• Aucun résultat trouvé

Les employées domestiques et la reproduction des modèles familiaux : différer la

Chapitre III : Politiques sociales, travail et citoyenneté dans le monde

33- Les employées domestiques et la reproduction des modèles familiaux : différer la

L’emploi domestique est l’une des branches qui articule les questions de segmentation des marchés du travail, celles posées par les transformations au sein des familles, la présence plus importante des femmes sur ces marchés du travail, et les infléchissements des migrations internationales. C’est la principale branche d’emploi des femmes migrantes, partout dans le monde. Un travail construit sur la base d’un très large corpus de référence traitant de l’emploi domestique autour de la Méditerranée172 m’a conduite à constater que l’emploi domestique tend à augmenter dans la plupart des pays de ce bassin. Les employés domestiques proviennent de plus en plus de pays en développement, sont fréquemment des résidents illégaux dans le pays, qui atteignent leur destination (finale ou transitoire) par l’intermédiaire de trafiquants ou autres agences commerciales. Les études consultées mettent en avant une internationalisation croissante des marchés du travail domestique, parallèlement à un taux croissant de féminisation des migrations. Les migrantes arrivent de pays de plus en plus lointains, et des spécialisations nationales se font jour.

Le continent asiatique est entré plus tardivement que les autres dans l’exportation de travailleurs, les flux qui en proviennent sont très féminisés et ont comme première destination les pays du Moyen-Orient. Les Philippines, le Sri Lanka, l’Indonésie, le Bangladesh et la Thaïlande sont à l’origine d’une part croissante de l’offre mondiale de travailleuses domestiques. Au cours des trente dernières années, les migrations asiatiques se sont formidablement accrues: entre 1976 et 1998, les chiffres officiels signalent une multiplication par 85 pour l’Inde, 216 pour l’Indonésie, 11 pour les Philippines, 135 pour

172 [99]- DESTREMAU, Blandine, 2007 : “The dynamics of the globalised migrant domestic labour market in the Mediterranean countries”, document présenté au colloque, organisé par l’Amsterdam School for Social-science Research (ASSR), janvier 2007 (non publié).

[93]- DESTREMAU, Blandine, 2006: “Déni de protection sociale ? Dynamique de construction de l’informalité et de la vulnérabilité : une perspective méditerranéenne sur l’emploi domestique”, communication présentée au 2ème Congrès de l’AFS – Bordeaux, 5-9 Septembre 2006, Réseau Thématique 6 : Protection sociale, Politiques sociales et Solidarités (non publié).

la Thaïlande, 44 pour le Bangladesh et 316 pour le Sri-Lanka (Wickramasekera 2002)). La part des femmes parmi les migrantes s’est gonflée de 50% en moyenne entre la moitié des années 1980 et la fin des années 1990 pour l’Indonésie, et s’est multipliée par 4 entre 1980 et 2000 pour les Philippines, a doublé pour le Sri-Lanka entre 1986 et 2001, et s’est multipliée par 2,5 pour la Thaïlande entre 1986 et 1996. Sauf pour la Thaïlande, les femmes représentent désormais les deux-tiers de ces migrations, et se destinent au premier chef à des emplois domestiques (mais aussi hospitaliers). Si les pays du Moyen-Orient étaient leur première destination au cours des années 1970-1980, des pays asiatiques (tels Hong-Kong et Singapour) et européens les attirent de plus en plus. La concentration est la plus forte parmi les migrants du Sri-Lanka: les femmes partant pour s’employer comme domestiques y représentent 70% du total des migrants en 1995, et 81% en 2000, contre 40% seulement en 1988, et pratiquement 90% des femmes migrantes (Dias & Jalasundere 2001, sur la base des statistiques nationales). Cette spécialisation est encore plus étroite si l’on considère les pays du Moyen-Orient, où elles occupent exclusivement ces fonctions, au point où, au Liban, le terme «Srilankiyeh » est devenu une désignation générique pour bonne.

