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Aspect matériel et architecture de nos sources.

Chapitre 2 Eléments de la vie passée de notre fonds.

Nous avons, en introduction, d’ores et déjà souligné que les ouvrages ici étudiés font partie intégrante d’un fonds illustré dont l’histoire transparaît à travers les multiples cachets et caractères manuscrits qui en jalonnent les pages. Ce chapitre est l’occasion de les détailler afin d’entrapercevoir l’existence menée par nos sources jusqu’à aujourd’hui, dans les mains de leurs lecteurs et possesseurs successifs. Avant cela, il sera question ici de la réglementation connue par nos sources, à l’époque de leur édition, ainsi que des réseaux dans lesquels évoluaient leurs éditeurs62.

« Avec approbation et privilège du roi » ou ce que nos sources révèlent du

« régime du livre

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» (Jeanne Duportal) sur leur période chronologique.

A la fin de la page de titre de nos ouvrages sont inscrites la date de publication et les autorisations particulières dont bénéficie le document. Nous constatons ainsi que quelques-unes de nos sources à Paris : Ramelli (1588), Mariotte64 (1718), Aviler (1755), Bossut et Viallet (1764), Paucton (1768), Darles de Linière (1768), Silberschlag (1769), Bossut en 1771 et de nouveau dans sa réédition de 1775, Ducrest (1777), La Lande65 (1778), du Buat (1779), Bélidor (1782-1790) ; mais aussi en province et à l’étranger tels que Noël66 (1781) à Caen, Switzer (1734) et Clare (1737) à Londres67 font référence à une des trois réglementations s’appliquant à la production imprimée d’Ancien Régime. La première émane de l’Eglise Catholique, alors en pleine Contre Réforme à l’époque de nos

62 Le terme d’éditeur est un tant soit peu anachronique pour le période étudiée. Nous l’employons

néanmoins par volonté de simplification, d’autant que la profession de libraire pouvait n’être que celle de marchand de livres comme associée, sous un même terme, à celle d’artisan qui imprimait les livres. Dans nos sources, il est parfois spécifié que la personne indiquée est libraire-imprimeur ou seulement imprimeur. En revanche, sans information supplémentaire sur l’individu, lorsqu’il n’est stipulé que « libraire », le doute plane. Dans ce dernier cas, si un imprimeur, distinct du libraire, n’est pas ajouté, nous considérerons que le libraire en question est imprimeur-libraire.

63 D

UPORTAL, Jeanne. Etude sur les livres à figures édités en France de 1601 à 1660. Thèse pour le

doctorat ès lettres présentée à la faculté des lettres de l’Université de Paris. Paris, 1914, p.1. 64

Dans cet ouvrage, contrairement aux autres, il est seulement indiqué « avec permission ».

65 Ce document s’est vu accordé le privilège mais il n’est pas fait mention de l’ « approbation ». 66 Au contraire de L

A LANDE,NOËL a eu droit à l’ « approbation » mais pas au privilège.

67 Sur la page de titre de ces deux ouvrages il est respectivement indiqué « under the Royal

sources68, la seconde de l’autorité royale et la troisième des corporations69. A la fin du XVème siècle se développe un phénomène commun à toute l’Europe en matière d’édition. Les éditeurs, pour se préserver du manque à gagner des contrefaçons de leurs publications70, multiplient les demandes auprès des juridictions dont ils dépendent. En France ils s’adressent au Châtelet, au Parlement ou au Conseil du Roi, afin d’obtenir des monopoles d’impression ou des privilèges d’une durée donnée pour les textes qu’ils veulent imprimer. Henri-Jean Martin71 note que les premiers privilèges de ce genre apparaissent dans les années 1480 en Italie, tout d’abord accordés par le duc de Milan, suivi du Sénat de Venise. Le Roi de France, les Parlements, les tribunaux de baillage en province, de même que l’Empereur en Allemagne ou les pouvoirs locaux de ce pays leur emboîtent le pas au début du XVIème siècle72. Désireux de protéger d’une part la propriété littéraire et d’autre part de lutter contre la publication des « mauvais livres »73, le Roi de France développe le système des privilèges au cours de ce siècle. Il soumet, par l’ordonnance de Mantes du 10 septembre 1563, toute impression d’ouvrage à l’obtention préalable soit d’un privilège royal, soit d'une lettre patente, scellée du grand sceau de la Chancellerie74. Seul le Roi de France est parvenu à imposer la suprématie de son privilège aux pouvoirs locaux, facilitant en cela son contrôle de la production imprimée dans tout le royaume. Ceci, n’a néanmoins pas été sans inconvénients, d’autant que les privilèges étaient octroyés essentiellement à des éditeurs parisiens. Ils étaient accordés pour une durée déterminée, qui pouvait être prolongée et aboutir à de véritables monopoles par l’entreprise d’éditeurs ambitieux, biens vus du Roi, ou dociles et coopératifs75. Par conséquent, les autres imprimeurs s’en trouvaient lésés sur deux plans. D’une part ils ne

