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Dynamiques de réforme et d’extension de la protection sociale dans les pays en

Chapitre II- La dimension sociale de la globalisation et la réorganisation

1- Dynamiques de réforme et d’extension de la protection sociale dans les pays en

solidarité nationale à une nouvelle ère du capitalisme

La protection sociale au sens du BIT est un arrangement collectif qui permet d’amortir les effets d’une incapacité temporaire ou définitive d’obtenir un revenu par le travail. La notion de « système de protection sociale » se définit comme un corps de principes, de valeurs et d’objectifs politiques, économiques et sociaux, associés à une configuration institutionnelle dominante qui organise les droits, les prestations, le financement et la gestion de la protection sociale des individus résidant dans une nation. Quatre éléments institutionnels introduisent des différences significatives entre les systèmes : les règles

d’accès, les formules de prestations, les formes de financement et les structures d’organisation et de gestion. Mais les différenciations entre « systèmes » débordent largement la question des institutions : les acteurs politiques et sociaux d’une part, la question des droits et des formes de la citoyenneté, d’autre part, sont des pièces essentielles de l’analyse des systèmes de protection sociale. D’où la notion de régime, discutée notamment par Jenson (2007), que Bruno Lautier et moi allions adopter dans nos travaux récents 105.

Dans les pays industrialisés, la seconde moitié du XXème siècle voit se consolider les dispositifs de protection sociale autour de l’acteur étatique, du territoire national, des dispositifs assurantiels non marchands et des valeurs et modalités du droit social inscrit dans la loi. Porteur des normes construites dans des environnements marqués par un salariat majoritaire (et majoritairement masculin) concentré dans le secteur industriel, le BIT œuvre à l’extension du compromis bismarckien dans les pays en développement106, tant en termes d’institutions, de procédures que de résultats. Ce compromis normatif et fonctionnel n’est toutefois jamais parvenu au rang de modèle, tant les systèmes réels de protection sociale sont hybrides, diversifiés, fondés dans l’histoire d’un pays ou d’une région. A partir de la fin des années 1990, à la faveur de différents courants d’idées, la protection sociale se voit propulsée comme un des axes essentiels des interventions sociales d’acteurs extérieurs dans les pays en développement ; parallèlement, ce compromis se trouve remis en cause.

En premier lieu, l’OIT reconnaît, lors de sa conférence de 2000, que le paradigme de protection sociale constitutif de ce compromis a échoué à se généraliser dans les pays en développement et qu’il est vain de s’attendre à ce que la forme d’emploi sur laquelle il se fonde majoritairement, le salariat, continue à progresser. Tout au contraire, l’organisation fait le constat de dynamiques de désalarisation, d’informalisation et de précarisation généralisée de l’emploi, et entreprend de promouvoir des formes de protection sociale plus adaptées au nouvel état des lieux. De nouveaux outils doivent donc être forgés et promus, mieux adaptés aux populations non couvertes et à leurs besoins (travailleurs de l’informel notamment).

En second lieu, on observe un glissement du paradigme jusque là mobilisé dans la lutte contre la pauvreté. Celle-ci allait se focaliser sur la lutte contre la vulnérabilité (les « presque pauvres », ou les « pauvres intermittents ») et donc en amont de la pauvreté, et œuvrer à renforcer les capacités des groupes et personnes à prendre en charge leur bien-être présent et futur, tout en leur fournissant des outils de réduction des risques (en fait, surtout de réduction de l’impact de l’occurrence du risque). La lutte contre la pauvreté converge ainsi avec les objectifs fondamentaux de la protection sociale et, comme on va le voir, l’imprègne de ses prémisses. Il s’agit à la fois d’un artifice rhétorique et d’une instrumentalisation de la protection sociale à ces fins consensuelles, qui amoindrissent sa

105 Il n’est pas de mise ici de discuter exhaustivement de la définition de la protection sociale, surtout en des temps où elle fait l’objet de débats, remaniements, et glissements, comme on l’analysera dans cette partie. On peut grosso modo opposer une classe de définitions fonctionnelles (i.e. en termes d’objectifs) à d’autres fondées sur une approche institutionnelle (i.e. les moyens, procédures et institutions qui concourent à engendrer des mécanismes de protection sociale), ou encore à des analyses plus essentielles, ou politiques, de la protection sociale, en termes de régulation des sociétés et du capitalisme.

106 Il fait équivaloir protection sociale et assurances sociales, selon un mode bismarckien de fonctionnement : la fonction en est de protéger les travailleurs (présents, passés, voire à venir) des fluctuations de leurs revenus obtenus du travail imputables à un certain nombre de « risques », précisés dans la Convention 102 adoptée par l’OIT le 28 juin 1952 : soins médicaux, indemnités de maladie, prestations de chômage, prestations de vieillesse, prestations en cas d’accident du travail et de maladie professionnelle, allocations familiales, prestations de maternité, prestations d’invalidité et prestations de survivants.

portée politique et conflictuelle. C’est au nom de la protection sociale et de la gestion des risques que sont élaborés de nouveaux outils de développement social, avec une attention particulière aux femmes et aux enfants, et une insistance croissante sur la responsabilité de soi (contractualisation de l’assistance et transferts conditionnels, microcrédit et micro-assurance…).

