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un enjeu de mutualisation des pratiques à l’échelon territorial en faveur de la compétitivité régionale

Dans certains cas, un espace géographique se caractérise par un maillage étroit entre les organisations et les entreprises locales, sans toutefois présenter les caractéristiques d’un réseau territorialisé d’organisations. Nous emploierons alors le terme de proximité géographique et organisée. Ce contexte est celui de l’étude de cas 2 (Projet GTRH), présentée et analysée au chapitre 5.

L’entreprise doit faire face à de multiples tensions dans un contexte de mondialisation croissante (Daviet, 2004). On pourrait penser que cette tendance à la mondialisation aurait eu raison des préoccupations locales des entreprises. Or, il semblerait que l’on assiste, non pas à l’effacement des enjeux locaux, mais plutôt à la multiplication des niveaux d’analyse auxquels sont confrontées les organisations. Elles sont positionnées à l’échelle globale (mondiale), intermédiaire (par exemple au niveau européen) et locale (au niveau régional) (Spicer, 2006). Herod et al. (2007) argumentent en faveur de la prise en compte de la dimension spatiale et géographique dans les études sur le travail et l’emploi, et de surcroît dans un environnement mondialement globalisé. En effet, l’espace structure les pratiques sociales par le biais des différentes représentations sociales qu’il engendre et contraint les acteurs par des conditions socio-économiques locales, façonnant des conditions d’emplois et de travail particulières. De ce fait, il semblerait que « la territorialisation de la production apparaisse comme le corollaire paradoxal de la mondialisation » (Pecqueur, 2008, p.315). En sciences de gestion, il a été récemment fait état des manquements des travaux relatifs à la dimension spatiale et territoriale. Ceci a donné naissance à un récent courant de recherche traitant ces notions notamment en management stratégique, qui s’appuie sur les disciplines mères en la matière, la géographie et l’économie (Lauriol et al. 2008a).

Les gestionnaires s’inspirent ainsi des travaux issus des recherches menées dans le champ de l’économie de la proximité (Lauriol et al. 2008b), et s’approprient à leur tour les notions d’espace et de territoire (3.1). Cette littérature souligne récemment l’importance d’un contexte actuel de « renouveau des territoires » permettant d’envisager de nouvelles perspectives et

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dispositifs pour l’emploi et la gestion des ressources humaines (3.2.). Aussi, les notions présentées ici sont très proches de celles développées dans la section précédente. Mais ici, l’accent est moins porté sur la configuration de réseau. L’accent est mis sur la notion de proximité.

3.1. Le territoire, au carrefour des proximités géographiques et

organisées

La notion d’espace est antérieure à celle de territoire dans les théories économiques. L’espace était considéré par les approches classiques, seulement comme le réceptacle des activités et comme un point de localisation. Cette approche évolue peu à peu avec la prise en compte d’autres éléments, tels que la disponibilité de la main-d'œuvre locale, les gains dont peuvent bénéficier deux entreprises situées à proximité, la localisation en fonction de l’urbanisation, etc. (Zimmermann, 2008).

3.1.1. Les notions de proximité et de territoire

3.1.1.1. Proximité géographique et organisée

De nombreuses définitions de la proximité sont offertes par le champ de la géographie économique. Il est courant de distinguer plusieurs formes de proximité. Torre et Rallet (2005) retiennent dans leurs travaux, la proximité géographique ou spatiale, et la mobilité organisée. La proximité géographique renvoie à la distance kilométrique séparant deux unités (des individus, des organisations, des villes). L’évaluation de la distance est dépendante des moyens de transport, car elle est en général réalisée par l’approximation du temps nécessaire pour se rendre d’un point à un autre. Les paramètres pris en considération sont à la fois objectifs (nombre de kilomètres, coût, temps), mais dépendent aussi de la perception qu’ont les individus de cette distance, en fonction de leur âge, de leur niveau social, de leur profession, etc. La notion de proximité géographique mêle donc des référents objectifs et subjectifs, mais elle est cependant considérée comme une donnée physique et spatiale.

La proximité organisée désigne la capacité d’une organisation à faire interagir ses membres, grâce au développement d’une part, de « logiques d’appartenance » (deux membres d’une

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même organisation sont proches parce qu’ils interagissent et cette interaction est facilitée par des règles et des comportements routiniers). D’autre part, cette interaction résulte d’une « logique de similarité » (deux individus sont proches lorsqu’ils partagent un système de représentation commun). La proximité géographique facilite les interactions, mais ne suffit pas. Afin de générer de l’interaction, la proximité géographique doit être structurée et activée par la proximité organisée : « Quand proximité géographique et organisée interviennent conjointement, elles sont susceptibles de contribuer à l’émergence d’un territoire, définissant ainsi un dehors et un dedans délimitant un processus d’auto-renforcement à travers la construction commune de ressources partagées entre les acteurs et favorisant leur ancrage territorial » (Zimmermann, 2008, p.115).