Comme je l’ai indiqué plus haut, le fait que la croissance de l’emploi domestique ait été la réponse à des tensions dans les modèles familiaux dans les pays du Moyen-Orient depuis un quart de siècle est dû surtout à l’existence d’une offre abondante et bon marché de travail féminin, disponible et disposé à travailler comme domestique résidente. C’est essentiellement en raison des aménagements des lois sur l’immigration, sur la résidence et sur le travail, et de la façon dont ces lois s’articulent avec les fonctions du marché du travail, que ce créneau peut se développer à ce point, sur de prétendues qualités objectives des différentes nationalités de migrants, et donc dans la différenciation. La tendance à la globalisation des marchés du travail domestique va de pair avec une racialisation de ces mêmes marchés, l’éventail des pays d’origine pouvant être plus ou moins large selon les situations géographiques, les lois, les héritages coloniaux, etc. Dans les pays du Golfe et de la Péninsule arabique, comme au Liban, en Jordanie et en Israël, près de 100% des employées domestiques sont des migrantes, surtout de l’Asie et de l’Afrique. Dans d’autres pays arabes, les migrants représentent une part plus réduite, mais en croissance, de l’offre marchande de travail domestique. En Egypte, dans les pays du Maghreb et en Turquie, l’emploi de domestiques résidentes n’est pas encore la règle et le marché est toujours approvisionné par des migrants ruraux récemment urbanisés et, parfois (Egypte, Maroc), par des enfants. La demande de domestiques migrantes résidentes de la part de la classe la plus riche augmente toutefois, et le marché tend à se structurer autour de quatre segments: des employées asiatiques servent ce segment « haut » du marché, des migrantes et réfugiées de l’Afrique de l’est ou d’autres pays arabes satisfont la demande des classes moyennes, les familles « modernes » embaucheront plutôt une femme de ménage locale payée à l’heure, et d’autres, plus traditionnelles, une « petite bonne », phénomène en voie de régression.

En Israël et au Liban, une partie de l’offre de travail domestique provient des populations palestiniennes réfugiées ou vivant sous occupation. En Israël, toutefois, l’emploi domestique a été un secteur d’intégration pour les migrants juifs récemment arrivés, mais lorsque l’offre a tendu à se réduire après les fermetures de passages entre les territoires palestiniens occupés et Israël, ce secteur d’activité est devenu la spécialisation de migrants venus spécialement pour y travailler. Au Liban, le marché du travail domestique

a connu une croissance importante, plus en raison de la différenciation des statuts sociaux que du fait d’une augmentation de l’activité des femmes et il est presque entièrement pourvu par des domestiques résidentes provenant d’une poignée de pays, essentiellement le Sri Lanka et les Philippines.

L'émergence d'un marché du travail domestique à Sana'a que j’ai étudié pendant mon séjour de terrain au début des années 2000173, est le produit conjoint d’une part d'un accroissement de la demande de services domestiques, du fait de l'apparition, depuis trois décennies environ, d'une classe moyenne et supérieure qui adopte de nouveaux modes de vie, dont l'emploi de domestiques. Il résulte aussi d'un accroissement de l'offre, dû en particulier à l'arrivée au Yémen de milliers d'immigrés, hommes et femmes, en provenance de pays pauvres, et particulièrement -mais pas exclusivement- d'Afrique de l'est, pour une bonne partie des réfugiés somaliens, en recherche de travail, devenus « spécialisés » (souvent temporairement) dans ce type de services, auxquels se joignent, de façon encore marginale, des femmes yéménites appauvries. Ce marché est segmenté, encore que de façon relativement flexible, entre les employés au statut légal (séjour et emploi) et ceux qui sont employés en dehors de tout cadre légal, entre les domestiques résidentes au domicile de leur employeur et les travailleuses à l’heure ou la demi-journée. Il est peu institutionnalisé, dans le sens où très peu d'agences œuvrent à satisfaire une offre ou une demande, mais aussi parce que le travail domestique, comme dans de nombreux pays, n'est pas couvert par le droit du travail. Du fait notamment de la difficulté des services publics à contrôler les résidents et employeurs, mais aussi parce que l'amalgame fait entre immigrés illégaux et réfugiés somaliens est compliqué à défaire, les illégaux sont de fait peu menacés, mais occupent souvent les positions les plus basses et précaires de ce marché. On ne note cependant pas de pratiques généralisées d'abus, comme c'est le cas dans les pays du Golfe, au Liban ou en Jordanie.