Un troisième courant d’idées, qui a contribué à la fois à promouvoir la protection sociale comme idée et comme institutions, ou dispositifs, est lié aux besoins de gestion des marchés du travail, par les entreprises, les gouvernements et les organisations internationales. La protection sociale devra contribuer à la gestion de l’emploi et du chômage (l'intensification de la mise au travail, l'adaptation des formes d’emploi à la flexibilité du marché du travail et aux modes d'exploitation du travail par le capital délocalisé, l'augmentation de la productivité, l'activation de l'assistance à des fins d’intégration à l’emploi, etc.) des entrées et sorties de l’emploi et à l’intégration des non employés, particulièrement les jeunes entrants sur le marché du travail (formation et reformation, création d’entreprises, aide à l’auto-emploi…), dans un contexte global de délocalisation de la production, de flexibilisation et de dérégulation des marchés et des relations de travail.

Quatrièmement, il me semble que la prégnance croissante des perspectives institutionnalistes, ou néo-institutionnalistes, a contribué à renforcer la validité, et la légitimité, des discours en faveur de la protection sociale, en en présentant une figure lisse, peu conflictuelle, organisée par la nécessité et l’efficacité. Et à l’inverse, comme on le verra ci-dessous, les réformes ont été justifiées par des problèmes d’institutions. Le développement institutionnel est nécessaire à celui de systèmes (de gestion de fichiers, de contributions, de prestations, de carrières, d’assurance…), eux-mêmes fondamentaux à l’extension de la protection sociale. Ces institutions-là doivent être rationnelles, transparentes, modèles de bonne gouvernance, compétentes et prendre le pas sur les anciennes institutions, devenues obsolètes. La « dépendance de sentier », dénoncée comme une inertie quasiment mécanique se traduisant par une résistance passéiste au changement et la défense des privilèges et autres intérêts acquis, expliquerait pour une bonne part la lenteur des réformes.

Finalement, la promotion de la protection sociale a bénéficié de celle de la notion de sécurité, qui s'est considérablement élargie, incorpore tous les domaines où elle est techniquement fondée et inclue tous les secteurs concernés par des risques spécifiques: risques sanitaires, migratoires, alimentaires, environnementaux, menace sur les Droits de l'homme, « cette dernière catégorie englobant toutes les autres ». De nouveaux acteurs producteurs de normes et de régulations sociales qui font également figure de relais ou de vecteur d'exportation de ces normes, émergent : organisations internationales et ONG, mais aussi firmes multinationales et compagnies privées de sécurité et, significativement, les professions du droit (Dezalay 2004, Guilhot 2001). Dans sa construction, la notion de sécurité se centre de plus en plus sur l'homme, sujet des droits de l'homme, dont la survie est, dans les pays du Sud, menacée par une insécurité multiforme. Avec l'avènement du concept de « sécurité humaine » estampillé en 1994 par le PNUD, son intégration dans la nouvelle stratégie tripolaire de la Banque mondiale (dans son rapport 2000-2001) et le retour du BIT sur les différentes sphères ou degrés de sécurité, la notion de sécurité tend de fait à se confondre avec la satisfaction des besoins fondamentaux, et à encourager « l'apparition et l'inflation de normes de normes sectorielles de sécurité » dans tous les domaines du développement humain (Bagayoko-Penone et Hours 2005 p. 25). Les

concepts promus par les organisations multilatérales et les acteurs de la mondialisation reposent « sur le postulat d'un lien inextricable entre sécurité et développement, lien opéré par l'entremise de la notion de 'bonne gouvernance' » (idem p. 12).

Ce « renouveau » de la protection sociale correspond en fait à un ajustement des dispositifs de médiation entre l’économique et le politique, appelé à parachever les autres ajustements (économiques dits structurels et politiques suite à l’intégration du bloc de l’Est et à la période post-septembre 2001). Il est une pièce-clé de la « dimension sociale de la globalisation ». Alors que, jusqu’aux années 2000, la protection sociale tendait à être présentée comme un coût pour les économies (aux niveaux macro et micro) qui faisait obstacle à la libéralisation des marchés et à la compétitivité des activités exportatrices, comme un ensemble de rigidités qui freinait le dynamisme des libres entrepreneurs, elle est revenue sur le devant de la scène, depuis le début de cette décennie, comme un investissement social, et donc un facteur de production. Elle est appelée à constituer un outil d’extension du libéralisme, une dimension de faisabilité et de facilitation, un amortisseur, qui doit contribuer à éviter que les chocs économiques provoqués par les réformes ne débordent sur le politique. Les réformes, impulsées dans pratiquement tous les pays du monde, dont les directions et intentions peuvent paraître contradictoires ou peu cohérentes, reflètent toutefois une transformation profonde des fondements, des finalités, des moyens et des implications politiques de la protection

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