Une troisième forme de proximité est souvent utilisée, celle de proximité institutionnelle qui exprime « l'adhésion d'agents à un espace de représentations, de règles d'action et de modèles de pensée » (Lauriol et al. 2008b). Cette troisième forme de proximité dépasse ainsi l’appartenance à une organisation, mais serait reliée à l’appartenance à un territoire de référence commun. Cette proximité institutionnelle s’apparente à la « logique de similarité » présentée par Torre et Rallet (2005).

Il est fait recours aux différentes formes de proximité afin de démêler les interactions entre les firmes sur un territoire, notamment en ce qui concerne l’échange de savoirs et de connaissances. Selon ces approches, il est largement admis que la proximité géographique permet d’obtenir des informations subtiles et complexes que ne permet pas la distance. En revanche, ces interactions sont activées grâce à des « correspondances cognitives » (Malmberg et Maskell, 2006).

3.1.1.2. Le territoire

Pecqueur (2009) montre que le concept de territoire a d’abord connu une période d’exténuation au cours de laquelle on a assisté à une « surchauffe » du concept et à une multiplication de son sens, à une période actuelle de « sublimation », accompagnée du « rebond » du territoire et un sens nouveau grâce à l’essor des travaux autour de l’économie de la proximité.

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Il est fréquent de distinguer plusieurs acceptions du territoire. Une première dichotomie met dos à dos un territoire spatial, qui renvoie à une dimension matérielle et géographique, et un territoire symbolique, associé à la production de sens et à l’existence d’un sentiment commun d’appartenance. La seconde dichotomie oppose un territoire prescrit, dont les frontières et les représentants sont désignés, et un territoire construit, où les acteurs ont établi un lien avec celui-ci et donnent à voir leurs actions sur la scène publique (Raulet-Croset, 2008). Le territoire peut donc être une dimension spatiale et prescrite ou bien un espace symbolique et construit.

Dans la lignée des travaux de l’école de la proximité, nous considérerons le territoire comme « une forme particulière du collectif », c’est-à-dire « un lieu pertinent d’agrégation d’acteurs, ancré dans l’espace géographique, où se jouent des compromis politiques et sociaux » (Gilly et Pecqueur, 2000, p.133). Par conséquent, le territoire produit un système de représentations communes à ses membres, élaborant ainsi leurs propres règles et faisant émerger des formes de régulation partielle relativement autonomes (ibid., p.134).

Le développement territorial découle de « la propension des acteurs à s’entendre et à s’organiser pour engager collectivement des actions répondant à un ou plusieurs objectifs qu’ils s’assignent en commun » (Angeon, 2008, p.239). Les dynamiques territoriales résultent de l’interaction des concepts de coordination et des ressources construites sur le territoire. En effet, les dynamiques territoriales reposent sur l’interaction d’acteurs, qui s’approprient des ressources au sein de cette coordination. Ces ressources peuvent être de différentes natures (génériques ou spécifiques, latentes ou disponibles), et sont transformées au cours de la coordination. La question de la coordination renvoie aux dimensions de la proximité et de gouvernance, qui désigne un mode d’articulation d’enjeux privés et publics. Le recours à une ressource générique n’entraîne pas de modification dans la coordination, tandis que l’utilisation d’une ressource spécifique implique des modifications et notamment la constitution de routines. Des ressources disponibles peuvent être achetées et vendues sur un marché, alors que les ressources latentes ne sont pas immédiatement disponibles. L’émergence de dynamiques territoriales est donc liée à « la capacité des coordinations territorialisées à identifier, révéler et utiliser des ressources latentes. Cette capacité est clairement définie comme un processus de nature collective » (Colletis-Wahl et al. 2008, p.153).

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Cette définition du territoire fait écho à certaines problématiques propres aux sciences de gestion. Lauriol et al. (2008b, p.186) reprennent cette acception, en insistant sur le fait que le territoire est une entité, que l’on peut considérer comme un mode d’organisation des relations entre des acteurs situés localement. Cette « organisation territoriale » a l’intérêt de « mailler différents acteurs porteurs de rationalités diverses et limitées, différents niveaux d'intervention (le local, le national, le global...), différentes institutions et organisations dont les logiques d'action peuvent parfois se révéler incompatibles...autour de projets et d'intérêts communs » (Lauriol et al. 2008b, p.186).