68 A la censure religieuse déjà en vigueur s’ajoutent, après le Concile de Trente, la réglementation de

la lecture de l’Ecriture et des anciens auteurs grecs et latins, un index de dix règles essentielles à désormais appliquer en matière de censure (Bulle Dominici gregis du 24 mars 1564), la mise en place d’un système d’autorisation préalable à obtenir pour toute publication, la visite régulière des imprimeurs et des libraires par l’autorité du lieu. Sources : BELY, Lucien [dir.]. Dictionnaire de l’Ancien Régime. Paris, PUF, 2003, p.218 ; et DUPORTAL Jeanne, op. cit. p.4-6.

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Le régime de la librairie est celui de la libre concurrence jusqu’à la création de la Communauté de libraires en 1618.

70 La publication d’un livre coûtant relativement cher, les éditeurs espéraient s’assurer l’exclusivité

de la vente, pendant un temps donné sinon davantage, d’autant plus pour les livres illustrés auxquels appartiennent nos sources.

71

FEBVRE, Lucien. MARTIN, Henri-Jean. L’apparition du livre. Paris, Albin Michel, 1999, p.339- 340.

72 Ibid. p.340. 73

BELY, Lucien [dir.]. Dictionnaire de l’Ancien Régime. Paris, PUF, 2003, p.737.

74 D

UPORTAL, Jeanne. Etude sur les livres à figures édités en France de 1601 à 1660. Thèse pour le

doctorat ès lettres présentée à la faculté des lettres de l’Université de Paris. Paris, 1914, p.6 ; FEBVRE, Lucien. MARTIN, Henri-Jean. L’apparition du livre. Paris, Albin Michel, 1999, p.340.

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pouvaient pas jouir de l’influence ou de la visibilité nécessaire pour se voir octroyer un privilège, d’autre part ils ne bénéficiaient pas de la possibilité de rééditer un ouvrage, une fois la durée de son privilège terminée, en raison du renouvellement ou du monopole acquis par l’éditeur sur un titre. Les contournements, en France comme ailleurs, étaient nombreux, les contrevenants s’exposant aux peines énoncées dans les privilèges. La quasi- totalité de nos sources du XVIIème siècle et de la première moitié du XVIIIème siècle, en France comme à l’étranger, à Paris comme en province, n’ont pas été publiées « avec approbation et privilège du Roi ». Nous émettons deux hypothèses alors même que le système des privilèges y était particulièrement répandu. Premièrement, ces ouvrages ne sont pas des éditions originales, la durée d’application des lettres patentes étant révolue lors de la nouvelle publication des titres en question. Deuxièmement, les éditeurs de ces ouvrages ont outrepassé le droit de les imprimer. Au regard du contenu des ouvrages, similaire à celui de ceux ayant obtenus un privilège, la première hypothèse semble la plus pertinente. En revanche, presque tous nos titres du XVIIIème siècle, ont eu l’approbation et le privilège du Roi. Dans nos sources, ces derniers arrêtent d’être délivrés à partir de l’ouvrage de Bossut à la veille de la Révolution de 1789. Ensuite, et jusqu’à la fin de notre corpus, il n’y plus de privilège, ce système ne semblant pas être maintenu par les régimes politiques successifs.