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1. Objet de la thèse

1.3. Le contexte de la thèse

Chardeyron, 2013) qui visait à construire un cheminement méthodologique pour répondre à une demande adressée à la Caisse d’assurance retraite et santé au travail de la région Rhône-Alpes en France en partenariat avec l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS). Celle-ci provenait d’entreprises industrielles et de consultants, tous praticiens du

lean manufacturing, et portait sur l’apparition de problématiques de stress et de troubles

musculo-squelettiques dans les situations de travail qu’ils mettaient en place. Bien que les intervenants étaient des ergonomes, il ne s’agissait pas d’une intervention basée sur un diagnostic ergonomique, ni d’une formation. La méthode choisie, des séances d’analyse du travail, a été inspirée par la Clinique de l’Activité (pour plus de détails sur cette méthodologie, le lecteur peut se référer à Clot, 2008), du fait des notions sur lesquelles elle s’appuie : développement de l’activité et travail d’organisation.

Cette intervention, qui a été envisagée pour agir sur le travail d’organisation, comportait un système de séances d’analyse du travail en groupe, avec comme participants des acteurs de l’entreprise ayant pour rôle d’organiser le travail. Ce fonctionnement avait pour objectif de permettre aux participants un développement de leur travail d’organisation, c’est-à-dire une ouverture vers de nouveaux possibles organisationnels, une intériorisation d’une démarche réflexive collective sur ce travail et enfin, à terme, la constitution d’un collectif de travail dans chaque entreprise participante ou, autrement dit, d'un ensemble de règles de métier de référence pour chacun. Comme le souligne Berthoz (1997), les règles de métier forment une mémoire pour l'avenir, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une gamme de techniques intellectuelles et corporelles qui, pour le professionnel de ce milieu, est comme un canevas "prêt à agir". C’est un moyen économique de s’adapter à la situation.

Le constat qui est ressorti de cette analyse des écrits est que si les interventions visant à agir sur les différents niveaux de l’organisation du travail sont nombreuses (par exemple : Egan, Bambra, Thomas, et al., 2007 ; Bambra, Egan, Thomas, et al., 2007 ; Egan, Bambra, Petticrew, et Whitehead, 2009), seulement une infime partie de la littérature concerne des interventions de prévention de la santé cherchant à agir sur l’organisation du travail.

alors réalisé une recension des interventions de prévention visant spécifiquement les questions d’organisation du travail.

En ce qui a trait particulièrement aux États-Unis, les équipes du NIOSH (Murphy et Sauter, 2004) ont effectué une recension de la littérature des interventions, portant sur l’organisation du travail, réalisées dans des entreprises par des experts externes, dans le but d’améliorer la santé et la sécurité des travailleurs. Semmer (2006) a réalisé un travail similaire, concernant spécifiquement les interventions ayant pour but d’améliorer les problèmes de stress au travail.

Dans les deux cas, les auteurs tirent des conclusions assez similaires. Tout d’abord, il semble difficile d’évaluer l’efficacité des interventions. Si certaines ont un effet clairement positif ou négatif sur la santé, bon nombre offrent un résultat mitigé voire ambivalent. Ensuite, il est souvent compliqué de comparer les interventions entre elles, étant donné qu’elles sont souvent très différentes. Enfin, les auteurs constatent que le contexte et les caractéristiques méthodologiques précises de l’intervention sont souvent absents, rendant ardue la compréhension des mécanismes en jeu dans les transformations.

Dans la littérature francophone, on peut voir, entre autres, deux recherches-action, sur les interventions en entreprises à visée de prévention, qui ont cherché à documenter le contexte et le processus ainsi qu’à identifier leur influence sur les changements. Au Québec, Baril- Gingras et al. (2004) montrent l’importance du contexte dans lequel les acteurs de l’entreprise accueillent et participent à l’intervention. En France, Caroly et al. (2008) se posent des questions davantage sur le processus des interventions et montrent le fait que celles-ci se succèdent dans les entreprises sans réelle coordination. De plus, les interventions portent souvent sur des aspects marginaux, sans remise en cause des caractéristiques de l’organisation de la production ou du travail.

Par ailleurs, on peut trouver des disciplines spécifiques, dont les recherches portent, en totalité ou en partie, sur la conception de la démarche d’intervention de prévention en entreprise telles que : la psychodynamique du travail (Dejours, 2010) ou bien la clinique de l’activité (Clot, 1999). Ces démarches apportent une grande précision sur les méthodologies suivies et sur le contexte nécessaire à la réalisation de l’intervention. Cependant, ils délaissent aussi souvent une vision plus globale de l’organisation de l’entreprise pour se

centrer uniquement sur les enjeux de l’intervention.

Ce faisant, nous avons réalisé que, s’il y a des recherches concernant les interventions portant sur l’organisation du travail et d’autres analysant les liens de l’organisation du travail avec la santé, il y a peu d’études sur des interventions conçues spécifiquement pour le lean et visant à améliorer le développement de la santé. Il ne semblait pas non plus y avoir d’informations sur les mécanismes individuels et collectifs, au sein de l’entreprise, qui conduisent à la définition des situations de travail, c’est-à-dire la conception du travail d’organisation, alors que cela semble avoir un intérêt particulier pour le développement de la santé au travail.

Il apparaissait alors intéressant que soient ouvertes de nouvelles recherches, pour améliorer les moyens d’intervention, sur les processus d’actions et de décisions dans l’entreprise, et que leurs résultats soient mis à la disposition d’une large palette d’acteurs, dont ceux syndicaux et ayant comme objectif la prévention des risques professionnels.

Cette thèse présente le résultat d’un projet, que nous avons conçu afin de répondre à ce besoin de nouvelles recherches. Celui-ci s’est inscrit dans l’axe 1’« innovations dans les milieux de travail », du programme de l’Alliance de Recherche Universités-Communautés (ARUC) - Innovations, travail et emploi, du Département des relations industrielles de l’Université Laval. Il s’agissait ici de s’intéresser au lean, tel qu’il est mis en place dans les milieux de travail du secteur manufacturier et des services, afin de mieux comprendre comment le processus de construction de l’organisation du travail influence la santé des travailleurs, via les conditions de réalisation du travail qui en résulte. En nous appuyant sur des notions théoriques, issues de disciplines telles que la sociologie du travail, la psychologie du travail et l’ergonomie centrée sur l’activité, nous souhaitions analyser cette question du lean, dans une perspective de prévention, en mettant en lumière le processus qui donne naissance ou transforme les situations de travail. Le postulat qui sous-tend cette thèse est que la compréhension des mécanismes de conception de l’organisation, associée à la mise en place d’organisation de la production et du travail lean, constitue une clé pour mieux agir en prévention, en créant des organisations moins délétères pour la santé des travailleurs et travailleuses et pouvant même contribuer à son développement.

Dans le cadre du projet de recherche réalisé pour cette thèse, un partenariat avec la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a été mis en place. Il visait à permettre de décrire des cas précis d’innovation sociale, en mettant l’accent sur la contribution des salariés au travail d’organisation qu’elle suscite. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) compte environ 300 000 membres, répartis à peu près également entre hommes et femmes, ainsi qu'entre le secteur privé et le secteur public. Elle regroupe 2 000 syndicats, représentant quelques 4 400 lieux de travail. Elle est ainsi la deuxième plus grande centrale syndicale du Québec, par le nombre de ses membres. La CSN, ayant déjà mené une enquête sur la participation des syndicats locaux à l’organisation du travail (Bédard et Chantal, 2011) au sein d’une de ses fédérations, soutenait donc notre projet.

1.4. Les enjeux de la recherche