3.1.2. L’intérêt des notions de proximité et de territoire pour les sciences de gestion

En sciences de gestion, les concepts issus de l’économie de la proximité permettent d’envisager d’une part, l’étude des relations formes-territoires. D’autre part, cela conduit la recherche en gestion à envisager l’extension des concepts usuellement adaptés à la firme, à l’échelle du territoire : on parle désormais de la compétitivité des territoires, des compétences territoriales et de la gouvernance territoriale. Ceci implique qu’il faille dépasser le cadre d’analyse de l’organisation, nécessitant de modifier les repères classiques de la gestion, car sur ces territoires, « les acteurs ne sont pas liés par des relations hiérarchiques, ni par des partages d'expérience ou de valeurs communes, ils appartiennent généralement à des institutions différentes » (Raulet-Croset, 2008, p.149).

3.1.2.1. L’étude des relations firmes-territoires

Le territoire pouvait constituer un support au développement des firmes, grâce à « la mise à profit d'externalités dont le territoire est offreur ». Ce thème de la « distribution spatiale des activités au sein des firmes » a été largement exploré et s’intéresse à la manière dont l’espace est pris en compte dans la formulation de la stratégie (Lauriol et al. 2008b). La position « nodale » d’un acteur, c’est-à-dire sa place au sein d’un réseau d’acteurs innovants, constitue un levier de croissance pour les entreprises. Plaidant en faveur d’un management « glocal », Carluer (2005) montre que l’insertion territoriale des entreprises multinationales est aujourd’hui plus forte, car elles ont davantage tendance à privilégier les compétences du territoire d’accueil, « sources potentielles d’interactions fructueuses ». L’inscription territoriale des firmes dessert notamment la stratégie globale des groupes et notamment en

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matière d’emploi (Raveyre, 2005). La prise en compte de l’espace et du territoire peut entrer dans la formulation de la stratégie des firmes et certains n’hésitent pas à évoluer vers une plus grande « régionalisation » de leur organisation globale qui se traduit par la prise en compte des caractéristiques locales. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de la répartition spatiale des fonctions d’innovation et de conception (Tannery et Laurent, 2007), qui sont en général fortement dépendantes des liens historiques établis avec les universités et les laboratoires de recherches (Daviet, 2004). Lorsque l’espace local génère des formes de proximités organisées, alors les firmes auront tendance à favoriser un ancrage territorial (Lauriol et al. 2008b).

Dans une démarche de réciprocité de la relation firme-territoire (Colletis et al. 1997), les entreprises sont amenées à passer d’une logique de « prédation » à une logique de « construction des ressources » (Perrat et Zimmermann, 2003), les incitant, par exemple, à s’engager plus fortement au sein de projets locaux de développement économique. Cette « rencontre productive » concourt à la création des ressources, de la firme et du territoire.

3.1.2.2. La compétence-clé des territoires, source de leur compétitivité

Certaines régions sont considérées comme étant plus dynamiques que d’autres sur le plan économique. Les géographes de la proximité tentent d’expliquer ces écarts notamment à l’aide de concepts tels que les « capacités localisées »18, résultant de l’exploitation de ressources naturelles sur un territoire ou bien des infrastructures, de l’environnement ou encore d’un savoir-faire régional (Malmberg et Maskell, 2006). Ces analyses ont peu à peu permis d’envisager l’extension des concepts utilisés en sciences de gestion et appliqués aux territoires. Boshma (2004) défend également l’idée selon laquelle il est pertinent d’établir un parallèle entre la notion de compétitivité appliquée à la firme et appliquée aux régions. Selon cet auteur, les régions fonctionnent également comme des entités, avec leurs opportunités et leurs contraintes. Autrefois fondée sur l’exploitation de ressources physiques, la compétitivité des territoires repose en effet aujourd’hui en grande partie sur la combinaison des ressources, immatérielles, qui, lorsque les acteurs sont organisés, peut aboutir à la constitution d’une compétence-clé d’un territoire et donc un avantage compétitif (Nekka et Dokou, 2004, Mendez et Mercier, 2006). Aussi, cette « dématérialisation requiert davantage de

18 Traduction de « localized capabilities »

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coopération entre acteurs locaux et l'établissement d'une "gouvernance territoriale ». La capacité des acteurs à s’organiser constitue la compétence-clé d’un territoire.

