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Les enjeux de la conciliation pour les femmes de for-

5. Les mères des baby-boomers : quelles conciliations entre sphères

5.3 Un pôle professionnel diversifié

5.3.2 Les enjeux de la conciliation pour les femmes de for-

Les femmes qui se sont insérées sur le marché de l’emploi à la fin d’études qui n’étaient pas de niveau tertiaire (nœud 7) sont réparties dans quatre nœuds terminaux, définis en fonction de facteurs distincts.

En premier lieu, parmi celles qui ont exercé un premier emploi ne requérant pas de qualification particulière (nœud 8), les femmes adhérant aux principes religieux (nœud 9, n = 105) s’opposent aux non-croyantes (nœud 10, n = 218). Si ces groupes se caractérisent par des temporalités moyennes de nuptialité et de fécondité similaires (tab. 5.2), ils se différen-cient en fonction de la taille des descendances et des trajectoires d’activité.

Bien que dans ces deux sous-populations, une majorité relative de femmes ait donné naissance à trois enfants ou plus, cette proportion est bien plus marquée parmi les croyantes (47% contre 35%), alors que la descendance finale est plus diversifiée parmi les non-croyantes. D’ailleurs, ces mêmes femmes croyantes sont celles qui présentent la plus forte fécondité de l’arbre, avec une descendance finale moyenne de 2.98 enfants par mère.

Du point de vue des trajectoires professionnelles, s’observe également une évolution distincte des taux d’activités par âge entre chacun de ces groupes (fig.  5.6). En effet, après avoir atteint un maximum de plus de 80% de femmes actives à l’âge de 20 ans, ce taux diminue ensuite pour atteindre un minimum de 56% dans le nœud 9 et de 46% dans le nœud 10 à, respectivement, 30 et 33 ans. Si la première phase de la trajectoire est donc relativement semblable entre les femmes des deux groupes, les non-croyantes se distinguent par des reprises d’emploi en fin de vie féconde nettement plus marquées, puisque 71% d’entre elles avaient une activité à 49 ans contre seulement 53% des croyantes.

Comme nous l’avions supposé pour le nœud 2, si une partie des reprises d’activité peut certainement s’expliquer par des ruptures conjugales ayant

« contraint » certaines femmes à recommencer à travailler pour subvenir à leurs besoins, les femmes du nœud 10 ont certainement été moins exposées aux ruptures, du fait de la rigidité des valeurs religieuses face aux divorces. Toutefois, même si nous constatons en effet une différence empirique quant à la divortialité entre ces deux sous-groupes de l’arbre (14% chez les non-croyantes contre 7% parmi les croyantes), elle ne peut à nouveau être l’unique cause des reprises d’emploi constatées en fin de vie féconde puisqu’une minorité de femmes ont été concernées par de telles ruptures.

Aucune des deux femmes du sous-échantillon qualitatif appartenant au nœud 9 (tab. 5.5) n’a recommencé à travailler après avoir fondé une famille. Après avoir accompli l’école ménagère, Rosa, qui était issue d’une famille modeste (1929, 2 enfants), trouva un emploi de serveuse.

Lorsqu’elle s’est mariée à l’âge de 27 ans, elle se souvient avoir désiré

Fig. 5.6: Chronogrammes d’activités des femmes des nœuds 9 et 10

Nœud 9 Nœud 10

15 19 23 27 31 35 39 43 47 15 19 23 27 31 35 39 43 47 1.0

0.8

0.6

0.4

0.2

0.0

1.0

0.8

0.6

0.4

0.2

0.0

Active Inactive

continuer à exercer un emploi, mais ce projet était en inadéquation avec l’organisation du ménage qui reposait essentiellement sur l’activité de son mari qui était mécanicien sur locomotive :

«  Moi j’ai voulu m’occuper parce que je n’avais pas d’enfant, hein, j’ai fait fausse couche sur fausse couche deux ans de suite, les premières années [de mariage]. Et puis je voulais un peu m’occuper aussi. Puis j’ai travaillé dans une boulangerie aussi à Bienne […] Mais  ! C’était pas vraiment, c’était pas bien, parce que mon mari il aurait pu venir manger à la maison, il avait une pause pour venir manger, j’étais pas là, il allait manger ailleurs, il allait manger au restaurant. Ce que je gagnais moi, il le dépensait. Ce n’était pas, non, moi c’était pour m’occuper. […] mais te dire, vraiment travailler, c’était pas, c’était pas compatible avec ses horaires ».

