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L'effort de structuration au niveau local relève d'une démarche volontariste

CHAPITRE 3 : RECHERCHE

IV) Enjeux de développement des coopérations : quelles échelles solliciter ?

IV.2) L'effort de structuration au niveau local relève d'une démarche volontariste

Si la recherche s'organise donc d'abord aux niveaux national, européen et international, cela n'empêche en rien les acteurs de s'attacher à la structurer localement et à l'ancrer territorialement. Les nombreux exemples présentés témoignent de cette démarche volontariste parfois locale, parfois "métropolitaine", régionale ou encore interrégionale. Cette démarche émane des acteurs locaux (Etablissements de recherche, DRRT, Région, etc) tout en s'inscrivant éventuellement dans le cadre de politiques nationales comme c'est le cas pour la constitution des PRES.

IV.2.1) Raisons d'une structuration locale de la recherche

Comme cela a été expliqué précédemment (partie II.2), la France souffre d'une insuffisante visibilité de ses établissements de recherche. La dilution de ses forces de recherche l'handicape particulièrement et elle manque très souvent des masses critiques nécessaires à une visibilité globale.

Cela ne remet pas en cause l'excellence d'un grand nombre de chercheurs, de certaines équipes ou thématiques mais comme l'expriment nombre d'acteurs il arrive que les travaux d'un chercheur ou d'un laboratoire soient visibles internationalement "sans que les structures qui l'abritent le soient". "Un établissement n'est pas nécessairement visible dans un domaine quand un de ses chercheurs l'est". " Imaginons une équipe brillante, en dehors des axes forts de recherche déterminés par les acteurs régionaux : ils ne sont qu'une douzaine de chercheurs donc sont très peu visibles au niveau régional. Néanmoins cette équipe mène de grands programmes, de grands projets parce qu'elle est en relation avec d'autres régions françaises européennes ou mondiales".

Toutefois ces propos rassurants, de même que les critiques fondées des critères retenus pour le classement de Shanghai, ne doivent pas faire oublier les enjeux de la visibilité "globale". A titre d'exemple, que les classements soient justes ou non, il est indéniable qu'ils influeront sur les comportements des acteurs et que la notoriété des établissements de recherche n'est pas sans conséquence sur leur développement.

"La recherche de masses critiques, de nouvelles collaborations pour augmenter cette visibilité" s'avère donc nécessaire. Elle implique à la fois des rapprochements institutionnels de structures à l'image des démarches PUCVL ou PRES et des rapprochements d'équipes par thématiques, largement développés précédemment.

IV.2.2) La logique territoriale de cette structuration

Le développement des collaborations de recherche se fait, d'après l'analyse d'un des acteurs rencontrés, selon "deux logiques". La première a fait l'objet de la partie précédente (IV.1) et correspond à "la recherche de collaborations par rapport à un besoin identifié" alors que la seconde est celle de "l'opportunité territoriale". Comme cela apparaît dans notre exposé "le rapprochement est dans un cas plus naturel et dans l'autre davantage créé de façon volontariste".

Cette opportunité territoriale peut renvoyer à deux aspects.

D'une part, la constitution de pôles pour être visible est basée sur la proximité géographique et s'inscrit donc sur un territoire même si ces pôles n'entretiennent pas de lien direct avec lui. Les pôles sont parfois clairement thématiques (comme c'est le cas pour les pôles de compétitivité) et même les pôles "institutionnels" tels que le PUCVL ou le PRES se constituent pour atteindre des masses critiques permettant de faire émerger des thématiques d'excellence. Or l'objet de ces initiatives nous semble justement être d'associer les forces de recherche présentes à des thématiques d'excellence sur un territoire gagnant en visibilité et en identité. C'est ce qu'un acteur appelle "l'ancrage territorial".

D'autre part, l'opportunité territoriale peut consister en la "canalisation d'impacts territoriaux" ce qui renvoie au fait de "mettre les pôles d'excellence identifiés au service (…) d'une politique de développement économique régional", autrement dit de rapprocher les établissements de recherche présents sur le territoire et le tissu économique local.

Ces deux axes stratégiques pour le développement des établissements de recherche correspondent tout à fait aux préoccupations des collectivités selon certains acteurs qui défendent de ce fait le "principe de responsabilité partagée avec les collectivités" et confirment ainsi les enjeux territoriaux de la recherche.

Un acteur justifiait d'ailleurs ce besoin de structuration locale en réaction aux "forces déstructurantes" que constituent les démarches nationales et européennes telles que "l'ANR ou le PCRD qui sont des organisations positives en ce qu'elles contribuent, par des démarches de projets, à favoriser l'excellence de la recherche française, mais qui incitent à aller chercher des collaborations partout et ont donc un rôle déstructurant à notre échelle".