Lawson (1999) plaide également en faveur de l’extension du concept de compétence de la firme à la région. La compétence d’une région est ici comprise comme l’une des propriétés émergentes des activités sociales de la région. En d’autres termes, bien que les firmes et les régions soient deux objets différents, elles sont toutes deux définies par une articulation de compétences émergeant au croisement de formes d’interactions sociales, ce qui rend possible cette comparaison. Ces approches convergent autour de l’idée que « quelque chose » émerge de l’interaction d’organisations regroupées sur un même espace, qu’il propose de nommer « compétence régionale ». Cette idée de compétence régionale fait écho à celle de « compétence-clés des territoires », développée par Mendez et Mercier (2006).

Le concept de compétence-clé des territoires est intéressant dans le cadre de notre recherche, car on peut supposer que le développement de projets inter-organisationnels, amenant les organisations locales à coopérer, comme cela pourrait être le cas avec la GRH territoriale, peut contribuer à l’émergence d’une telle compétence-clé.

3.1.2.3. La compétence territoriale

Une notion voisine de celle de compétence-clé des territoires est celle de compétence territoriale. Tandis que la première désigne la capacité des acteurs locaux à se coordonner, la seconde revoie à l’idée d’une spécialisation affichée dans un domaine d’activité particulier. En effet, d’abord envisagée comme individuelle, la compétence renvoie à « des combinaisons de ressources qui rendent ‘capable de’, dans un contexte donné » (Defélix et Retour, 2007, p.119). Cette compétence a ensuite été envisagée à d’autres niveaux que celui de l’individu. On parle ainsi de la compétence collective en référence à l’activité d’un groupe de travail, et de la compétence organisationnelle lorsqu’il s’agit de l’entreprise (Defélix et al. 2009c). La compétence territoriale se définit alors comme « une combinaison de ressources géographiquement proches permettant au territoire d’afficher une spécialisation compétitive » (Defélix et Mazzilli, 2009, p.201).

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Gérer les compétences individuelles locales en prenant en compte la ou les compétences territoriales peut faciliter l’anticipation de l’évolution des métiers sur ce territoire. Cela peut déboucher sur des dispositifs de formation adéquats, de recrutements conjoints sur une limitation de l’impact des restructurations, etc. Un lien peut aussi être envisagé entre les compétences individuelles et la compétence territoriale par le biais de l’apprentissage collectif localisé d’une région (De Bernardy, 1998). Ce concept permet donc de développer l’idée d’une gestion des ressources humaines ayant pour objectif de décliner des actions de GRH à l’attention des salariés du territoire et dédiée à la consolidation de cette compétence territoriale.

3.1.2.4. La gouvernance territoriale

De même que la notion de compétitivité de la firme a été étendue au territoire, la notion de gouvernance appliquée au territoire recouvre également un champ d’études en émergence. La gouvernance territoriale pointe « l’élargissement du champ des acteurs impliqués, de l’interdépendance des acteurs et des organisations tant privées que publiques dans le processus de prise de décisions » (Leloup et al. 2005, p.326). Le rôle de cette gouvernance locale va au-delà d’une simple consultation, car elle doit permettre de susciter l’adhésion, la participation et l’implication des acteurs locaux autour d’une visée commune. On distingue trois types de structures de gouvernance locale en fonction des acteurs dominants : une gouvernance privée (les acteurs privés, dominants, pilotent les dispositifs de coordination et de création de ressources) ; une gouvernance privée collective (l’acteur-clé est une institution formelle qui regroupe des opérateurs privés) ; une gouvernance publique (les institutions publiques sont le moteur des dispositifs de coordination locale) (Mendez et Mercier, 2006, p.257). De plus, cette gouvernance territoriale peut être appréhendée au travers de quatre fonctions critiques : la fonction réflexion/concertation, la fonction décision/pilotage, la fonction animation/maintien et la fonction mise en œuvre stratégique/ingénierie territoriale (Michaux, 2009). Xhauflair et Pichault (2009) mettent en avant le rôle de ce tiers-traducteur dans la mise en place de pratiques de « fléxicurité » au sein de périmètres inter-organisationnels au niveau local. Le centre de traduction dans le processus de construction du dispositif est central. Geindre (2005) met en évidence les trois rôles de l’acteur tiers au sein d’un réseau local : initiateur des relations, facilitateur de leur développement et garant du bon fonctionnement du réseau.

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La gouvernance territoriale est également un concept qui fait sens dans cette recherche, puisque la mise en œuvre de pratiques de GRH à l’échelle d’un territoire requiert une structure de pilotage, telle que décrite par ce concept.

3.2. L’affirmation des préoccupations territoriales pour l’emploi, le