Les aspirations de Rosa n’étaient donc pas de rester au foyer et elle a plutôt subi cette situation qui la plaçait dans une relation de dépendance vis-à-vis de son mari :

« Moi je trouve que c’est bien qu’elle [la femme] s’émancipe un peu et puis aujourd’hui qu’elle travaille. Parce que moi j’étais dépendante de mon mari pour l’argent et tout, hein. Si elles travaillent, moi je suis contente que mes filles travaillent… ».

Cette incompatibilité entre le travail et la vie de famille se retrouve éga-lement dans le témoignage d’Hedwig (1931, 4 enfants), qui décrit son mariage comme une alternative à un emploi non qualifié qui ne lui procu-rait pas forcément d’intérêt (après avoir accompli la scolarité obligatoire, elle travailla comme manœuvre dans des fermes) :

« […] aujourd’hui les femmes se marient peut-être seulement vers…30 ou 32 ou comme ça…quand moi maintenant, justement voilà…et à l’époque c’était peut-être différent. Ils ont une profession, ben ils veulent encore travailler un peu les jeunes n’est-ce pas. Moi je n’avais pas de profession, je n’avais pas d’argent, alors je pouvais tout aussi bien me marier, n’est-ce pas ».

Le mariage n’évoque pour elle « rien de révolutionnaire. Enfin c’était sim-plement normal ». Elle affirme d’ailleurs toujours avoir désiré fonder une famille nombreuse :

« Bien sûr qu’on ait des enfants, c’était certainement clair, […] j’ai souvent dit que j’aimerais 12 garçons pour rigoler ».

Cependant, le couple décida de ne pas avoir plus de quatre enfants, par manque de moyens financiers et d’espace dans le logement. L’époux d’Hedwig subit alors une vasectomie.

En ce qui concerne les témoignages issus des quatre femmes appar-tenant au nœud 10, aucune n’évoque des croyances religieuses pour expli-quer ou justifier certains événements de leurs trajectoires. Toutefois, parmi elles, Lucia (1932, 0 enfant) et Carla (1925, 5 enfants) ont grandi dans des familles catholiques où les principes religieux revêtaient une place importante. Toutes deux relèvent à ce propos avoir subi des pressions dans leur entourage au sujet de leur propre avenir familial. Carla était l’aînée de sa fratrie et se souvient des efforts entrepris par son père pour qu’elle ne se marie pas :

[…] il m’en a défaits de… de rendez-vous […] Lui il a toujours voulu que je ne me marie pas, surtout pour pouvoir rester à la maison et aider ma maman.

Vous voyez ? Pour l’aider… dans toutes les choses qu’il fallait faire. Car elle était… elle ne faisait rien sans lui demander. Mais elle était, disons, élevée de cette manière.

Au contraire, Lucia se rappelle avoir subi des pressions inverses de la part de sa mère et de ses cousins pour se marier :

«  Ce n’est pas qu’ils se moquaient de moi mais… disons que je me sentais presque mortifiée » se souvient-elle. « Mais après papa il a été content car enfin j’ai toujours été ici avec lui, car bref si je n’étais pas là pour papa aussi… ».

Tab. 5.5: Eléments sélectionnés des trajectoires de femmes interviewées incluses dans les nœuds 9 et 10

Nœud 9 Nœud 10

Ego Rosa Hedwig Madeleine Ruth Lucia Carla

Année de

naissance 1929 1931 1925 1928 1932 1925

Résidence

enfance VD BE FR BE TI Italie (urbain)

Profession du père

Mécanicien

automobile Paysan Paysan Horticulteur

indépendant Manœuvre

Propriétaire domaine agricole

Finalement, les deux derniers nœuds terminaux de l’arbre, qui sont d’ailleurs les plus importants en termes quantitatifs, réunissent des femmes qui ont exercé un premier emploi qualifié après leurs études (secondaires pour la très grande majorité d’entre elles (97%)) et se distinguent en fonction du contexte dans lequel elles ont passé leur enfance. D’un côté, les femmes qui ont grandi dans un milieu urbain ou à l’étranger (nœud 12), de l’autre celles qui ont passé cette période de leur vie dans un cadre plus rural (nœud 13). Sur le plan familial, la répartition des femmes dans les différents états est relativement similaire entre ces deux groupes. La diffé-rence réside alors dans la part de celles ayant engendré des descendances égales à deux enfants et celles qui eurent trois enfants ou plus (fig. 5.7).

