• Aucun résultat trouvé

2. Le lean, la santé des travailleurs et les actions syndicales

2.3. Les actions des acteurs syndicaux pour la santé des travailleurs, dans le cadre

2.3.1. Les syndicats du monde face au lean

2.3.1.1. Les actions syndicales dans le domaine de la stratégie globale de

Moody (1996) fait un retour sur le développement du lean et les actions syndicales autour du monde. Il montre ainsi les importantes modifications que les transformations du modèle productif ont engendrées en matière de relations de travail. Il voit, principalement dans les modifications qui ont eu lieu au cours de la fin des années 1980 et au début des années 1990, l’importance des effets de l’utilisation de la sous-traitance et de la constitution de petites unités productives, sur l’évolution des capacités d’actions syndicales, qui en sont réduites. Dans le même temps, il constate l’augmentation du nombre d’autres fractures, entre le monde syndical et celui ouvrier, qui affaiblissent le monde syndical. Ces éléments sont la féminisation, car les femmes sont, à cette époque, moins syndiquées que les

6 mots-clés pour la recherche bibliographique sur les actions syndicales face au lean :

hommes, l’augmentation du nombre des immigrants, qui sont moins syndiqués que les autres travailleurs, et la mondialisation, qui éloigne les centres de décisions. Il constate que la réponse des syndicats, à travers le monde, au développement du lean, peut être de deux ordres : il peut y avoir de l’affrontement direct lors des négociations collectives, ou alors les syndicats optent pour un positionnement en tant que « partenaires sociaux » et accompagnent alors la mise en place du lean.

Yong-Sook Lee (2003) aborde également cette période, mais pour la Corée du Sud. Dans ce pays, travailleurs et syndicats se sont opposés à l’introduction du lean dans l’automobile, au début des années 1990. Une réponse des employeurs a alors été de changer la localisation des usines (d’une zone fortement industrialisée et donc syndiquée vers une zone rurale), de manière à réduire les forces syndicales. La seconde stratégie a été l’augmentation de l’automatisation. Dans ce contexte, même si le positionnement syndical a bien « participé » à l’organisation (l’opposition syndicale ayant conduit à un changement de localisation), il n’y a pas eu de discussion, ni de coopération, pour l’implantation du lean.

En ce qui concerne la France, on peut se référer aux travaux d’Ardenti, Gorgeu et Mathieu (2010) qui abordent le domaine automobile et l’industrie agroalimentaire. Dans ces domaines, les auteurs constatent que les situations de travail lean vont souvent de pair avec un statut précaire. Cela engendre une absence de syndicats (les salariés ayant des statuts précaires sont très peu syndiqués en France car ils restent peu longtemps dans l’entreprise et qu’ils sont sous la pression permanente de la perte d’emploi). Dans les cas où les syndicats sont malgré tout présents, les auteurs observent un affaiblissement de leur poids (peu de salarié se syndiquent et peu votent lors des élections syndicales) et des divisions entre les organisations syndicales (certains sont pour le dialogue et d’autres l’opposition). Cet ensemble de faits engendre une faible résistance dans les milieux où le lean est implanté. Les différences sont marquées, dans le secteur automobile, entre les usines des constructeurs et celles des fournisseurs. Chez les fournisseurs, les syndicats, lorsqu’ils ne sont pas absents, ont peu de moyens d’action, en raison, notamment, de la petite taille des unités et de l’éloignement des centres de décision.

Enfin, les travaux de Johansson, Abrahamsson et Johansson (2013) nous permettent de voir les actions syndicales ayant eu lieu en Suède. Le système syndical suédois a constitué, dans les années 1980, un modèle qui lui servait de référence, celui du « Good Work »: la sécurité d'emploi, une part équitable des bénéfices de production, la cogestion dans l'entreprise, une organisation du travail pour la coopération, professionnalisme et savoir-faire dans tous les travaux, la formation dans le cadre de travail, des horaires sur la base des demandes, l'égalité sur le lieu de travail et un environnement de travail sans risque pour la santé et la sécurité. Une enquête du syndicat majoritaire dans le monde de l’automobile en Suède, IF Metall, a montré, en 2002, que 55 % de ses membres travaillaient dans des entreprises lean. Cette même enquête a permis à IF Metall d’identifier comment le lean interagissait ou contredisait le modèle interne de « Good work ». Cela a conduit le syndicat à mettre en place une démarche, pour mettre à jour son propre modèle d’organisation du travail. Ce travail a engendré une scission au sein du syndicat, un certain nombre de syndicats locaux refusant, à partir de 2008, de continuer à participer à ce travail, par peur de sembler cautionner l’introduction du lean. C’est en 2009 que ces travaux aboutissent enfin et conduisent IF Metall à se doter d’une nouvelle stratégie appelée « Sustainable work ». Ses principales caractéristiques sont:

 des tâches élargies et individuelles, permettant le développement pour tous les employés,

 des tâches de travail pour tous,

 la rotation des emplois, afin qu’un maximum de 75% des tâches de travail soient répétitives, limitées ou strictement contrôlées,

 des tâches de travail qu'il est possible d’ajuster, pour accueillir des travailleurs en réadaptation,

 une analyse des conséquences et des risques, faite avant que des changements dans l'organisation du travail n’aient lieu,

 le développement, des compétences générales et spécifiques, intégré dans le travail quotidien, afin de développer à la fois le salarié et l’entreprise,

 un système de rémunération qui stimule le développement, permet d'augmenter les salaires et contribue à l'égalité salariale,

 la coopération entre la direction et les syndicats, concernant le travail de transformation de l’organisation du travail, à un stade précoce de la modification envisagée,

 la participation des salariés dans les changements qui concernent leur propre travail. Ce modèle est comme un élargissement du précédent, avec une intégration plus forte des questions d’organisation du travail. C’est une approche gagnant-gagnant qui est privilégiée par le syndicat, indiquant que, pour une réussite dans l’implantation du lean, il est indispensable que celle-ci respecte les missions des syndicats. En clair, le positionnement de ce syndicat suédois est de dire « If you can't beat them, join them ».