***

La migration dans des conditions non protégées, particulièrement lorsqu’elle mène à un emploi dans une branche qui a acquis un marquage « migrant » très fort, porte différents facteurs de vulnérabilité qui affectent les femmes migrantes de façon différente selon leur pays d’origine et leur pays de destination. La compréhension des dynamiques de mobilité au Moyen-Orient implique ainsi nécessairement non seulement la prise en compte de la gestion, la structure et l’évolution des marchés du travail, mais aussi une analyse des rapports sociaux d’emploi, de genre, de propriété et de citoyenneté / nationalité. Et la « question migratoire » constitue une clé de lecture fondamentale et pertinente d’un certain nombre de modes de régulation et de transformation sociale, économique et politique dans la région. C’est le rôle de l’Etat, gestionnaire de la construction nationale, pénétré des luttes de pouvoir, reproducteur des rapports sociaux qui le fondent, qui se donne à lire à travers ces considérables flux de mobilité.

173 [85]- DESTREMAU, Blandine, 2005 : “Les migrations féminines au Yémen et la constitution d’un marché de l’emploi domestique”, communication aux Journées de rencontres internationales Mobilités au féminin, organisées par le Laboratoire méditerranéen de sociologie (MMSH, Aix-en-Provence), Tanger, 16-19 novembre (non publié).

[66]- DESTREMAU, Blandine, 2002 : “L’émergence d’un marché du travail domestique au Yémen”, in Destremau, B. et Lautier, B (eds) : Femmes en domesticité (les domestiques du Sud, au Sud et au Nord), dossier de la Revue Tiers Monde, n° 170, avril-juin, pp. 327-351, PUF, Paris.

Conclusion : Etat social et régimes de citoyenneté dans le monde

arabe

Ce chapitre a posé les jalons empiriques d’une réflexion qui articule travail et citoyenneté et dont je ne peux présenter ici que les prémisses, à développer dans des travaux ultérieurs. L’appel à la citoyenneté sociale s’intensifie dans des écrits fort divers (chercheurs, rapports d’organisations internationales ou d’ONG…). De façon croissante, elle n’est plus considérée de façon formaliste, mais est discutée dans ses fondements, ses conditions de réalisation et ses implications174. Dans son étude sur le Canada, Lynda Erickson (2003 p. 2) note que « la citoyenneté sociale en est venue à se référer à deux ensembles de droits et garanties, chevauchés mais distincts analytiquement. Le premier ensemble, les droits de citoyenneté sociale « conventionnels » ou « anciens », se rapportent à des droits et des pouvoirs d’accès [entitlements] à des services et des prestations de welfare fournis par l’Etat, tels que les pensions et les soins de santé, et des garanties étatiques de sécurité économique. Le second ensemble, les « nouveaux » droits de citoyenneté sociale, se rapportent à des garanties d’égalité des chances pour des groupes socialement désavantagés, telles que les femmes » (ma traduction).

Linda Bosniak (2006), quant à elle, cherche à dépasser l’opposition qui prévaut dans les travaux de recherche entre des approches « universalistes » de la citoyenneté, focalisée sur l’intérieur d’une communauté (le plus souvent étatico-nationale) et qui assume l’appartenance comme préexistante d’une part et des approches en termes de frontières, de bordures d’autre part. Ce postulat d’une séparation nette, rigide, entre le dehors et le dedans, est enraciné dans une vision de régimes de citoyenneté divisés spatialement. Remettant en cause le nationalisme empirique ou normatif des théories de la citoyenneté, elle construit la question principale de son ouvrage à partir des formes de citoyenneté des non citoyens -au sens juridique- présents sur un territoire donné. Elle entreprend donc l’étude d’une zone hybride, panachée, poreuse, généralement exclue des discours binaires portant sur la citoyenneté, selon lesquels ce qui est désigné par citoyenneté concerne les citoyens statutaires. Les migrants sont en effet originaires du dehors, mais vivent dedans, où on leur assigne un statut d’étranger. L’intériorité spatiale se conjugue donc à l’extériorité de statut, comme si la frontière les suivait à l’intérieur d’un territoire, le statut d’étranger se situant alors à l’interface de deux régimes de citoyenneté, l’un qui inclut les membres d’une communauté nationale, l’autre qui exclue les étrangers. C’est dans ce cadre que s’instaure un débat sur les normes de citoyenneté qui s’appliquent alors, et sur quelles combinaisons s’appliquent aux étrangers.