Nœud 9 Nœud 10

Formation Ecole ménagère

Ecole obliga-toire

Ecole ménagère

Reprise apprentissage

employée de bureau (34

ans)

Ecole obligatoire

Ecole obligatoire

Apprentissage couturière

Nombre

enfants 2 4 0 5 0 5

Âge au 1er

mariage 27 22 - 23 - 29

Âge au 1er

enfant 30 23 - 28 - 30

Rupture Divorce (28

ans)

La taille modale des descendances du nœud 12 est ainsi de 2 enfants (36%) et elles participent d’ailleurs du groupe où les mères ont été les moins fécondes (2.26 enfants en moyenne) de tout l’arbre. Quant aux femmes réunies dans le nœud 13, une majorité d’entre elles a engendré une descendance égale ou supérieure à 3 enfants (42%). Par ailleurs, l’on retrouve également une distinction sur le plan professionnel (fig. 5.7). Dans les deux groupes, le taux d’activité maximum est atteint à l’âge de 21 ans, puis diminue progressivement jusqu’à environ 30 ans avant de remonter en fin de vie féconde. Une distinction apparaît alors dans ces reprises

Fig. 5.7: Chronogrammes familiaux et d’activités des femmes des nœuds 12 et 13

Nœud 12 Nœud 13

d’activité au-delà de quarante ans. Dans le nœud 12, 73% des femmes sont actives à 21 ans, puis l’activité diminue jusqu’à atteindre un minimum de 53% à l’âge de 29 ans. En fin de vie féconde, 68% de ces femmes sont en emploi, le taux d’activité étant presque remonté à son maximum initial. En revanche, même si le nœud 13 présente un taux d’activité maximum initial supérieur (77%), la tendance des reprises d’activité en fin de vie féconde est nettement moins soutenue. En effet, après que l’activité de ces femmes ait baissé à 48% à 31 ans, ce taux ne remontera qu’à 56% à 49 ans.

Les témoignages des femmes du volet qualitatif qui appartiennent à ces deux nœuds terminaux ne nous permettent pas d’exemplifier de telles trajectoires d’entrée tardive sur le marché de l’emploi ou de reprise d’ac-tivité (tab. 5.6). Toutefois, l’on trouve à nouveau dans chacun d’entre eux le poids des normes qui interviennent à un moment ou un autre au sein des trajectoires de ces répondantes qui ont exercé une activité qualifiée.

Pour certaines, le mariage et la maternité étaient des destinées qu’il était normal de suivre en tant que femme. Monique (1932), qui donna nais-sance à 6 enfants, ne se rappelle ainsi pas avoir envisagé un autre avenir :

« […] pour moi c’était, c’était normal, enfin c’était un une succession de faits : on était fiancés et puis après on se mariait puis on avait des enfants, et voilà ».

On retrouve alors la normalité ressentie de ce parcours féminin familial et son incompatibilité avec une activité professionnelle externe au foyer.

Le mariage de cette traductrice signifia de ce fait, comme pour d’autres femmes, l’interruption de son emploi. La seule alternative possible aurait été d’aider son époux dans la minoterie qu’il gérait :

« J’étais encore dans une tranche de vie où les femmes travaillaient pas telle-ment, alors euh [silence] c’était c’est pour ça qu’il y avait une bon là je me suis mariée c’était normal, euh au début d’abord je travaillais pas parce que ici euh je savais pas où travailler et il aurait fallu travailler dans l’entreprise de mon mari et ça j’apprécie pas bien [rire]. »

Pour Elisabeth (1930, 2 enfants), cette incompatibilité s’est imposée à elle de façon explicite puisque, comme nous l’avons exposé au chapitre précé-dent, les mesures politiques visant à restreindre l’emploi féminin dans les administrations publiques ont contraint cette fonctionnaire à quitter son emploi au moment de son mariage. Quant à Jacqueline (1929, 4 enfants), qui était secrétaire de direction, elle évoque elle aussi de façon très expli-cite avoir répondu aux attentes en vigueur à cette époque :

« J’ai toujours tout fait bien juste. Je souhaitais me marier évidement et avoir une famille, vous savez à l’époque, les femmes ne travaillaient, m’enfin, euh j’ai travaillé entre 19 et 25 ans c’qui me semblait tout à fait normal, mais j’avais pas d’aspiration de euh euh de carrière si vous voulez […] je pensais et je savais normalement qu’une femme se marie et c’est ce que je souhaitais. Et un jour je me suis mariée et j’ai eu quatre enfants ».

D’ailleurs, lorsqu’elle « dévia » du parcours familial standard en divorçant à l’âge de 48 ans, sa mère l’a « mise à la porte pendant trois ans ».