de déplacement manuel des produits ou bien encore d’apprentissage, du fait des évolutions rapides des offres et des technologies, par exemple, affectent le contenu du travail de manière souvent progressive. En outre, elles sont « ambivalentes » dans leurs effets sur la santé des travailleurs car elles permettent parfois le développement de la santé et parfois non.

 D’autre part, le lean, en particulier par les concepts et notions qu’il véhicule, réinterroge l’ergonomie. En effet, il est porteur de promesses de changer le travail en « mieux » (plus efficace, plus flexible, etc.) mais aussi en « bien », en proposant, entre autres, de sortir du taylorisme. Bourgeois et Gonon (2010) font d’ailleurs ressortir à quel point l’ambivalence des situations de travail engendrées par le modèle du lean entraine des positionnements des ergonomes pouvant aller du soutien à l’opposition farouche.

De ce fait, il est important de contribuer à la construction d’un positionnement raisonné par rapport à ces évolutions.

1.4.2. Enjeu syndical

La CSN, notre partenaire dans ce projet de recherche, a, lors de son congrès de 2011, pris position en faveur d’une implication syndicale dans l’organisation du travail. Malgré des craintes concernant les effets des approches lean sur la santé, la CSN a fait le choix de s’impliquer syndicalement. Cette décision était basée sur le principe qu’il faut agir en amont, afin que le point de vue des travailleurs et des travailleuses, ainsi que de leurs représentants syndicaux, soit entendu, dès la définition des objectifs d’un projet et tout au long du processus.

d’un programme de 22 actions terrains, financées par le ministère, entre 2008 et 2011 (MSSS, 2008). Ces projets d’organisation du travail n’ont pas tous donné lieu à une démarche lean, mais ils s’inscrivaient dans un cadre de référence ministériel où l’approche paritaire était une condition du financement. Toutefois, les permanents de la CSN, comme le rappelle Chantal (2012), ont conscience que le travail ne s’arrête pas à ce genre de projet avec un ministère. Ils ont bien conscience qu’il faut continuer à suivre les indicateurs sur la santé au travail au plus près du terrain, afin de s’assurer que l’application des nouvelles méthodes ne crée pas de nouveaux problèmes et que les modes opératoires établis, les consignes de travail, laissent une place aux situations impondérables nécessairement présentes dans la vie au travail.

Pour pouvoir faire entendre le point de vue des acteurs syndicaux, dans le cadre des projets de transformation organisationnelle, de nouvelles façons de faire et de nouveaux concepts semblent être à développer, pour savoir où, quand et comment agir. C'est une question qui inspire et guide notre thèse même si nous n’y apporterons peut-être pas toutes les réponses.

1.4.3. Enjeu disciplinaire

À ces deux premiers enjeux vient s’en ajouter un troisième, celui disciplinaire. Il porte sur les questions concernant l’impact du développement du lean sur les relations industrielles comme le soulèvent deux articles distincts:

 Paradigms in industrial relations : Original, Modern and Versions In-between de Kaufman (2008)

 Compatibility of Human Resource Management, Industrial Relations, and

Engineering Under Mass Production and lean Production: An Exploration de Taira

(1996)

Le thème central, développé dans ces deux textes, est l’évolution du champ des relations industrielles en Amérique du Nord. On peut identifier deux principaux paradigmes dans l’évolution du champ des relations industrielles. Le premier, que Kauffman nomme

Original industrial relations paradigm, est centré sur la relation d’emploi, la gestion des

ressources humaines et les relations du travail. Il fut dominant jusqu’aux années 30. Le second paradigme, identifié par Kaufmann, porte le nom de Modern Industrial Relations

paradigm et est, quant à lui, centré sur le syndicalisme et les thématiques associés, à savoir

la négociation collective, les relations de travail et les politiques publiques en matière de travail. Dans l’époque récente, Kaufman (2008) note des tentatives pour trouver de nouvelles formes de recherches entre ces deux paradigmes, que ce soit en combinant les deux ou en intégrant la gestion des ressources humaines à l’un des deux. Il constate, toutefois, que des différences fondamentales existent entre les approches Relations Industrielles d'une part, et la gestion des ressources humaines ou organisational behavior, d'autre part. Ces différences transforment cela davantage en concurrence entre les approches qu’en enrichissement mutuel.

Au-delà des questions purement de paradigmes, les relations industrielles, dans les entreprises, sont confrontées à une évolution, en raison du passage de la production de masse vers la lean production. Taira, (1996) nous fait remarquer que le passage d'un mode de production à un autre a été accompagné d’ajustements importants des principes, des règles et des pratiques de relations industrielles. De plus, des changements techniques ont été accompagnés de changements institutionnels et sociaux.

Cette transition se fait à marche forcée, depuis les années 1990, en Amérique du Nord, et marque une rupture dans le système de ressources humaines et de relations industrielles. Au contraire, au Japon, le système de relations industrielles a évolué, en parallèle avec les progrès techniques vers la lean production. De plus, il présente de nombreuses caractéristiques, qui peuvent être considérées comme compatibles avec la lean production. Cette rupture peut-elle être gérée afin de construire de nouvelles pratiques et des normes de relations industrielles ou d’adaptation de la lean production novatrices, permettant une compatibilité en Amérique du Nord ? La proposition centrale de Kauffman (2008), pour éviter un affaiblissement des relations industrielles, est de revenir au paradigme d’origine, en l’élargissant à d’autres disciplines des sciences sociales, ainsi qu’en intégrant davantage les questions culturelles, nationales ou genrées. Dans ce cas, vers quelles nouvelles disciplines et vers quels apports, les relations industrielles doivent-elles se tourner ? Une

partie des réponses à ces questions peuvent se trouver dans la présente thèse. Les nouvelles pratiques, notamment syndicales, pourront être inspirées par nos résultats, et par notre cadre théorique, puisque nous tenterons de montrer l’avantage qu’il y a à s’ouvrir à d’autres disciplines telles que: la sociologie du travail, l’ergonomie ou encore la psychologie du travail.

1.5. Conclusion : origine, contexte et enjeux de la recherche