Jane Jenson (2007) souligne que la solidarité familiale et communautaire, localisée, est plus explicitement évoquée dans le cadre de régimes de citoyenneté inscrites dans de néo-libéralisme, qu’il s’agisse d’extension de la protection sociale (pour les PVD) ou de réformer les systèmes existants (pays de l’OCDE). La citoyenneté promue par divers organismes internationaux, et par des institutions nationales ou supranationales à travers leurs entreprises de réformes libérale, tend vers la participation (aux décisions politiques, au marché, à l’emploi, à la consommation), dans une perspective individuelle, alors que les droits collectifs et les formes d’organisation et de revendication fondés sur des intérêts collectifs (syndicats, etc.) s’affaiblissent. Parallèlement, on observe une diversification

174 Ce que font, entre autres, Dwyer 2000, Cox 1998, Mundlack 2007, Gore et alii. 1995, Dean 1998, Jenson 2007 et 2008, Abrahamson 2007, Erickson 2003, Bosniak 2006 et d’autres. La réunion 2008 du groupe de recherche Poverty, Social Welfare and Social Policy (RC19) de l’Association Internationale de Sociologie porte précisément sur la citoyenneté sociale.

des intervenants et des fournisseurs privés, un renforcement du rôle des ONG, qui conduisent à un affaiblissement de la place des droits-créance dans ce qui est désigné comme droits sociaux et un recul de la place du droit comme mode d’accès à des biens et services sociaux.

Les pays du monde arabe permettent une réflexion significative sur les régimes de citoyenneté et, plus spécifiquement, sur la place que les politiques sociales, et la citoyenneté sociale, y occupent. L’édification des droits sociaux n’a pas absorbé ou démantelé les anciennes solidarités mais s’est appuyée sur elles, voire les a renforcées, tout en donnant une assise à de nouveaux groupes de solidarité autour de la construction de l’Etat (militaires, fonctionnaires…). Les vagues de libéralisation des marchés du travail et des dispositifs d’intervention publique affectant l’emploi et le bien-être remettent en cause les fondements des équilibres établis pendant la période suivant les indépendances, et particulièrement ceux des économies rentières, creusent les inégalités, aggravent la précarité et la pauvreté. Si les prestations d’assurance sociale engendrent pour leurs bénéficiaires des formes d’autonomie matérielle, leur faible niveau semblerait plutôt renforcer les solidarités familiales en complétant leur base matérielle, que de les affaiblir.

Certes, des mesures sont prises pour étendre les bénéfices de la protection sociale à des groupes vulnérables non ou peu couverts, mais essentiellement par des mécanismes d’assistance conditionnelle et de recours aux secteurs privé et caritatif de fourniture de prestations, qui sont faiblement porteurs de droits. Ces tendances, observables à l’échelle globale, convergent vers un renforcement des relations de clientélisme, de dépendance, vers la marchandisation des services sociaux et de la protection sociale. Les solidarismes locaux, fragmentaires, s’alimentent de leurs fonctions protectrices, nourrissant des loyautés particularistes et des résistances identitaires qui sont en tension avec « l’inclusivisme excluant » de la solidarité nationale et du droit social. La faiblesse du lien social et de la cohésion nationale en est pour partie le produit, bien que les politiques sociales continuent à constituer des bases fondamentales de la légitimité des Etats. A l’exception de la Tunisie et de l’Egypte, dans les pays où les besoins du secteur de la construction, des services, de l’industrie et de l’agriculture productiviste requéraient des hommes et femmes « libres », le salariat capitaliste a été construit, essentiellement par le recours à des migrants, de façon juxtaposée, atomisée, détachée des anciennes solidarités, sans qu’aucune protection, ou droits sociaux, ne soit proposé en contrepartie. Ainsi donc, la dimension politique de la citoyenneté salariale s’est réduite à une inclusion dans le marché de l’emploi, sa dimension civique est embryonnaire et sa dimension sociale consubstantielle avec la politique : productrice de légitimité, elle réside avant tout dans les relations avec l’Etat. Plus qu’entre classes sociales, le front de conflictualité dont parle T.H. Marshall (Marshall et Bottomore 1992) réside donc ici d’une part à l’interface entre droits des hommes et des femmes, tant il remet en cause les structures familiales qui sous-tendent la reproduction du politique ; et entre nationaux et immigrés, autour de l’enjeu de la mise au travail et de la protection de l’emploi salarié capitaliste de l’exigence de droits.