Mais de quelle échelle parle-t-on ? Les rapprochements selon une logique "d'opportunité territoriale" s'inscrivent comme nous l'avons montré dans de multiples échelles, témoignant, en tant qu'objets construits par des acteurs en fonction de leurs objectifs, de la diversité de ceux-ci.

IV.2.3) La dimension politique de ces rapprochements

La géométrie variable des rapprochements observés peut bien sûr, dans certains cas, trouver une explication tout à fait logique au regard des objectifs scientifiques des laboratoires. Par exemple, le fait que les laboratoires en SHS de Tours se tournent davantage vers Poitiers, qui bénéficie déjà d'une certaine masse critique dans ce domaine, que vers Orléans semble cohérent. Mais la "dimension politique" dans ce type de rapprochement relevant d'une démarche volontariste est très souvent soulignée.

Ainsi il est dit au sujet du PRES que "c'est une échelle politique et non pas une échelle en termes de recherche", ou encore du cancéropôle qu'il relève "d'une dimension très politique par rapport à la logique scientifique qui aurait été de rapprocher Tours, Nantes et Rennes".

Et en effet, ces projets à géométrie variable renvoient bien souvent, au-delà de la seule logique scientifique, à des tractations politiques, des intérêts communs qui varient selon les thématiques, les objets de collaboration, les acteurs impliqués. Prenons quelques exemples.

Le Cancéropôle Grand Ouest correspond certes à des habitudes de travail mais n'est pas sans rapport avec "le problème du positionnement de la région Centre. (…) Des structurations comme le Cancéropôle Grand Ouest [permettent] d'échapper à l'hégémonie parisienne. (…) Dans le cadre du Cancéropôle Grand Ouest, on existe, on nous parle, on nous voit ; si on était dans le cadre du Cancéropôle parisien, on serait totalement gommé".

Le PUCVL renvoie quant à lui à une réelle proximité géographique qui justifie qu'Orléans et Tours se tournent l'une vers l'autre pour éviter les redondances mais d'autres éléments d'explication interviennent dans ce rapprochement. Ainsi, le fait que les deux universités appartiennent à la même Région leur confère des intérêts propres : "le rapprochement des 2 universités, concrétisé maintenant par le PUCVL, est un mouvement de structuration du tissu régional de la recherche que la Région soutient largement. (…) Pour le prochain CPER, la Région soutiendra des programmes de recherche menés en collaboration au sein de la région entre universités, organismes de recherche".

Le projet de PRES, qui associe 5 universités, renvoie également à de telles tractations. Tous les acteurs n'étaient pas favorables à l'échelle retenue pour le projet et le scepticisme demeure : "On verra ce que cela va donner mais le PRES me paraît un peu dilué géographiquement pour être efficace". Les relations entretenues par Tours avec Poitiers sont bien sûr anciennes et développées comme nous l'avons déjà évoqué. D'ailleurs, comme l'explique l'Université de Tours "au moment où le PUCVL a été signé et avant même que le PRES existe ou soit envisagé, nous avions déjà discuté avec l'équipe présidentielle de Poitiers". De plus, "Poitiers travaille aussi pas mal avec Limoges". Mais les raisons ne

IV.2.4) Quelques réserves

La multiplicité des échelles de structuration de la recherche s'explique donc au regard d'un certain nombre de déterminants scientifiques et politiques. Parfois à l'initiative des chercheurs et équipes eux-mêmes trouvant un intérêt commun à la collaboration, les rapprochements sont aussi souvent le fait d'acteurs institutionnels (financeurs, présidents d'universités, etc) et peuvent en ce sens souffrir d'un manque de compréhension ou d'appropriation par les chercheurs, nuisant à leur efficacité.

Un acteur nous confiait ainsi que son laboratoire "entretient de très nombreuses collaborations avec des laboratoires partout en France. (…) Un surinvestissement local ou régional, bien souvent artificiel, serait un retour en arrière".

Par ailleurs, certains acteurs dénoncent les contraintes que représentent les incitations à des collaborations ciblées. Et cela vaut pour les collaborations s'inscrivant dans des démarches locales mais également pour les appels à projets nationaux ou européens. En effet, ces acteurs regrettent, dans certains cas, de devoir préférer une collaboration avec un laboratoire X alors qu'ils entretiennent déjà des liens forts avec un laboratoire Y mais qui ne répond pas aux critères de sélection en raison, par exemple, de sa localisation ou du fait qu'il appartient au même organisme de recherche quand la mixité est préférée, etc. Cette contrainte peut de ce fait entraîner certaines dérives comme "l'affichage" de coopérations qui manquent en réalité de substance.

Tous les acteurs ne s'approprient donc pas les outils de la même façon et c'est ce qui explique les réactions très contrastées à l'égard d'un même objet.

Ainsi, lorsque la recherche d'un laboratoire peut s'intégrer dans un ensemble qui lui correspond, la logique de pôle renforce certainement sa visibilité. A cet égard des laboratoires d'Orléans et Tours ayant déjà des habitudes de travail s'approprient plus volontiers la démarche du PUCVL et y voient des opportunités nouvelles (la plus-value apportée par le PUCVL est "une évidence : mise en commun de moyens, complémentarités disciplinaires sur des thématiques communes, meilleure visibilité"). Mais tous les laboratoires orléanais et tourangeaux ne se retrouvent pas dans cette logique et y préfère d'autres échelles de référence en termes de visibilité ("la démarche PUCVL est largement dépassée, de plus la collaboration bilatéral est dangereuse").

Enfin, deux remarques nous sont apparues particulièrement intéressantes au regard de nos questionnements sur les échelles de la coopération.

La première est que "le PUCVL pourrait être visible s'il remplaçait les deux universités". En effet, certains acteurs défendent le fait que le PUCVL leur apporte une meilleure visibilité dans la mesure où il les incite, les soutient dans leur démarche de collaboration. Mais les chercheurs continuent de se présenter comme membre d'une des deux universités et non pas du PUCVL. Le PUCVL ne serait donc pas visible en tant que tel mais contribuerait éventuellement à la visibilité des laboratoires.

La seconde remarque renvoie à la multiplicité (faut-il dire multiplication ?) des échelles : "Si nous changeons tous les jours de périmètre, nous ne serons jamais visibles". Cette réflexion n'est pas anodine et renvoie à la nécessité de choix clairs dans les stratégies des établissements de recherche sans exclure pour autant la diversité.

CONCLUSION - RECHERCHE ET METROPOLISATION : L'AIRE

LIGERIENNE EST-ELLE PERTINENTE ?

D'après les développements précédents, les enjeux de coopération dans le domaine de la recherche semblent partagés par les divers acteurs. Par ailleurs, dans la mesure où est valorisée la logique de pôles forts permettant d'atteindre les masses critiques, il semble qu'il y ait, en recherche, des enjeux de coopération "métropolitaine". Le terme de "coopération métropolitaine" renvoie ici à une coopération entre les acteurs de la recherche, tels que les établissements eux-mêmes, à une échelle métropolitaine. Mais il peut aussi renvoyer éventuellement à une coopération entre les collectivités s'inscrivant dans une démarche métropolitaine, collectivités jusqu'ici relativement peu investies dans le domaine de la recherche, mais dont le poids et la volonté d'ancrer territorialement la recherche, semblent croissant.

Pour autant, la multiplicité des échelles de coopération pousse à s'interroger sur la pertinence de l'échelle ligérienne comme échelle de coopération métropolitaine en matière de recherche.

Y a-t-il des enjeux de coopération métropolitaine sur l'aire ligérienne, ou bien cette dernière est-elle trop restreinte pour regrouper les forces nécessaires à la visibilité européenne et mondiale ?

Toutes les échelles sollicitées renvoient à des besoins, des intérêts partagés. Chaque type d'acteurs, selon les rôles qui lui incombent, tâche de structurer la recherche à une échelle particulière. Dans ce contexte, l'axe Orléans-Tours est pertinent, du fait de la proximité géographique, des complémentarités existantes entre les différents établissements de recherche, des nombreuses collaborations déjà existantes, etc. Mais il ne doit pas constituer pour autant un repli sur soi car il apparaît souvent tout aussi pertinent, sur certaines thématiques au moins, de se tourner vers d'autres villes.

Cependant, si les collaborations de recherche sont par essence à géométrie variable, cet argument peut également être dangereux s'il est utilisé comme le moyen d'échapper à de véritables rapprochements forts de sens et suffisamment structurants pour assurer une meilleure visibilité.

Plutôt que des collaborations qui s'emboîtent les unes dans les autres ou se chevauchent, ne vaudrait-il pas mieux aller dans le sens de fusions à certaines échelles (à l'image de certains PRES parisiens notamment), les entités produites étant alors liées par des collaborations, simplifiant ainsi un enchevêtrement de structures, de collaborations, d'outils et d'échelles dans un jeu d'acteurs délicat ?

Toutefois, il faut rester modeste et, quoi qu'il en soit, garder à l'esprit l'importance de la composante humaine dans de tels processus de collaborations. Il n'y aura jamais d'échelle pertinente sans acteurs motivés et fédérateurs. "A la fois il faut favoriser les coopérations et, en même temps, cela ne s'impose pas". Peut-on dégager des modes exemplaires de coopération ou faut-il se résoudre à admettre qu' "il n'y a pas de modèle unique" et que "c'est ceux qui font qui ont raison" ?