La position des migrants et réfugiés non naturalisés peut servir de prisme d’analyse à la construction de la citoyenneté, en l’éclairant par sa marge et ses zones grises. Ils ne peuvent généralement prétendre qu’à des bribes de citoyenneté sociale, qui apparaît le plus souvent comme une forteresse, et qui mesure le degré de proximité du centre du pouvoir, et la fonction politique du droit social. Le travail et la protection sociale opèrent

donc comme un révélateur du statut de ces droits ou du degré d’institutionnalisation de leurs modes d’accès. Les migrants les plus exposés n’ont généralement d’autre recours que d’en appeler aux droits de l’homme pour protéger leurs droits civiques les plus élémentaires, dans le cas de violations flagrantes, mais ceux-ci, défendus par des organisations locales des organismes internationaux sévèrement contrôlées, peinent à être entendus, tant ils sont en décalage avec les dispositions légales existant dans le pays, non seulement à leur encontre mais à celle de l’ensemble des résidents. Les régimes qui prévalent dans nombre de ces pays sont en effet des régimes de faveur et de privilèges, dépendant de la capacité à mobiliser des ressources sociales et politiques, dont la notion de droit est pratiquement absente, ou fait office de faire-valoir discursif.

La matrice déterminante apparaît donc bien être celle des droits politiques175, dans laquelle s’enchâsse l’articulation entre droits économiques et sociaux, d’une part, et droits civiques et humains, de l’autre. La vulnérabilité des migrants est construite au premier chef par leur statut politique qui détermine leur position dans le marché de l’emploi. L’un et l’autre sont gérés par le politique et non par l’économique, d’où absence de reconnaissance d’un statut de réfugié, octroi de permis de résidence, soumission à la kafâla, confiscation du passeport... Renforcée par des représentations, des modes de fonctionnement, des règles pratiques -obtention de permis divers, de logement, accès aux services publics, circulation sur le territoire national…- la construction politique de leur vulnérabilité et de leur situation dominée, si elle sert des objectifs politiques de non-contamination d’idées, de maintien de l’ordre, etc., en revanche, est bien au service de l’économie et de la reproduction de la société d’accueil. Elle permet de construire le rapport salarial, et dessine les contours des situations d’emploi : en écartant la protection des droits sociaux et du travail de la relation entre employeurs et employés migrants, par une discrimination institutionnalisée, la loi crée un espace de fonctionnement de mécanismes de marché peu régulés, en en réduisant au maximum les risques de débordement, par la segmentation qu’elle opère. La situation d’illégalité au regard des lois dans laquelle de nombreux migrants demeurent se justifierait non seulement par leur incapacité à obtenir le statut requis, mais aussi par un choix : la loi, plus contraignante que protectrice, peut devenir un carcan.

On ne peut nier des frémissements du côté de la reconnaissance de certains droits civiques et sociaux aux travailleurs migrants, sous la forme d’une avancée dans l’encadrement juridique des employées domestiques par exemple (Jordanie, Liban), sous la pression des organisations internationales (dont au premier chef le BIT) ou à une plus grande attention prêtée à l’assurance contre les risques professionnels (Dubaï). Les avancées sont vouées à rester embryonnaires tant que les travailleurs ne possèdent pas de droits en soi, et que l’origine nationale demeure le premier déterminant de l’accès aux droits et, inversement, le premier moyen de pression pour soumettre le travailleur aux besoins de la libre exploitation de la force de travail. La frontière se brouille lorsque nationaux et immigrés se retrouvent en concurrence dans le même secteur d’emploi, mais des statuts d’emploi différenciés au sein de ces secteurs et entreprises font perdurer le

Outline

Documents relatifs